L’histoire des révoltes montre les luttes incessantes de la paysannerie consciente contre l’ordre des dominants. Au moment de la Commune de Paris, trois Français sur quatre sont des ruraux. Pourtant le rendez-vous manqué avec cette paysannerie est un fait déterminant. Des jalons historiques permettent de faire cette histoire, par une approche rigoureuse à même d’appréhender sa réalité.
La nécessité d’une connaissance historique de l’espace rural.
Cette connaissance apporte la contextualisation faisant prendre conscience de la spécificité de la province rurale distincte de celle urbaine. Pour chaque espace, les éléments d’étude préalables concernent les facteurs physiques, humains, économiques ; les conditions de vie, de communication, d’information ; les pesanteurs étatiques et religieuses ; le niveau d’instruction ; le degré de politisation, dépendant de l’histoire et des mœurs. Sans oublier la prise en compte du modèle agricole acquis, la petite exploitation, des terres libres et de la tradition d’autonomie communautaire. Tout en ayant une longue pratique des contestations antifiscales, la lente mutation des campagnes explique que l’entrée réelle en politique n’intervient qu’en 1848 avec le suffrage universel masculin : l’électorat rural est capté par les ex-aristocrates repliés sur leurs terres.
Le bonapartisme rural face à un vide.
Le régime impérial contrôle les campagnes en favorisant la petite propriété et la paix, rassurant les paysans plus ou moins aisés, tandis qu’une masse de journaliers agricoles et de paysans pauvres survivent. Le réveil des mouvements républicain et ouvrier se fait dans les grandes villes, délaissant toute propagande dans les campagnes, les revendications paysannes étant occultées. Mais le fond de contestation demeure bien.
Une entrée en république à la suite d’une guerre perdue : une conséquence essentielle.
Le déclenchement de la guerre de 1870 et les défaites, avec leurs malheurs, éloignent les campagnes de l’Empire : la proclamation de la République, le 4 septembre, n’y entraîne pas d’enthousiasme marquant. Les conseils municipaux, avec de nouveaux arrivants, soutiennent l’effort de guerre : un patriotisme rural existe bien. Mais après l’armistice, l’élection de l’Assemblée nationale dans un pays occupé installe une chambre monarchiste, les campagnes désorientées voulant la paix et considérant tous les républicains comme partisans de la guerre.
Le temps de la Commune.
L’état d’esprit des campagnes au moment de la Commune résulte de l’ensemble de ces composantes avec l’absence d’intérêt porté par les milieux urbains progressistes aux revendications rurales et les convergences communautaires unissant les paysans.
L’insurrection du 18 mars : une réception orientée de façon réactionnaire.
Le basculement des soldats ruraux le 18 mars démontre leur possible sensibilisation. Des délégués de villes de la province rurale, comme Limoges, se précipitent à Paris : l’échange avec les responsables du comité central de la Garde nationale exprime une claire différence de perception de la situation locale. Les adresses des municipalités, à la demande des préfets, pour soutenir Versailles, sont bâties sur les désinformations versaillaises et stéréotypées. Des différences sont visibles suivant les territoires et l’attitude durant la guerre.
Le Conseil de la Commune élu sans vision sur les campagnes.
Malgré l’extrême diversité des courants du Conseil de la Commune, aucun d’entre eux ne porte une attention aux campagnes pour des raisons jamais déjugées : absence de lien avec la terre, méconnaissance de la paysannerie, défiance, non-visibilité de la nature populaire de la révolution, Paris ayant fait jusqu’à présent les révolutions. Cette indifférence est confirmée par les appels paraissant dans le Journal Officiel de la Commune, tous destinés à la province urbaine des villes ou aux départements sans aucune référence au monde paysan et à ses revendications ; de même dans la Déclaration au Peuple français appelant pourtant à une fédération de communes. Les émissaires de la Commune ont atteint rarement les campagnes, où un handicap majeur transparaît : un manque de républicains vraiment politisés.
Le rôle de la presse et des femmes pour « penser » l’union.
C’est une presse proche des couches populaires qui va nourrir l’idée d’une alliance. Ainsi La Sociale, La Commune, Le Père Duchesne, tout en critiquant la paysannerie (arriérée, réactionnaire …) avancent des pistes comme l’instruction et des mesures ciblées pour la paysannerie pauvre, proche en condition de vie de l’ouvrier exploité.
Deux femmes vont aller bien plus loin par leur réflexion novatrice : Paule Mink bat la campagne durant la Commune pour « la révolutionner » et André Léo lance un Appel aux Travailleurs des campagnes, formidable texte, considérant le paysan comme un citoyen responsable et conscient, appelant à l’union de l’ouvrier et du paysan. Son appel, malgré l’impitoyable censure versaillaise, touche certaines contrées mais, hélas, ne pourra avoir la répercussion qu’il mérite.
Les élections municipales d’avril 1871, un marqueur républicain partagé.
Ces élections confirment la poussée républicaine, tout en accentuant la démocratisation des conseils municipaux, avec l’entrée de travailleurs manuels et de paysans de différents milieux, pas tous farouchement républicains, mais un consensus s’opère.
Les faits prouvent les multiples soutiens ruraux à la Commune de Paris tout au long des 72 jours de son existence et après ces élections. Ce sont souvent des espaces déjà en vue en 1849-1851 ou en 1870, favorisés par leurs conditions objectives d’histoire et de situation. La province n’a envoyé aucun volontaire des campagnes à Versailles et a recherché la conciliation dans une neutralité tacite, malgré le poids du « légalisme » de l’assemblée versaillaise.
Un oubli de classe qui confond l’histoire.
398 agriculteurs sont arrêtés durant la répression. Cette frange réduite, mais identique à celle des métiers du cuir, représente à coup sûr dans sa composition un assemblage représentatif de la paysannerie, propriétaires plus aisés et engagés, mais aussi paysans pauvres et journaliers agricoles : l’image d’une classe toujours présente dans l’histoire des rébellions françaises et continuellement sous-évaluée.
JEAN ANNEQUIN
Source :
150e anniversaire en Berry. Conférence à Chassignolles, le 25 septembre 2021 : « Il y a 150 ans la Commune de Paris : la révolution parisienne et la paysannerie »