Le décret des otages
PROCLAMATION AU PEUPLE DE PARIS
Citoyens,
Les monarchistes qui siègent à Versailles, ne vous font pas une guerre d’hommes civilisés ; ils vous font une guerre sauvage.
Les Vendéens de Charette, les agents de Piétri fusillent les prisonniers, égorgent les blessés, tirent sur les ambulances.
Vingt fois les misérables qui déshonorent l’uniforme de la ligne ont levé la crosse en l’air, puis, traîtreusement, ont fait feu sur nos braves et confiants concitoyens.
Ces trahisons et ces atrocités ne donneront pas la victoire aux éternels ennemis de nos droits.
Nous en avons pour garants l’énergie, le courage et le dévouement à la République de la garde nationale.
Son héroïsme et sa constance sont admirables.
Ses artilleurs ont pointé leurs pièces avec une justesse et une précision merveilleuses. Leur tir a plusieurs fois éteint le feu de l’ennemi, qui a dû laisser une mitrailleuse entre nos mains.
Citoyens,
La Commune de Paris ne doute pas de la victoire.
Des résolutions énergiques sont prises.
Les services, momentanément désorganisés par la défection et la trahison, sont, dès maintenant, réorganisés.
Les heures sont utilement employées pour votre triomphe prochain.
La Commune compte sur vous, comme vous pouvez compter sur elle.
Bientôt il ne restera plus aux royalistes de Versailles que la honte de leurs crimes.
A vous, citoyens, il restera toujours l’éternel honneur d’avoir sauvé la France et la République.
Gardes nationaux,
La Commune de Paris vous félicite et déclare que vous avez bien mérité de la République.
Paris, 4 avril 1871.
Aussitôt, l’exigence de représailles se multiplie dans les rangs de la garde nationale et dans les clubs. Le 5 avril, sur proposition de Charles Delescluze, l’assemblée communale adopte à l’unanimité un décret, publié le lendemain au Journal officiel.
Considérant que le gouvernement de Versailles foule ouvertement aux pieds les droits de l’humanité comme ceux de la guerre ; qu’il s’est rendu coupable d’horreurs dont ne se sont même pas souillés les envahisseurs du sol français ;
Considérant que les représentants de la Commune de Paris ont le devoir impérieux de défendre l’honneur et la vie des deux millions d’habitants qui ont remis entre leurs mains le soin de leurs destinées ; qu’il importe de prendre sur l’heure toutes les mesures nécessitées par la situation :
Considérant que des hommes politiques et des magistrats de la cité doivent concilier le salut commun avec le respect des libertés publiques,
DÉCRÈTE :
Art. 1er. Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d’accusation et incarcérée.
Art. 2. Un jury d’accusation sera institué dans les vingt-quatre heures pour connaître des crimes qui lui sont déférés.
Art. 3. Le jury statuera dans les quarante-huit heures.
Art. 4. Tous les accusés retenus par le verdict du jury d’accusation seront les otages du peuple de Paris.
Art. 5. Toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple des otages retenus en vertu de l’article 4, et qui seront désignés par le sort.
Art. 6. Tout prisonnier de guerre sera traduit devant le jury d’accusation, qui décidera s’il sera immédiatement remis en liberté ou retenu comme otage.
Ce « décret sur les otages » aboutit à l’arrestation de quelques dizaines d’otages, essentiellement gendarmes et prêtres, parmi lesquels se trouve l’archevêque de Paris, Georges Darboy.
Théoriquement, un jury d’accusation doit décider si la personne alors incarcérée relève ou non du statut d’otage. En fait, les jurys d’accusation ne sont officiellement mis en place que le 22 avril et ne fonctionneront véritablement qu’à l’extrême fin du mois. Il faut même attendre le 18 mai et l’annonce du viol et de l’assassinat d’une infirmière fédérée, pour que se durcisse la machine répressive de la Commune.
Le décret sur les otages semble avoir eu pour effet de tempérer l’ardeur de Versailles qui, jusqu’à l’offensive finale, suspend la pratique des exécutions sommaires. Avant le 21 mai, la porte reste ainsi ouverte à de discrètes négociations, sur le sort des otages et sur celui de Blanqui, emprisonné la veille du 18 mars. On sait qu’elles seront sans résultats : Thiers et son entourage ne veut d’aucune conciliation..
Tant que ne démarre pas la Semaine sanglante, l’appel à la Terreur est fréquent dans la presse communarde et dans les réunions de clubs. Mais il est globalement sans effet, comme si le spectre de l’engrenage retenait les responsables de la Commune, toutes tendances confondues.
Après le 21 mai, la tragédie ultime laisse toutefois la lace à la force, mais dans un face-à-face matériellement et symboliquement inégal.
Dans son « Histoire socialiste – La guerre franco-allemande (1870-1871) » Jean Jaurès écrit à propos du « Décret des otages » Page 367.
Nous avons tenu à reproduire ce document dans son texte intégral, puisqu'aujourd'hui encore il constitue contre la Commune une des charges le plus souvent et le plus complaisamment invoquées par les historiens d'hypocrisie et de mensonge. Ce décret était juste; était légitime: il était nécessaire. Il formulait la réplique obligatoire aux atrocités sans nom que les défenseurs des classes privilégiées avaient déjà commises. Par malheur, la Commune répliquait à une heure où les vrais otages, les plus précieux ministres, députés, généraux, grands brasseurs d'affaires et agioteurs, s'étaient garés à l'abri des canons de l'ordre et des chassepots de l'armée régulière reconstituée grâce à la permission et à la faveur prussiennes. Le gouvernement révolutionnaire ne pouvait appréhender que quelques attardés : un archevêque, un magistral, un banquier marron, des jésuites et des prêtres, tous gens dont Thiers et l'Assemblée nationale n'avaient en somme qu'un médiocre souci, Cependant la mesure sufflit pour paralyser jusqu'à la dernière semaine de mai la fureur de répression qui brûlait Versailles. Malgré tout. la Commune avait donc frappé juste.
Gustave Flourens
L’homme de sciences.
Par sa naissance, Gustave Flourens [1] appartient au milieu aisé de l’élite parisienne. Son père, Pierre Flourens, un temps député et pair de France, est un physiologiste renommé, professeur au Muséum et au Collège de France.
Après des études brillantes en lettres et en sciences, il est autorisé, à 25 ans, à suppléer son père dans sa chaire d’histoire naturelle. Très suivis, ses cours matérialistes et athées sont rapidement interrompus par le pouvoir bonapartiste. Ils sont néanmoins publiés sous le titre Histoire de l’Homme, tandis qu’il a rejoint l’Angleterre, puis la Belgique où il est un conférencier recherché.
Le révolutionnaire.
Idéaliste, il s’enthousiasme pour les mouvements de libération nationale que connaît l’Europe et s’engage très tôt dans le combat révolutionnaire sans frontières. Déjà en 1863, il est parti en Pologne, attiré par le soulèvement anti-tsariste. Mais, lassé des luttes partisanes, il écourte son séjour.
C’est en Grèce, en 1866-1868, que se forge son image de combattant intrépide. Au sein d’un groupe de volontaires, il participe à la rébellion victorieuse contre la domination turque en Crète, qu’il représente ensuite à Athènes. En route, il était entré en maçonnerie à L’Union d’Orient, à Constantinople.
De retour à Paris, il se lance, auréolé de prestige, dans le mouvement d’opposition engagé contre l’Empire. Chroniqueur militaire à La Marseillaise d’H. Rochefort, il est surtout un homme d’action, favorable au coup de force comme Blanqui dont il est proche. Il tente ainsi de fomenter la révolte lors des obsèques de Victor Noir en janvier 1870.
Pourchassé, il repart en exil et revient à Paris au début du siège. À Belleville où il vit, il est désigné chef des bataillons. À leur tête, il conduit, avec Gabriel Ranvier, l’insurrection du 31 octobre à l’Hôtel-de-Ville contre le gouvernement de Défense Nationale que dirige le général Trochu. Le soulèvement maté, il est incarcéré à Mazas d’où il est délivré en janvier 1871 par ses troupes, menées par son compagnon d’armes italien en Crète, Amilcare Cipriani [2].
Le « martyr de la liberté ».
Élu largement par le XXe arrondissement lors des élections à la Commune, il opte naturellement pour la Commission militaire et se consacre à la conduite des opérations contre l’armée versaillaise.
Nommé général, il participe, à la tête de la XXe légion, sous les ordres de Bergeret, à la sortie désastreuse sur Versailles du 3 avril. Réfugié dans une auberge, près de Chatou, après avoir assuré la retraite de ses troupes, il est surpris par des gendarmes qui le tuent froidement.
Inhumé dans l’intimité au Père-Lachaise, le héros martyr suscite aussitôt un culte. Son livre testament, Paris livré, est un gros succès de librairie et en hommage, un corps franc illustre se baptise les « Vengeurs de Flourens ». La légende s’est néanmoins vite estompée, au point que son rôle dans le mouvement communaliste est encore souvent ignoré.