Le mardi 11 avril se tient dans un café de la rue du Temple une réunion de femmes dans le but d’organiser dans chaque arrondissement des comités pour les citoyennes résolues à soutenir et défendre la cause de la Commune, soit dans le service des ambulances, soit en formant des corps réguliers pour construire des barricades et s’y battre — si nécessaire.
À l’initiative de cette réunion, Nathalie Le Mel, bretonne de 44 ans, ouvrière relieuse, connue pour avoir mené avec Eugène Varlin les grèves de 1864-65 et Élisabeth Dmitrieff, intellectuelle russe de 20 ans proche de Karl Marx envoyée à Paris par l’AIT début mars 1871.
L'intitulé de ce mouvement est trompeur : s'il s'inscrit dans l'action à côté des communards, le mouvement est essentiellement revendicatif et se bat pour les droits des femmes. A ce titre on peut considérer que c’est le premier mouvement féministe structuré du XIXème siècle.
Les statuts de l’Union sont révélateurs de l’orientation organisationnelle donnée par les deux femmes : des comités d’arrondissement au plus près du terrain (comme on dirait aujourd’hui) et un Comité central chargé de coordonner les actions et donner la direction générale.
Le quotidien du soir La Sociale (dont André Léo est une des rédactrices) écrit en présentant dans son édition du 20 avril les statuts de l’Union :
Une organisation sérieuse parmi les citoyennes de Paris résolues à soutenir et à défendre la cause du peuple, la Révolution et la Commune vient d’être fondée afin de venir en aide au travail des commissions du gouvernement pour le service des ambulances, des fourneaux et des barricades. Des comités sont institués dans chaque arrondissement, en outre un comité central assumant la direction générale de l’organisation.
Dès le 11 avril, l’Union publie par voie d’affiches, sur les murs de Paris, un texte disant que :
La lutte pour la défense de la Commune, c’est la lutte pour le droit des femmes.
Elles écrivent :
Nos ennemis, ce sont les privilèges de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de nos misères.
Nous voulons le travail pour en garder le produit, plus d’exploiteurs, plus de maîtres.
Toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes, constituent une des bases du pouvoir des classes gouvernantes.
Le 14 avril elle rédige une adresse à la commission exécutive. Celle-ci est publiée dans le Journal Officiel du 14 avril.
Le 6 mai est émis un deuxième manifeste.
Le 8 mai, elle désigne en son sein un comité central de sept membres, et émet un deuxième manifeste.
Les 7 membres du Comité central :
Elisabeth DMITRIEFF
Nathalie LE MEL
La vie de cette organisation est brève, à peine six semaines, mais son activité est significative, rythmée par des réunions quotidiennes dans tous les arrondissements parisiens.
Dès le début de son existence elle a fait de nombreuses propositions sociales … mais elle a dû bientôt se consacrer exclusivement au combat.
Sous l’impulsion de l’Union, la Commune ouvre une brèche vers la libération des femmes. Les projets d’instruction pour les filles visent à affranchir les femmes des superstitions et de l’emprise de l’Église, considérée comme l’âme de la contre-révolution (surtout après le concile de Vatican I). Les institutrices obtiennent à travail égal, salaire égal. De nombreux ateliers sont autogérés par des femmes. Dans quelques quartiers, des élus appartenant à l’Association internationale des travailleurs associent des femmes à la gestion municipale. La Commune officialise l’union libre, conférant à la famille constituée hors mariage (concubins, enfants naturels) sa première reconnaissance légale (voir article du 10 avril). Enfin, est bannie la prostitution comme une forme de « l’exploitation commerciale de créatures humaines par d’autres créatures humaines ».
Le 11 mai est créé dans une cour d'école du XIIe arrondissement, sous les auspices du colonel de la garde nationale locale, le « bataillon des fédérées » du XIIe arrondissement, également appelé « bataillon des femmes », ou « légion des femmes ». Ce bataillon comptait au moins vingt femmes.
Lors de la semaine sanglante, les femmes, armées, ont notamment défendu les barricades jusqu’à leur dernier souffle. Si les noms des femmes qui ont fait preuve de bravoure, et de solidarité sur le champ de bataille sont en grande majorité inconnus, on peut néanmoins en citer quelques unes :
Joséphine Dulembert (ancienne rédactrice du Moniteur des Citoyennes). Brossert (cantinière au 84ème bataillon) avec Lodoïska Caweska ont contribué à l’organisation de la défense de la gare de Montparnasse.
Une cinquantaine de femmes sous la coordination de Nathalie Le Mel ont construit une barricade place Pigalle et ont contribué à sa défense. Andrée Léo a défendu les barricades situées aux Batignolles. Élisabeth Rétiffe (cantinière au 135ème bataillon) était aux barricades de la rue Bellechasse.
Le 23 mai, un groupement d’environ 120 femmes (parmi lesquelles Élisabeth Dmitrieff, Nathalie Lemel, Blanche Lefebvre, Béatrix Excoffon et Malvina Poulain) défend les barricades de la place Blanche.
Louise Michel aurait tenu avec seulement deux camarades d’armes la barricade de la chaussée Clignancourt.
L’historien anglais Eugene Schulkind estime à 300 femmes le nombre de membres de cette organisation. La répression sanglante de la Commune a raison de cet élan qui allait animer, pourtant, la plupart des mouvements féministes du siècle suivant.
En plus de l'Union des femmes, d'autres organisations de femmes sont également actives durant la Commune. Le Comité des femmes de la rue d'Arras se distingue par l'organisation d'ateliers collectifs « afin de préparer l'organisation du travail des femmes par elles-mêmes » ainsi que le recrutement de femmes soldats.
La société Éducation Nouvelle, formée d'institutrices, demande l'instauration d'une école laïque, obligatoire, gratuite et pour tous au gouvernement de la Commune.
C’est pourquoi comme auraient pu écrire Karl Marx et Friedrich Engels (cf. les statuts de l’AIT)
L'émancipation des femmes doit être l'œuvre des femmes elles-mêmes ; la lutte pour l'émancipation des femmes n’est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de genre, mais pour l'établissement de droits et de devoirs égaux, et pour l'abolition de toute domination de genre. |