Proclamation de la Commune - Refus d’élire un président
Mise en place du travail communal – Débats
Dans la soirée du 28 mars a lieu la proclamation de la Commune devant une foule estimée à 100 000 personnes. On chante classiquement La Marseillaise et le Chant du Départ. Paris acclame sa révolution.
Les Parisiens ignorent qu’une convention est intervenue entre M. Tiers et le chancelier Bismarck autorisant le gouvernement français à dépasser très largement le chiffre de 40 000 soldats. Cette convention sera le premier pas vers la reconquête.
Pendant que la fête populaire se poursuit dans les quartiers, le Conseil de la Commune de Paris tient vers 22 h sa première réunion à l’Hôtel de Ville.
Ce conseil est composé de 80 élus, en réalité 79 en l’absence de Blanqui, arrêté en Province le 17 mars. L’assemblée est de composition populaire : elle compte une trentaine d’ouvriers dont treize de l’Internationale, cinq petits patrons, quatorze employés, commis et comptable, douze journalistes, une douzaine d’avocats, instituteurs, artistes, médecins.
Pour présider leurs débats, les conseillers désignent leur doyen d’âge, Charles Beslay, soixante-seize ans et Ferré et Rigault comme secrétaires provisoires. Le vieil homme est un proudhonien convaincu, ami du grand théoricien socialiste.
Dans son discours, il exalte la paix et le travail et développe sa thèse fédéraliste :
À la Commune tout ce qui est local, au département tout ce qui est régional, au gouvernement tout ce qui est national…
L’appel adressé la veille par Garibaldi aux élus :
Un seul honnête homme au poste suprême, avec des pleins pouvoirs,
n’a pas été entendu.
Les proudhoniens combattent tout ce qui peut suggérer une forme quelconque d’autorité dictatoriale. C’est ainsi que la proposition de nommer Blanqui, arrêté le 17 mars en Province, président d’honneur est à peine discutée. L’assemblée préfère se concentrer sur un texte déposé par G. Lefrançais et adopté à l’unanimité, déclarant que « la Garde nationale et le comité central ont bien mérités de Paris et de la République. »
La Commune n’aura donc ni chef ni président. La présidence des séances est tournante. Il en est de même dans les arrondissements où il n’y a pas de maire.
Avant même que les élections soient validées et que l’assemblée soit régulièrement constituée, plusieurs motions jaillissent.
S’engage un débat porté par Paschal Grousset sur la nécessité de garder les décisions secrètes.
Arnoult proteste. Le secret des séances est décidé, mais bientôt corrigé par la publication d’un compte rendu au Journal Officiel.
Vont s’ensuivre les débats, les motions : Loison-Pinson réclame l’abolition de la peine de mort, d’autres exigent la suppression immédiate de la conscription et l’envoi de représentants parisiens en mission dans les communes de province. Theisz, Jourde et Vallès proclament l’incompatibilité des mandats de député et de conseiller municipal de Paris, visant notamment Tirard. Ce dernier choisit son mandat de député et démissionne du conseil municipal et quitte la salle. A l’inverse Cournet fait savoir qu’il opte pour Paris contre Versailles et, qu’en conséquence, il donne sa démission de député. Le lendemain, son ami Delescluze l’imite.
Une seule décision est prise : l’occupation par la Garde nationale des portes de Passy et d’Auteuil.
L’assemblée tient sa deuxième séance du conseil le mercredi 29 mars.
Le premier soin des conseillers est de former un bureau et de se répartir le travail et faute d’une Constitution à suivre sans problème, d’esquisser un schéma d’organisation de leur Assemblée.
Composée d’un président, de deux assesseurs et de deux secrétaires renouvelés chaque semaine. Son premier président est Gustave Lefrançais.
Eudes, un blanquiste propose à l’Assemblée de prendre le nom de Commune. Il va de soi que la Commune, c’est d’abord la municipalité de Paris, cette municipalité dont elle est privée depuis le Consulat.
Pour la majorité jacobine ou blanquiste de l’assemblée, « Commune » fait référence à la Commune révolutionnaire du 10 août 1792. Et la Commune allait être finalement plus encore…
Au début on choisit, en un sens très démocratique, une organisation très collégiale des services de la République autonome de Paris.
Mais la Commune doit se doter d’un appareil. Au début tout se veut collectif.
Les conseillers commencent par créer dix commissions correspondant à tous les ministères, moins celui des cultes qui est supprimé et dont les services se trouvent rattachés à la Sureté générale. Ces commissions traitent du militaire, des relations extérieures, de sureté générale, de la justice, des finances, de l’enseignement, des subsistances, des services publics, du travail.
Mais la nécessité apparaît que dans chaque commission un délégué assume la direction de l’action. Pour coiffer ces dix commissions et pour traduire dans les faits leurs arrêtés, une commission exécutive de sept membres est élue. Ce sont Émile Eudes, Gustave Tridon, Édouard Vaillant, Gustave Lefrançais, Émile Duval, Félix Pyat et Jules Bergeret.
Ses premiers décrets vont être : l’abolition de la conscription et de l’armée permanente, la remise générales des loyers d’octobre 1870, de janvier et d’avril 1871, ainsi que la vente des objets déposés en gage au Mont-de-piété. Elle obtient non sans mal, la suprématie par le Comité Central de la Garde nationale.
Celui-ci envoie une délégation porteuse d’une adresse aux citoyens, destinée à être affichée le lendemain, et d’une motion du Comité ainsi formulée :
La Commune représente à Paris le pouvoir politique et civil. Elle est l’émanation de l’autorité du peuple. Le Comité Central, conséquence directe des principes fédératifs de la Garde nationale, représente la force militaire. Il fait exécuter les ordres donnés par la Commune, son autonomie est complète ; il lui appartient de faire l’organisation de la Garde nationale, d’en assurer le fonctionnement et de proposer à l’acceptation de la Commune toutes les mesures politiques, financières nécessaires à la mise à exécution des décisions prises par le Comité.
À la séance de nuit, les employés de l’octroi adhèrent à la Commune.
Paschal Grousset, de la commission des relations extérieures, va notifier aux puissances étrangères «la constitution du gouvernement communal de Paris».
Les textes proposés sont extraits des ouvrages suivants :
- Paris Insurgé – La Commune de 1871 de Jacques Rougerie
- Extrait des « Enigmes de la guerre de 70 et de la Commune. Tome 3 La Commune.
Edition de Crémille, Genève 1970 »
- La Commune de Paris de William Serman
- Histoire de La Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray
Le discours inaugural de Charles Beslay, doyen de la Commune (29 mars)
Citoyens,
Votre présence ici atteste à Paris et à la France que la Commune est faite, et l’affranchissement de la Commune de Paris, c’est, nous n’en doutons pas, l’affranchissement de toutes les communes de la république.
Depuis cinquante ans, les routiniers de la vieille politique nous bernaient avec les grands mots de décentralisation et de gouvernement du pays par le pays. Grandes phrases qui ne nous ont rien donné !
Plus vaillants que vos devanciers, vous avez fait comme le sage qui marchait pour prouver le mouvement, vous avez marché, et l’on peut compter que la république marchera avec vous!
C’est là, en effet, le couronnement de votre victoire pacifique. Vos adversaires vous ont dit que vous frappiez la république; nous répondons, nous, que si nous l’avons frappée, c’est comme le pieu que l’on enfonce plus profondément en terre.
Oui, c’est par la liberté complète de la commune que la république va s’enraciner chez nous. La république n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était aux grands jours de notre révolution. La république de 93 était un soldat qui, pour combattre au dehors et au dedans, avait besoin de centraliser sous sa main toute la force de la patrie; la république de 1871 est un travailleur qui a surtout besoin de liberté pour féconder la paix.
Paix et travail! Voilà notre avenir! Voilà la certitude de notre revanche et de notre régénération sociale, et ainsi comprise, la république peut encore faire de la France le soutien des faibles, la protectrice des travailleurs, l’espérance des opprimés dans Te monde, et le fondement de la république universelle.
L’affranchissement de la commune est donc, je le répète, l’affranchissement de la république elle-même, chacun des groupes sociaux va retrouver sa pleine indépendance et sa complète liberté d’action.
La commune s’occupera de ce qui est local.
Le département s’occupera de ce qui est régional.
Le gouvernement s’occupera de ce qui est national.
Et disons-le hautement, la commune que nous fondons sera la commune modèle. Qui dit travail dit ordre, économie, honnêteté, contrôle sévère, et ce n'est pas dans la commune républicaine que Paris trouvera des fraudes de 400 millions.
De son côté, ainsi réduit de moitié, le gouvernement ne pourra plus être que le mandataire docile du suffrage universel et le gardien de la république.
Voilà à mon avis, citoyens, la route à suivre ; entrez-y hardiment et résolument. Ne dépassons pas cette limite fixée par notre programme, et le pays et le gouvernement seront heureux et fiers d’applaudir à cette révolution si grande et si simple, et qui sera la plus féconde révolution de notre histoire.
Pour moi, citoyens, je regarde comme le plus beau jour de ma vie d’avoir pu assister à cette grande journée, qui est pour nous la journée du salut. Mon âge ne me permettra pas de prendre part à vos travaux, comme membre de la Commune de Paris ; mes forces trahiraient trop souvent mon courage, et vous avez besoin de vigoureux athlètes. Dans l’intérêt de la propagande, je serai donc obligé de donner ma démission ; mais soyez sûrs qu’à côté de vous, comme auprès de vous, je saurai, dans la mesure de mes forces, vous continuer mon concours le plus dévoué, et servir comme vous la sainte cause du travail et de la république.
Vive la république ! Vive la Commune !
La répartition des tâches dans l’assemblée communale (29 mars)
Commission exécutive (en gras les7 élus à la Commission exécutive), 58 votants : Eudes, 43 ; Tridon, 39 ; Vaillant, 38 ; Lefrançais, 29 ; Duval, 27 ; Félix Pyat, 24; Bergeret, 19; R. Rigault, 18; Mortier, 11 ; Jourde, 11 ; Protot, 10 ; Varlin, 10 ; Delescluze, 9; Cour- net, 8; Grousset, 7; Ranc, 7 ; Meillet, 6; Parent, 6; Pindy, 6.
Commission des finances. — Clément, Victor, Varlin, Jourde, Beslay, Régère. •
Commission militaire. — Pindy, Eudes, Bergeret, Duval, Chardon, Flourens, Ranvier.
Commission de justice. — Ranc, Protot, Léo Meillet, VermoreJ, Ledroit, Babick.
Sûreté générale. — Raoul Rigault, Ferré, Assi, Cournet, Oudet, Cha- lain, Gérardin (XVIIe).
Subsistances. — Dereure, Champy, Ostyn, Clément, Parisel, Émile Clément, Henri Fortuné.
Travail et Echange. — Malon, Frankel, Theisz, Dupont, Avrial, Loi- seau-Pinson, Eug. Gérardin, Puget.
Relations extérieures. — Ranc, Paschal Grousset, UL Parent, Art. Arnould, Ant. Arnaud, Delescluze, Ch. Gérardin.
Services publics. — Ostyn, Billioray, J.-B. Clément, Martelet, Mortier, Rastoul.
Les premiers décrets de la Commune
Un moratoire du 13 août 1870 suspend le paiement des échéances et des loyers pour la durée des hostilités. L’Assemblée Nationale siégeant à Bordeaux, supprime ce moratoire le 10 mars 1871, et rend les échéances et les loyers exigibles, alors que les affaires n’ont pas encore repris. Dès le 19 mars, le Comité Central de la Garde nationale préconise l’arrêt des poursuites et annonce une prolongation du moratoire en attendant les élections.
Les membres de la Commune qui connaissent la situation économique précaire des Parisiens après le siège, se sont attachés à prendre immédiatement des mesures très concrètes, pour soulager leurs peines. Dès le lendemain de son installation à l’Hôtel de ville, le Conseil de la Commune met en place dix commissions. La Commission du Travail, de l’Industrie et des Echanges est celle qui prend en premier lieu en charge la question sociale. En font partie Benoît Malon, Léo Fränkel, Theisz, Dupont, Avril… Jean Longuet y viendra plus tard.
Le Conseil de la Commune décrète sans attendre, au grand soulagement des parisiens :
JOURNAL OFFICIEL
DE LA
REPUBLIQUE FRANÇAISE DÉCRETE
LA COMMUNE
Paris, le 29 mars 1871
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COMMUNE DE PARIS
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CITOYENS,
Vous venez de vous donner des institutions qui défient toutes les tentatives.
Vous êtes maîtres de vos destinées. Forte de votre appui, la représentation que vous venez d’établir va réparer les désastres causés par le pouvoir déchu : l’industrie compromise, le travail suspendu, les transactions commerciales paralysées vont recevoir une impulsion rigoureuse.
Dès aujourd’hui, la décision attendue sur les loyers ;
Demain celle des échéances ;
Tous les services publics rétablis et simplifiés ;
La garde nationale, désormais seule force armée de la cité, réorganisée sans délai,
Tels seront nos premiers actes.
Les élus du peuple ne lui demandent, pour assurer le triomphe de la République, que de les soutenir de leur confiance.
Quant à eux ils feront leur devoir.
Hôtel-de-Ville, 29 mars 1871.
La Commune de Paris
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La Commune de Paris décrète :
1° La conscription est abolie
2° Aucune force militaire, autre que la garde nationale, ne pourra être créée ou introduite dans Paris ;
3° La Tous les citoyens valides font partie de la garde nationale.
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La Commune de Paris,
Considérant que le travail, l’industrie et le commerce ont supporté toutes les charges de la guerre, qu’il est juste que la propriété fasse au pays sa part de sacrifice,
DÉCRÈTE
Art. 1er. Remise générale est faite aux locataires des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871.
Art. 2. Toutes les sommes payées par les locataires pendant les neuf mois seront imputables sur les termes à venir.
Art.3. Il est fait également remise des sommes dues pour les locations de garni.
Art.4. Tous les baux sont résiliables, à la volonté des locataires, pendant une durée de six mois, à partir du présent décret.
Art.5. Tous congés donnés seront, sur la demande des locataires, prorogés de trois mois.
La Commune de Paris
NOTA. – Un décret spécial règlera la question des intérêts hypothécaires.
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La Commune de Paris décrète :
ARTICLE UNIQUE
La vente des objets déposés au mont-de-piété est suspendue
Hôtel-de-Ville, 29 mars 1871.
La Commune de Paris
La remise totale et générale des loyers procure un grand soulagement à tous les locataires, ouvriers, artisans ou petits commerçants. Quelques propriétaires impatients et grincheux se rebiffent et tentent d'expulser leurs locataires insolvables, mais, dans l'ensemble, le maintien dans les lieux est acquis.
La vente des objets déposés en gage dans les Monts-de-Piété avait été suspendue le 15 août 1870. Le directeur de cette institution annonce le 20 mars 1871, que cette vente reprendrait le 1er avril. Le Comité central réagit aussitôt le 29 mars par ce décret maintenant la suspension des ventes jusqu’à nouvel ordre. Cette décision est accueillie avec enthousiasme, non seulement chez les ouvriers, mais aussi chez les artisans et les petits commerçants. Deux parisiens sur trois ont eu recours à « ma tante », comme on appelle familièrement les Monts-de-Piété, pour en tirer un prêt de vingt francs au plus, ce qui en dit long sur la misère.