Notre ami Daniel Peyrot, vient à son tour enrichir la discussion autour des drapeaux de la Commune. Qu’il en soit remercié et que son exemple soit suivi.

On dénombre pas moins de 200 bataillons ayant adhéré à la Fédération de la Garde Républicaine. Chacun était censé posséder non seulement des fanions de compagnies mais également un drapeau. Même si certaines distributions furent sans doute tardives, les 7 et 10 mai, le 222e et le 140e bataillon réclamaient encore leurs drapeaux aux couleurs de la Commune (1).

Drapeau du 143e bataillon de la Garde nationale (musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis)
Drapeau du 143e bataillon de la Garde nationale (musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis)

On ne peut qu’être surpris du faible nombre d’emblèmes subsistant dans les musées ou collections publiques.

En effet, hormis les trois drapeaux cités par M. Gradov (voir ici et )dans les pages de cette revue et qui se trouve actuellement en Russie, à ma connaissance, il n’en existe que six autres.

Celui du 117e bataillon et des Éclaireurs de Bergeret conservé au Musée Carnavalet, celui du 143e exposé au Musée d’Art et d’Histoire de Saint Denis, celui du 147e aux Invalides et qui a la particularité d’être tricolore, celui du 164e répertorié comme étant à la bibliothèque Feltrinelli de Milan et enfin, celui du 269e qui se trouve au Musée de l’Histoire Vivante de Montreuil.

Comment expliquer ce déficit en nombre ? Plusieurs explications peuvent être avancées.

Traditionnellement, les drapeaux conquis sont l’objet de toutes les attentions et sources de récompenses et de distinctions pour les soldats ou les unités qui s’en sont emparés. Dans le cas présent, la haine des Versaillais pour ces emblèmes fut telle que la  majorité de ceux-ci ont certainement été détruits ou brûlés immédiatement. Après la prise du fort d’Issy où sept drapeaux tombèrent entre les mains des troupes versaillaises, un officier évoque les loques rouges qui naguère, servaient de drapeaux aux 5e, 94e, 99e et 115e bataillons insurgés (2). Dans le même esprit, un témoin rapporte que lors de la cérémonie qui suivit le défilé des troupes victorieuses, on apporta les drapeaux rouges dont chacun se détournait avec des gestes affectés de répugnances (3). Ces emblèmes furent ensuite offerts dans la Cour de Marbre du Château de Versailles aux représentants de l’Assemblée nationale. Nul ne sait ensuite ce qu’ils sont advenus.

Ce désintérêt pour les drapeaux  communards fut sans doute accru par leur réalisation assez sommaire, ceux-ci étant parfois soit uniformément rouge ou bien simplement porteurs d’inscriptions et de marquages au pochoir.

On sait que certains drapeaux, pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains ennemies, furent découpés en petits fragments et partagés entre les membres des bataillons ; d’autres suivirent les chemins de l’exil à l’image du 220e sans doute remporté en Pologne par un volontaire de cette nationalité. Le drapeau du 22e bataillon est également de ceux-ci. On le retrouve à Genève, lors des funérailles de Razoua, le 29 juin 1878. Le cercueil, recouvert d’un drap rouge, passa sous les oriflammes et les guirlandes de feuillage. Alavoine, derrière le mort, tenait haut levé le drapeau du 22e bataillon fédéré, conservé depuis les grands jours, comme une relique, par les vaincus (4).

On peut aussi penser qu’au cours de la Semaine Sanglante, les porteurs de ces emblèmes les ont détruits par crainte d’être capturés en possession d’un objet aussi compromettant et qui les condamnait à coup sûr. Le sort de ces drapeaux peut aussi s’avérer surprenant.

Dans Paris intime en révolution, Paul Ginisty, ancien artilleur attaché à l’état-major de Delescluze, évoque cette anecdote relative à l’emblème des Volontaires de Montrouge. Pendant les derniers jours de la Commune, son porte-drapeau, un ouvrier tonnelier surnommé Grand Louis, fut sur le point d’être capturé par les Versaillais. Il parvint à leur échapper, abandonnant ledit drapeau soigneusement dissimulé. Arrêté et ramené dans la maison où il s’était caché, il remarquait lors de la perquisition qu’une fillette était tranquillement assise sur une chaise, une grande poupée sur les genoux, achevant de lui coudre une robe ; on ne fit pas attention à elle… Elle essayait gravement la robe de sa poupée, une robe d’un rouge éclatant, et sur le devant de la jupe, on pouvait lire encore des lettres noires qui faisaient :

« … ou la mort ».

Elle avait été reprendre sournoisement sous les copeaux la belle étoffe qui l’avait tentée, et l’avait prestement transformée pour son amusement…

On ne sait si cet incident est réel ou imaginaire mais, quoiqu’il en soit, le drapeau des Volontaires de Montrouge, comme tant d’autres, a bel et bien disparu.

Daniel Peyrot

Notes

(1) SHAT – Vincennes

(2) La Guerre contre les Communeux par un officier de Versailles.

(3) Léonce Dupont

(4) Vuillaume, Mes cahiers rouges au temps de la Commune

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