Il est frappant de noter que le contenu de ces manuels varie peu au cours de la période étudiée, ce qui permet d’analyser de manière édifiante la fabrique de l’histoire officielle de la Commune : il s’agit d’une présentation politique entièrement au service de la bourgeoisie, classe sociale toujours au pouvoir. Plus que d’une véritable falsification, il s’agit d’un tri, d’une savante sélection : l’accent est mis sur certaines informations discréditant la Commune, le silence sur d’autres qui pourraient la valoriser.

Club de femmes sous la Commune

Dès 1881, le décor est planté. Le grand thème retenu est celui de la création de la IIIe République par un homme d’État éminent, Adolphe Thiers, artisan de la paix, libérateur du territoire et politicien de génie. La Commune n’est qu’un « détail » qui retarde l’action de Thiers pendant deux mois : certains manuels de l’enseignement primaire font d’ailleurs le choix de ne pas en parler.

Certes des maladresses ont été commises : le 10 mars, l’Assemblée choisit Versailles pour s’installer ; elle supprime les soldes des gardes nationaux et met fin aux moratoires sur les loyers et sur les échéances ; le 18 mars, l’armée ne prévoit pas d’attelages en nombre suffisant et Claude Lecomte traîne à enlever les canons. Il n’en reste pas moins que c’est bien le peuple de Paris, excité par quelques meneurs révolutionnaires, qui exécute Lecomte et Thomas. C’est la Commune qui édicte le décret sur les otages et qui finira par les fusiller un mois et demi plus tard. C’est la Commune qui fait démolir la colonne Vendôme et, même s’il est épuisé et désespéré, c’est encore le peuple de Paris qui incendie de trop nombreux monuments publics. Certes, la répression est sanglante et des condamnations sont encore prononcées bien après la fin des combats, mais il faut bien rétablir l’ordre et en finir avec les révolutionnaires.

Par contre, aucun manuel ne signale que Lecomte avait donné l’ordre de tirer sur la foule, ni que le décret sur les otages était une réponse au fait que les Versaillais exécutaient sommairement les prisonniers, refusant de leur accorder le statut de belligérants. Aucun manuel ne mentionne que les incendies n’étaient pas le fait des seuls communards. Quant à la répression, aucun manuel ne cite Thiers :

On ne parle plus du socialisme et l’on fait bien, nous sommes débarrassés du socialisme.

En définitive, aucun manuel n’analyse les événements de 1871 pour ce qu’il ont été réellement : l’écrasement voulu, méticuleux et systématique du mouvement ouvrier, alors en plein essor, par la bourgeoisie.

On comprend mieux que, de nos jours, le grand public ait retenu, au passif de la Commune, les incendies et l’exécution des otages et ne sache rien, à l’actif de la Commune, de son œuvre et de sa modernité.

 

GEORGES BEISSON

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