Marche des femmes sur Versailles
Le 2 avril 1871, Versailles attaque. Dans l’émotion, sans vraie décision politique ni préparation, les généraux de la Commune décident une sortie, le 3 avril, catastrophique (assassinat de gardes nationaux prisonniers, d’Émile Duval et de Gustave Flourens).
Le 3 avril a lieu aussi « une » manifestation de femmes. Voici le « témoignage » de Béatrix Excoffon (ici en italiques), dont on ne sait ni quand il a été écrit, ni s’il n’a pas été réécrit par Louise Michel (c’est un appendice de son livre La Commune. Histoire et souvenirs). On lui confronte les informations données par les journaux au moment des faits.
Le 1er avril 1871 [le 3 avril — une erreur de date est la marque d’un témoignage authentique !], dit Béatrix Excoffon,
une voisine, surprise de me voir, me demanda si j’avais lu le journal qui annonçait, place de la Concorde, une réunion de femmes. Elles voulaient aller à Versailles pour empêcher l’effusion de sang.
Un article daté du 4 avril, dans Le Cri du Peuple (paru au matin du 3, Le Cri était daté du lendemain) publie dans ses colonnes l’appel à la mobilisation des femmes :
« Citoyennes !
Femmes de toutes les classes, Allons à Versailles! Allons dire à Versailles ce que c’est que la Révolution de Paris; Allons dire à Versailles que Paris a fait la Commune, parce que nous voulons rester libres ; Allons dire à Versailles que Paris s’est mis en état de défense, parce qu’on l’a calomnié, parce qu’on l’a trompé, et qu’on a voulu le désarmer par surprise ; Allons dire à Versailles que l’Assemblée est sortie du droit, et que Paris y est rentré ; Allons dire à Versailles que le gouvernement est responsable du sang de nos frères, et que nous le chargerons de notre deuil devant la France entière. Citoyennes, allons à Versailles, afin que Paris ait tenté la dernière chance de réconciliation. Pas le moindre retard. Réunissons-nous aujourd’hui même à midi, place de la Concorde, et prenons cette importante détermination devant la statue de Strasbourg. Une véritable citoyenne. » |
Suite du récit de Béatrix :
J’informai ma mère de mon départ, j’embrassai mes enfants, et en route.
À la place de la Concorde, à une heure et demie, je me joignis au défilé. Il y avait sept à huit cents femmes ; les unes parlaient d’expliquer à Versailles ce que voulait Paris, les autres parlaient de choses d’il y a cent ans, quand les femmes de Paris étaient allées déjà à Versailles pour en ramener le boulanger, la boulangère et le petit mitron, comme on disait dans ce temps-là.» [...]
Le Rappel du 4 avril :
Manifestation des femmes
Entre deux heures et trois heures passait dans la rue de Rivoli un cortège de plus de cinq cents femmes se tenant bras dessus bras dessous, agitant leurs mouchoirs au cri de : Vive la République, et se dirigeant sur la place de la Concorde. Tambours et clairons marchaient en tête. On assurait qu’elles allaient à Versailles.
Plus tard, vers quatre heures et demie, à l’extrémité du pont de Grenelle (rive droite), on a vu arriver du côté de Paris une longue file de jeunes femmes du peuple [...] au moins une centaine, par quatre de front, avec un petit carré de drap rouge sur la poitrine. Une trentaine d’intrépides gamins d’une quinzaine d’années ouvrait la marche, chantant le Chant du départ. [...]
- Où allez-vous ainsi, a demandé quelqu’un à une de ces vaillantes ?
- Nous allons à Versailles ! a-t-elle répondu du ton le plus simple et le plus naturel, rejoindre nos maris [il n’est pas question d’expliquer à Versailles ce que veut Paris]. [...]
Vers sept heures du soir, une femme portant un drapeau rouge, amassait et haranguait la foule sur la place du Château-d’Eau [République]. Elle disait qu’il fallait arrêter l’effusion de sang, et inviter ceux qui voudraient l’y aider à se trouver ce matin [le 4, c’est donc une autre manifestation] sur la place de la Concorde à huit heures.
- Nous irons à Versailles, et il faudra bien qu’on nous écoute !
Un journaliste du Siècle regarde la bataille depuis le Trocadéro (numéro du 4 avril) :
Vers trois heures et demie, nous apercevons une colonne précédée de bannières rouges qui vient par les quais de la place de la Concorde et paraît se diriger vers le Point du Jour. La colonne approche : en tête cinquante à soixante gamins qui chantent le Chant du départ.
À la suite, 250 à 300 femmes, ornées de rosettes rouges. Ces citoyennes annoncent qu’elles vont à Versailles sommer le gouvernement de cesser d’envoyer des bombes sur Paris. Elles invitent les dames qu’elles rencontrent à se joindre à elles. Ces invitations n’ont pas de succès.
Le Mot d’ordre du 5 (paru le 4 au matin), publie une brève sur une troupe de femmes armées de chassepots ?
La Sociale datée du 5 (un journal du soir, paru le 4 après-midi) dans « La journée d'hier » écrit :
Dans la matinée d’hier [le 3 avril], une députation de citoyennes en vêtements de deuil s’est rendue à l’Hôtel de Ville en annonçant que dix mille Parisiennes se disposaient à se rendre à Versailles.
Le Père Duchêne du 16 germinal (5 avril), dit qu’hier (le 3 avril, puisque le journaliste écrit le 4) il a rencontré place de la Concorde une longue file de citoyennes « allant à la bataille ». Rien dans Le Vengeur ni dans Le Journal officiel.
Laissons Béatrix continuer son récit :
La citoyenne de S.A. qui avait organisé la sortie, se trouvant rendue de fatigue, propose de se réunir quelque part.
Le quotidien La Commune, le 6 avril :
Quant à la manifestation organisée lundi par les femmes, elle n’a pu franchir l’enceinte de Paris.
Les gardes nationaux de service aux fortifications n’ont pas voulu laisser sortir les citoyennes parisiennes, dans la crainte qu’elles ne fussent mitraillées.
Béatrix ignore l’interdiction. Fin de son récit de cette journée :
Nous nous rabattons sur la salle Ragache [rue de Sèvres, chemin naturel vers le centre de Paris]. Là, il fallut nommer une autre citoyenne pour reprendre l’expédition, la fatigue de Madame de S. A. après une aussi longue marche ayant dégénéré en intolérables douleurs dans les jambes.
Je fus désignée pour la remplacer, alors on me fit monter sur un billard et je dis ma pensée que, n’étant plus assez nombreuses pour aller à Versailles, nous l’étions assez pour aller soigner les blessés aux compagnies de marche de la Commune.
Les autres se rangèrent à mon avis et notre départ fut convenu pour le lendemain. Il eut lieu quelques jours après.
Faisons confiance à Béatrix et aux deux journalistes qui ont rapporté, immédiatement, ce qu’ils avaient vu :
Il n’y a pas eu d’appel massif lancé aux femmes dans la presse en ce début avril,
mais un appel publié dans Le Cri, écrit peut-être par une institutrice, peut-être une Mme de S.A., qui a été lu et dont on a parlé,
des femmes sont peut-être parties en groupes d’ici ou de là,
un ou deux de ces groupes sont peut-être passés par l’Hôtel de Ville ou la rue de Rivoli,
plusieurs centaines de femmes se sont retrouvées place de la Concorde entre midi et trois heures – sans doute pas armées, ce que seul Le Mot d’ordre a affirmé (la garde nationale disposait de si peu de fusils modernes chassepot qu’il est peu vraisemblable qu’elles en aient eu),
elles sont parties vers le Point du Jour et la porte de Saint-Cloud (ou de Versailles), par le pont de la Concorde et le pont de Grenelle, avec un ou des drapeaux et insignes rouges, précédées de quelques dizaines de gamins chantant le Chant du départ et peut-être de tambours (?)
elles se sont arrêtées aux portes de Paris, pour une raison (fatigue) ou une autre,
elles sont retournées vers le centre en s’arrêtant salle Ragache rue de Sèvres,
Ensuite, certaines d'entre elles sont devenues ambulancières ou cantinières
il y a peut-être eu un autre rassemblement le 4 avril.
Lissagaray parle d’un bataillon de 300 femmes remontant les Champs-Élysées et demandant à sortir contre l’ennemi, mais la source de cette information n'a pas été trouvée..
Source :
Michel (Louise), La Commune, Stock (1898).
Vuillaume (Maxime), Mes Cahiers rouges. Souvenirs de la Commune (avec un index de Maxime Jourdan), La Découverte, 2011.
Lissagaray (Prosper-Olivier), Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).
Blog de Michèle Audin : https://macommunedeparis.com/2019/10/09/les-femmes-du-3-avril/
Émile Duval le général sans visage ?
Le 17 avril 1871, sur la demande de Léo Frankel et au nom de la municipalité du 13e arrondissement, la Commune de Paris décide que la place d'Italie prendra le nom de place Duval.
Émile Duval était né à Paris, le 27 novembre 1840, ouvrier fondeur, il exerçait sur ses camarades d'atelier une influence extraordinaire.
Membre de l'internationale, il parvint à former dans le 13e un des foyers les plus ardents de révolutionnaires qui commençaient à inquiéter très sérieusement l’Empire.
En 1869, il s'adressait aux travailleurs à la barrière Montparnasse en ces termes :
Il faut supprimer ce reste de féodalité qui ne s'appelle plus noblesse, mais bourgeoisie... Nous voulons l'égalité des salaires, que la valeur de chaque chose soit basée sur le temps qu'on a mis à la produire.
Nous voulons l'application du droit naturel, l'égalité nous supprimons l'hérédité, la propriété individuelle et le capital qui ne peut exister sans travail. En 1848, on a proclamé le droit du travail, nous proclamons l'obligation au travail.
Que celui qui travaille mange, mais que celui qui ne travaille pas n'ait aucun droit...
Par la collectivité, plus de paupérisme.
Ainsi parlait celui que le 13e arrondissement allait élire à la Commune de Paris.
Dans la nuit du 4 au 5 mars 1871, les délégués des bataillons de la garde nationale du 13e procédèrent à l'élection d'un Comité de vigilance, Duval en fut nommé président.
À partir de cette date, tout l'arrondissement était sous la direction de Duval et les mandats d'arrêt lancés contre lui ne purent jamais être exécutés.
Le matin du 18 mars, Duval était prêt et dès l'annonce des événements de Montmartre, à la tête des bataillons du 13e et du 5e, il prenait possession de la préfecture de police.
Après la fuite de Thiers, Duval conseilla au Comité central de marcher sur Versailles, il ne fut pas écouté et lorsque la décision fut prise, au début avril, il était déjà trop tard.
Avec l'aide de Bismarck, les Versaillais s'étaient renforcés, et lors de la sortie sur Versailles, le général Duval fut une des premières victimes de la férocité des armées gouvernementales.
Fait prisonnier sur le plateau de Châtillon, il fut dirigé sur Versailles, mais laissons ici la parole à Élisée Reclus, qui faisait partie du détachement de Duval :
Nous cheminions sur la route de Versailles, cinq par cinq, gardés de chaque côté par deux cadres de fantassins et de hussards. En face, on voyait arrêté un groupe de cavaliers étincelants : c'étaient Vinoy et son état-major.
La colonne s'arrête. Nous entendons des paroles violentes, un ordre de mort. Trois des nôtres, entourés d'une troupe de soldats, franchissent lentement un ponceau qui relie la route à un pré entouré de haies et limité à l'est par une maisonnette portant l'enseigne : « Duval, horticulteur ».
Nos trois amis s'alignent à vingt pas de la maison, ils montrent leur poitrine et relèvent la tête « Vive la Commune ! ». Les bourreaux sont en face. Je les vois un instant, cachés par la fumée et deux de nos camarades tombent sur la face. Le troisième chancelle, comme s'il allait tomber du même côté, puis se redressant, il oscille de nouveau et se renverse face au ciel.
C'était Duval. Un des fusilleurs se précipite sur lui, arrache les bottes à l'homme qui frémissait encore et, deux heures plus tard, dans la poussière, triomphal à travers les rues de Versailles, le soldat fait parade de son butin...
Son corps ne fut jamais retrouvé, les journaux de la Commune et les journaux Versaillais firent état de sa mort, ce qui n'empêcha pas le 6e Conseil de guerre de le condamner par contumace, le 4 février 1873, à la déportation à vie en enceinte fortifiée et, en 1879, une fiche de police constatait que sa résidence actuelle était inconnue et les renseignements sur sa conduite étaient suivis de : néant...
Le cynisme du gouvernement de Thiers après la Commune n'eut pour égal que la férocité des troupes versaillaises pendant les combats.
La sépulture du général Duval est restée inconnue et en dehors de ses contemporains, nul n’a connu son visage, car en effet, de tous les membres de la Commune, seul le portrait d’Émile Duval est resté introuvable.
Son corps a disparu, son visage est inconnu, mais son idéal vit encore, un siècle après sa mort.
L’article de Jean Braire est paru dans La Commune Revue d’Histoire de l’Association des Amis de la Commune 1871, N° 8 – septembre 1977.