Relisons Bernard Noël :
Le problème du théâtre ne vint en discussion, au Conseil de la Commune, que le 19 mai.
Édouard Vaillant défendit le rattachement des théâtres à l'Enseignement. Il fit valoir :
Les théâtres doivent être considérés surtout comme un grand établissement d'instruction ; et, dans une République, ils ne doivent être que cela. Nos ancêtres l'avaient compris, et la Convention, dans un décret de germinal an II, avait décidé qu'une commission, celle de l'Instruction publique, aurait la surveillance des théâtres.
C'était réclamer là un dirigisme assez peu propice à l'art en général, et au théâtre en particulier, mais le fait s'explique, dans la mesure où le théâtre, durant L'Empire, n'avait guère cultivé que la légèreté « parisienne », reflet de l'indigence intellectuelle des classes dirigeantes. Cette analyse est fort bien perçu par l'historien-poète Bernard Noël.
Le décret suivant fut alors adopté.
« La Commune de Paris,
Conformément aux principes établis par la Première République, et déterminés par la loi du 11 germinal an II, décrète :
Les théâtres relèvent de la délégation à l'Enseignement. Toute subvention et monopole des théâtres sont supprimés. La délégation est chargée de faire cesser, pour les théâtres, le régime de l'exploitation par un directeur ou une société, et d'y substituer, dans le plus bref délai, le régime de l'association. »
Mais ce décret parut au Journal Officiel du 21 mai, le jour de l'entrée des versaillais dans Paris.
La partie la plus intéressante est évidemment la dernière phrase qui annonçait la mise en autogestion des théâtres par leur appropriation aux comédiens.
Rappelons aussi qu'un arrêté du 10 septembre 1870 avait ordonné la fermeture des théâtres, pour cause de guerre.
Situation sociale
Catherine Naugrette-Christophe rappellle que la situation sociale des comédiens travaillant dans les théâtres populaires apparaît en tous points semblable à celle des ouvriers ou des artisans qui forment une partie de leur public. Eux-mêmes sont pour la plupart issu du même milieu défavorisé.
Le miroir entre la scène et la salle, l'envers et l'endroit du théâtre fonctionne pleinement: on découvre de part et d'autre une semblable misère. Les deux mondes, celui des acteurs et celui des spectateurs sont réversibles, et la même personne, homme ou femme, peut fort bien passer de l'un à l'autre sans presque s'en apercevoir, selon que le hasard lui permet de trouver du travail(mal payé) d'un côté ou de l'autre du miroir.
Les Goncourt dans leur journal, sous l'Empire, en 1854, avait relaté cette anecdote rappelant le contexte socio-économique.
M. Hiltbrunner, directeur des Délassements, à l'architecte Habouillet :
_ Monsieur , mon théâtre est un bordel !
_ Oh, Monsieur !
_ Non, Monsieur, mon théâtre est un bordel ! C'est tout simple. Je ne donne à mes actrices que 50 à 60 francs par mois.
j'ai 30 000 francs de loyer, je ne puis donner que cela[...]Souvent une femme vient me trouver en me disant que les 50 francs, ce n'est pas assez, qu'elle va être oblgée de raccrocher, de faire des hommes dans la salle, à 5 sous... Ca ne me regarde pas : j'ai 30 000 francs de loyer !
Les spectacles pendant la Commune
Comment les Parisiens ont-ils occupé ce qu'il leur restait de loisir ? Les théâtres étaient-ils encore ouverts ? Y avaient-ils des concerts ? Les Parisiens fréquentaient-ils les spectacles ? Quelle influence les évènements ont-ils exercés sur ces spectacles ?
Après le 18 mars, Paris flâne : les Parisiens préparent les élections, se promènent, commentent les évènements :
21 mars, Le Bien Public :
« La population endimanchée flâne sur les boulevards par un beau soleil, et ne paraît pas se rendre compte que l'unité et l'existence même de la France sont mises en péril. »
12 avril, l'actrice Aimée Desclée :
Je rentre du Demi-Monde. Figure-toi que nous avions une très belle recette. On entendait le canon de temps en temps, et le public était très gai. Dans la journée, réquisition, terreur, enterrements avec mise en scène; et le soir, théâtre, farces, blagues et divertissements.
Quel a pu être le public des spectacles durant la Commune ?
André Tissier, qui fut directeur de l'Institut d'Etudes théâtrales de la Sorbonne (1970) nous le présente.
Après les premiers moments et les départs semi-clandestins d'avril, il reste à Paris les "penseurs ", hommes politiques, journalistes, intellectuels, favorables à la Commune; les commerçants, décidés à maintenir leurs commerces avec profit; les soldats ralliés à la Commune; quelques riches oisifs qui se font oublier au milieu de leur confort et de leurs provisions ; les bourgeois, d'abord sympathisants, puis inquiets, enfin franchement hostiles et, qui faute de pouvoir fuir, cherchent à ne pas trop pâtir ni à se compromettre en attendant " la délivrance ". Les femmes sont partout, mais surtout dans les clubs, où elles revendiquent leurs droits à la liberté. La plupart des ouvriers sont mobilisés dans la garde nationale; et le soir, on ne rencontre en civil que les hommes de plus de 40 ans.
À quoi s'ajoute le public de ceux qu'on appelait " les petits crevés ", les "cocodettes ", les " titis " , public tout disposé à se divertir de n'importe quoi.
À partir de la mi-avril, les denrées alimentaires se font plus rares et les prix augmentent (La Liberté du 15 avril) La vie à Paris le soir, devient de plus en plus difficile. Le gaz, rendu aux Parisiens après le départ des Prussiens, fait de nouveau défaut, et l'éclairage des rues est mal assuré (Le Soir du 10 avril : « tous les cafés et lieux publics doivent être fermés à 11 heures du soir ») Pendant la Commune, les représentations eurent toujours lieu entre 6h 3/4 et 8 h, la plupart à 7h 1/2 ( NDLR : les horaires du soir sur les affiches ne sont pas indiqués 18h, 19h ou 20h...). La rareté des voitures ne permet pas aux spectateurs éventuels de se déplacer.
De plus en plus fréquemment, le soir, on bat " la générale " et les troupes se rassemblent. On s'est habitué pendant le siège au bruit de la guerre : et le canon, les fusillades, le crépitement des mitrailleuses n'étonnent plus. Mais la proximité des combats incite à la prudence.
Élie Reclus note le 19 mai:
Peu de théâtres ouverts. Presque personne n'y va. Le moyen d'aller écouter une tragédie en cinq actes, des gaudrioles ou des calembours quand nos murailles vibrent et tremblent sous l'effort furieux des boulets de fonte et d'acier...
Le théâtre sous la Commune restera, la Comédie Française mise à part, celui des petits théâtres, et essentiellement celui des boulevards.
Des associations égalitaires de comédiens s'organisent; mais les troupres constituées hâtivement sont composées d'éléments hétéroclites et n'ont souvent qu'une vie fort courte.
Après le siège, avant le 18 mars, l'Opéra, les Italiens, l'Odéon, le Théâtre- Lyrique, l'Opéra-comique, le Chatelet, le théâtre Dejazet ne rouvriront pas.
Le Gaulois du 10 mars écrivait :
Le monde des théâtres a beaucoup souffert des malheurs publics ; c'est peut-être un de ceux qui ont le plus pâti ; et on pense que ce monde se compose de 100 000 personnes - tant artistes que musiciens, employés, ouvreuses, ouvriers de toute espèce - on doit comprendre qu'il est urgent d'aider à tout ce qui peut lui rendre un peu de vie.
Au 18 mars, ils ne sont que 9 théâtres - en-dehors de la Comédie Française, la seule salle à n'avoir jamais interrompu ses représentaions - à présenter un programme: l'Ambigu-Comique, le Château-d'Eau, les Délassements Comiques, les Folies-Dramatiques, la Gaîté, le Gymnase, les Menus-Plaisirs, les Variétés, le Vaudeville.
4 autres théâtres vinrent s'ajouter : les Folies-Athènes, les Folies-Bergère, les Nouveautés et le Palais Royal.
Que joue-t-on ?
Presque uniquement des reprises. Tout en préparant des pièces nouvelles, les comédiennes et comédiens resté.e.s à Paris, ont puisé dans le répertoire des pièces qui avaient fait leur preuve. Après le 18 mars, la plupart des comédiens restèrent sur place.
L'Ambigu-Comique : Milord l' Arsouille ou les Mystères de la Courtille, drame, tint l'affiche pendant toute la Commune. L'Ambigu-Comique échappa aux flammes qui détruisirent le Théâtre de la Porte Saint-Martin et compta parmi les 1ères salles rouvertes.
Le Théâtre du Château d'eau : programme varié: vaudevilles, comédies-vaudevilles, drames. Le jeudi 30 mars, une représentation "au bénéfice des artistes " . Ce jeudi, première du Procès des francs-fileurs. Jouée jusquà fin avril, c'est la seule pièce de circonstance pendant la Commune. Elle faisait allusion aux hommes valides âgés de moins de 40 ans et qui, par différents stratagèmes, parvenaient à sortir de Paris pour ne pas servir dans la Garde nationale.Un drame lui succéda jusqu'au 21 mai. Philippe Chauveau nous narre que le concierge du théâtre sauva l'édifice qui jouxtait la barricade commandée par Maxime Lisbonne, de l'incendie,
Les Délassements-Comiques fut un des théâtres les plus fréquentés. Pour une féérie en 4 actes et 12 tableaux,les Contes de fées, crées le 5 mars, avec "un essaim de jolies femmes " . Certains hommes vinrent jouer dans leur uniforme de la Garde nationale.
Les Folies-Dramatiques : reprise du Canard à 3 becs, opéra-bouffe, joué pendant toute la Commune.
La Gaîté : réouverture le 16 mars, féérie à succès, la Chatte blanche,jusqu'au 10 avril. Les comédiens se réunirent en société pour la reprise d'un drame, joué jusqu'ai 21 mai, la Grâce de Dieu ou la nouvelle Fanchon, créé dans ce même théâtre en ... 1841. La Gaîté enregistra les plus fortes recettes: 4 500 francs de bénéfice en un mois. Philippe Chauveau relate que l'un des comédiens Pierre Grivot, costumé en Pierrot, tenait le contrôle, tandis que son épouse Laurence quêtait dans la salle.
Le Gymnase fut le plus actif. Dans la 2e quinzaine de mai, il annonce au public " seul théâtre qui soit resté fidèle à son poste et à son répertoire ". Il reprend le 10 mars Froufrou, comédie de Meilhac et Halévy créée en 1869, mais interrompue par les événements de 70. On y joue entre autres du Victorien Sardou, du Labiche, de l'Alexandre Dumas fils...Une vingtaine de pièces y sont jouées. Le dimanche 21 mai, " représentation extraordinaire, au bénéfice d'une actrice " , de 4 pièces. Recette de " 2355fr 25 " , alors que le 19 mai, Phèdre à la Comédie Française ne rapporte que 54 francs.
Ce 21 mai, pendant le second entracte, on était venu annoncer à Assi, l'ancien métallo du Creusot, qui était dans la loge de l'Empereur, avec plusieurs membres de la Commune, que les troupes versaillaises étaient entrées dans Paris.
Les Menus-Plaisirs : La troupe avait été reconstituée avec ceux que laissait inoccupés la fermeture de plusieurs grands théâtres. Elle joua, sans autorisation, le repertoire de l'Opéra : Le Barbier de Séville, les Noces de Jeannette,le Maître de chapelle...Le 27 mars, première du Siège des épiciers, vaudeville (allusion aux animaux du Jardin des Plantes livrés à la consommation). Le dimanche de Pâques, le 9 avril, on affiche le Jésuite, pièce anticléricale, jusqu'au 27 avril.
Les Variétés : Un des premiers théâtres à rouvrir après le siège. Au programme, un comédien célèbre Lesueur présenta, en mars-avril ses anciens succès : comédie, comédie-vaudeville, complétées par un opéra-comique avec d'autres actrices et acteurs. Interruption au milieu avril, puis fin des représentations à la fin du mois.
Le Vaudeville : reprise le 18 mars, jusqu'au 26 d'une pièce de ...1854. A cette date, alternance avec une pièce de Labiche, puis une autre pièce de Labiche à partir du 31 mars. Dans la 2e quinzaine d'avril, les représentations cessèrent. En mai, quelques représentations extraordinaires
D'autres salles ont ouvert leurs portes sous la Commune, mais irrégulièrement.
Au Beaumarchais, fin mars-début avril, quelques drames à succès. Dans les derniers jours de la Semaine sanglante, le relevé des recettes s'élève à 263 francs 50, résultat appréciable.
Les Bouffes-Parisiens reprennent le 16 mars un opéra-bouffe d'Offenbach jusqu'à début avril.
Le Châtelet attendit la 2e quinzaine de mai pour le célèbre drame Le Courrier de Lyon. On nota "grand succès " les 18, 19 et 20 mai.
Le Théâtre de Cluny : Le 18 mars, représentation extraordinaire donnée par les comédiens de l'Odéon( Les Folies amoureuses de Régnard et le Malade imaginaire de Molière). Puis relâche et reprise fin avril-début mai avec Le médecin des enfants.
Les Folies d'Athènes : une pièce " politique " , jouée en mars, avec succès, J'ai mon plan ! Trochu est bien sûr un des personnages.
Les Folies-Bergère : Club pendant le siège, elles retrouvent un rôle de théâtre avec un répertoire varié par des acteurs venus d'un peu partout, avec du 18 mars à la fin avril des reprises de créations de 1846 à 1869 : mélo, vaudeville, comédie, pochade; 2 créations : " un déraillement d'esprit ", ramassis de plaisanteries traditionnelles sur les belles-mères et un vaudeville, le 28 mars.
Les Folies-Marigny : Elles ont cessé leur activité quand le quartier des Champs Elysées fut directement menacé. En mars-avril, on a pu voir vaudeville, opéras-comiques, comédie-vaudeville et comédie.
Les Nouveautés : " on demande un locataire ", écrivait le Gaulois, le 10 mars. On afficha la vie de Bohème en avril et deux vaudevilles. Pas de nouveautés aux Nouveautés.
Le directeur du Théâtre de la Porte St-Martin avait loué son théâtre à ses comédiens. Ils firent la réouverture le lundi 20 mars avec les Misérables, tiré par Charles Hugo du roman de son père. Mais le théâtre ferme vite ses portes.
Les comédiens du Palais-Royal s'étaient, eux aussi, constitués en société et ne donnaient , eux aussi, que des reprises, mais puisées dans leur répertoire. La pièce la plus souvent jouée est le Carnaval d'un merle blanc, folie parée et masquée en musique. Un vaudeville l'accompagnait toujours. Au début d'avril, les comédiens se séparèrent et le théâtre ferma.
Ainsi compte tenu du nombre relativement restreint de gens en mesure de se rendre au théâtre le soir, il apparaît que les spectacles dramatiques n'ont pas manqué aux Parisiens pendant la Commune.
Cependant les théâtres parvinrent de plus en plus difficilement à faire leurs affaires. Une des raisons majeures en semble le peu d'attrait qu'exercèrent sur les esprits les pièces qu'on leur offrait. Le public attendait beaucoup du théâtre.
Dans le Siècle, le 20 mars , on peut lire :
Le théâtre doit être purgé des inepties et des incohérences que faisaient naturellement éclore les moeurs du second empire. le public qui a subi l'invasion allemande et qui a supporté les souffrances du siège de Paris ne saurait être disposé à s'amuser encore de pataquès, de mots estropiés, de calembours idiots(...) Ramenons le théâtre à sa véritable mission, qui est d'instruire en amusant, d'élever en intéressant, de châtier le vice par la terreur ou le ridicule, de propager la vertu par la sympathie et l'admiration.
Il souhaitait :
Des oeuvres où on voit les auteurs appuyer de toutes leurs forces les institutions et les mesures qui tendent à fonder le régime de la liberté et à assurer le bien public; où on les voit prêcher le civisme, les bonnes moeurs, le désintéressement, la concorde, le respect des lois, le dévouement à la patrie, et livrer à la risée ou à l'indignation les préjugés, la mauvaise foi, la trahison, les accapareurs, les alarmistes, les trembleurs, les sycophantes de toute espèce, les contre-révolutionnaires.
En 2 mois, le théâtre n'eut pas le temps ni souvent la possibilité de s'ouvrir à l'actualité et de mettre en action les grands problèmes du jour. Le manque de moyens contraignait les comédiens, malgré leur bonne volonté à se contenter des vieilleries du boulevard.
André Tissier, dans son article " les spectacles sous la Commune " , nous livre cette réflexion.
Un esprit nouveau réclamait des choses nouvelles : l'organisation de la Commune, ses débats, ses premiers actes en était un exemple vivant, dont chaque Parisien, en lisant son journal, pouvait prendre conscience. Un monde ancien s'effondrait : tous les espoirs étaient permis pour une ère nouvelle et généreuse.
Chacun avait ainsi ses idées . Aussi est-ce moins au théâtre que se rendaient les Parisiens épris de spectacles, qu'aux concerts où une musique martiale,des Marseillaise et des Chant du départ électrisaient les coeurs guerriers.On allait aussi dans les cafés, ou dans les clubs, chaque jour plus nombreux, où la discussion était ouverte à tous les novateurs. La rue elle-même offrait son spectacle, le spectacle de l'histoire qui se fait.
Les concerts
Il y avait les concerts traditionnels.
En soirée, pour l'Opéra, à 8 h. Le 19 mars, on annonçait la " 20e soirée depuis la guerre ". Un concert était prévu le lundi 22 mai " au bénéfice des victimes de la guerre et du personnel de l'Opéra, avec le concours des artistes de l'Opéra, de l'Opéra-Comique, du Théâtre des Italiens et du Théâtre-Lyrique. L'entrée des versaillais stoppait cette soirée.
Les concerts de l'Alcazar d'hiver se déroulaient tous les jeudis, samedis et dimanches et au Casino-Cadet tous les dimanches.
Plus prisés, car plus sûrs, étaient les concerts de l'après-midi, très souvent " au bénéfice des veuves, blessés et orphelins de guerre " . On prenait soin d'inclure des nouveautés révolutionnaires. L' Eldorado ajouta un chant Assez de sang !
Le concert du 6 mai
Le 1er concert patriotique fut donné dans la salle du trône aux Tuileries, le 6 mai( recette de 12 000 francs pour les blessés, les veuves et les orphelins). 10 à 15 000 personnes qui avaient pris leurs billets à l'avance n'ont pas pu trouver à se placer. Au programme , la Marseillaise ; le Lion surpris,texte du 28 janvier 1871, de Roussel de Méry, qui s'était promu " poète populaire " , récité par Mlle Agar, de la Comédie Française; des poèmes extraits des Châtiments de Victor Hugo, récités par des artistes des théâtres de Paris... Mme Bordas, diva de l'époque " superbe en son peplum flottant " que traversait "une écharpe écarlate " chanta la romance " le Bonheur des champs " , puis à la demande de la foule, entonna " de sa voix d'airain " cet hymne :
C'est d'la canaille !
Et bien ! ... j'en suis !
Pendant ce concert, on avait soudain entendu le canon du Mont-Valérien répondre à celui du Trocadéro: un officier vint rassurer la foule: et le concert continua jusqu'à ... minuit.
Les cafés
Les cafés eurent aussi leur public.
Les adversaires de la Commune ont souvent à plaisir taxé d'ivrognerie les chefs fédérés. Il est certain que les cafés furent fréquentés par les dirigeants, par les gardes nationaux. Mais nous avons cette lettre d'un garde national publiée par l'Affranchi du 16 avril :
Dans l'intérêt de la morale et de l'exemple patriotique, ordonnez donc une fois pour toutes, une solide razzia dans certains cafés constamment occupés, soir et matin, par une nuée de gandins, de petits crevés, devisant, politiquant, blaguant sur les événements de la journée, et cela en compagnie de cette affreuse graine, affreuse vermine que l'on nomme la cocotte de bas-étage. Je vous assure, citoyens, que lorsqu'on vient de se battre et d'exposer sa vie près d'Issy et de Vanves, comme je l'ai fait, il est triste et peu édifiant, quand on rentre à Paris, d'assister au spectacle que nous donnent ces drôles-là lorsqu'ils s'abattent dans les cafés du boulevard St-Michel et dans bien d'autres endroits que vous connaissez...
Les cafés sont devenus des lieux de réunion commode.
Les clubs firent concurrence aux cafés. À partir de la mi-avril et en mai, il n'est pas de jour où un nouveau Club n'invite les parisiens à prendre part à des discussions. On va donc investir les salles de spectacles vides et les églises. La 1ère église transformée en club fut St-Nicolas-des-Champs.. On discute de la Commune de Paris, de son rôle et de ses attributions.
On est loin de Labiche et d'Offenbach, du Canard à 3 becs et du Carnaval d'un merle blanc !
Pressée par les évènements et le temps, la Commune n'a pu que hâtivement rassembler le peuple à des "cérémonies populaires " comme au temps de Robespierre. Elle n'a pu qu'imposer des concerts patriotiques. Le théâtre, contraint de vivre du répertoire du boulevard ne put qu'élaborer des projets. Mais la preuve fut faite, par la foule considérable que ces concerts attirèrent, qu'il était possible de rassembler le peuple pour un spectacle enfin regénéré.
Antoine, le dramaturge a écrit, plus tard, sous la IIIe République :
Paris va entrer dans une fermentation incessante de pensée; les courants les plus modernes se révèlent. Cette liberté qui vient féconder les moeurs publiques va galvaniser la production artistique.
Plus tard, la Commune fournira et fournit encore, des thèmes aux auteurs dramatiques.
Anré Tissier conclut, à la veille du centenaire de 1971 :
La Commune aura inspité ce théâtre: il n'aura pas été le sien.
La Commune de Paris de Jules Vallès
Composée en 1872, cette pièce composée de 5 actes et 11 tableaux est réputée injouable.Seuls, les 2 derniers actes traitent de la Commune ; acte IV: l'insurrection ; acte V : les conseils de guerre de Satory.
L'oeuvre s'ouvre sur les barricades de juin 1848. Le jeune Vallès, à Nantes, avait assisté au départ des pontons des relégués.
1er acte: " Troupeau " des déportés. Un vieux républicain Chauvelot. Dans la foule, son fils arbore une croix gagnée contre les émeutiers.
4e acte: le lieutenant Landri, alias Dufour, brute avinée, abat son fils qu'il ne reconnait pas. Vallès imagine par 2 fois, un père et un fils de part et d'autre des barricades. Quand Vallès composa sa pièce, il entamait un long exil.
Vallès propose un traître Largillière , républicain de juin 48, passé mouchard sous l'Empire. Le personnage de Bryas rappelle la personnalité de Vallès. Il greffe sur le thème politique une intrigue romanesque, rivalité entre une vaillante fille du peuple et une courageuse Madame de. Il rajoute " un versailleux " au grand coeur, Bonnal, frère de Mme de.
" l'Ecureuil " , jeune gamin, est de la lignée de Gavroche.
Raymonde Temkine (1911-2010) critique, juge la pièce:
Impression retirée ? « La justesse des comportements collectifs, la convention de ceux des protagonistes, en qui Vallès a voulu présenter la gamme des réactions posssibles dans la situation donnée. Sociologue peut-être, mais piètre psychologue. L'erreur est d'ailleurs d'avoir voulu introduire la psychologie dans l'épopée(...) Il faut lire l'Insurgé, commencé en 1881(...)On se prend à regretter que Vallès n'ait pas adopté pour la Commune de Paris le ton de l'humour macabre, comme dans l'Insurgé.
Chaudet, comment est-il mort ?
- Pas mal !
- Et les gendarmes?
- Pas bien!
Les mouvements de foule seraient mieux exploitées sans doute par le cinéma.
Pièce encore à mettre en scène.
La Comedie-Francaise
Lorsque la Commune prit le pouvoir dans Paris, la Comédie-Française était presque à l'agonie. La subvention gouvernementale avait été suspendue après le paiement du 6 octobre 1870. Le 30 novembre, le caissier avait prévenu les membres du personnel qu'ils recevaient ce jour-là leur traitement normal pour la dernière fois. On avait alors puisé dans le fonds de réserve pour assurer à chaque employé une allocation de survie. Les recettes ne couvraient pas les frais de production.
La Comédie-Française avait mis son honneur à rester ouverte pendant le siège. Elle avait survécu, en dépit du froid, de la faim, de la difficulté des transports, des bombardements. Une partie du théâtre avait été transformé en ambulance. Le 30 janvier, Didier Seveste, jeune pensionnaire, engagé volontaire dans la garde mobile, blessé à Buzenval, était venu y mourir.
Privée de plusieurs de ses sociétaires, la Comédie-Française n'avait pu assurer que 10 spectacles en janvier, et 10 encore jusqu'au 26 février.
Le 26 ? Paris apprend que la paix avait été signée à Versailles. Le registre du théâtre note :
La France étant en deuil, le Théâtre-Français fait relâche pendant 8 jours.
La Comédie-Française rouvre ses portes le dimanche 5 mars. Les 9, 10, 12, 14, 16, 17 mars : représentations assurées.
Le samedi 18 mars ? la représentation n'eut pas lieu. Le registre note :
Les troubles révolutionnaires qui ont éclaté dans Paris ont forcé la Comédie à fermer ses portes pendant quelques jours. " Le 23 : Les tristes événements de la Place Vendôme (NDLR: manifestation des bataillons de l'ordre, réprimée)nous ont obligé à retourner notre affiche et attendre pour rouvrir que la tranquillité soit revenue dans Paris .
L'administrateur Édouard Thierry se rendit à Versailles le lundi 27 mars pour essayer de connaître les intentions du gouvernement Thiers. Le ministre de l'Instruction publique l'évite. Le lendemain, Jules Simon, de mauvaise humeur, l'autorise à faire un emprunt, mais sans aucune garantie de subvention. Les comédiens rejettent ce projet. On envisage d'aller chercher à l'étranger les recettes que Paris ne pouvait pas fournir.. La Société se scinderait en 2 troupes: une pour maintenir le théâtre ouvert, l'autre irait à Londres, Bruxelles,Amsterdam, Vienne pour assurer des recettes pour Paris. D'autres théâtres avait aussi pensé au pactole étranger. Le 1er mai pour la 1ère fois de son histoire, la Comédie-Française jouait devant le public anglais( Tartuffe et le Dépit amoureux ). " L'excursion dramatique " dura 74 jours, au-delà de la Commune.
La collaboration des artistes était sans cesse demandé au profit d'oeuvres de bienfaisance. Ernest Coquelin et Mlle Agar étaient priés de jouer de courtes pièces ou de dire des vers à toutes les représentations à bénéfice. A Versailles, cette participation était vue d'un très mauvais oeil et le Figaro insinuait que Mlle Agar serait envoyée à Cayenne...
À la suite de la venue au spectacle de Jules Vallès, la Comédie-Française fut priée de retirer le faisceau de drapeaux tricolores placé à l'architrave au-dessus de la scène, depuis le 4 septembre, pour dissimuler les armoiries de l'Empire. Il fallut peindre de toute urgence un vaste écusson portant les initiales R.F.
Chacun aspirait au retour à une vie de travail ordonnée, à la joie vitale de voir chaque soir le rideau de la Comédie Française se lever sur une belle pièce , bien jouée.
Mlle Agar
Marie Leonie Charvin est née à Sedan le 18 septembre 1832. Pour éviter des déboires familiaux, elle vient à Paris, prend des leçons de déclamation. C'est là qu'elle choisit son nom de scène: Agar. Elle débute en décembre 1859. Elle est remarquée par Francisque Sarcey. Après des rôles dans divers théâtres, elle joue Andromaque et Iphigénie à la Comédie-Française. Le 6 août 1870, elle " déclame superbement " la Marseillaise. " Je suis partout où je puisse être en aide aux malheureux. " Elle est sollicitée pour le concert du 6 mai, du 11 mai. On veut entendre la Marseillaise . Elle dit au public: j'ai chanté la Marseillaise en face de l'étranger, et de toute mon âme, contre l'étranger: mais n'ayant plus l'ennemi de la France devant moi, je ne veux plus savoir le cri de l'appel aux armes !Après quelques secondes de silence, les assistants applaudirent à tout rompre. Elle est citée au Journal Officiel de la Commune.
Mlle Agar paiera durement pendant toute sa carrière les hommages rendus aux Communeux.Elle ne fut jamais sociétaire. Paralysée, elle mourra à Mustapha, près d'Alger le 14 août 1891. A la fin de sa vie, Sarah Bernhardt sera un soutien pour elle.
(NDLR: même mariée, une comédienne du Français est appelée mademoiselle)
Sarah Bernhardt
Évoquons en quelques lignes Sarah Bernhardt et la Commune . Elle relate son vécu dans ses Memoires : ma double vie (1907)
J'avais pour amis une dizaine de chefs aux différentes opinions, et tous m'intéressaient: les plus fous et les plus sages
Gambetta, " homme admirable "; Rochefort, " dont l'esprit me ravissait " ; Paul de Rémusat " républicain beaucoup plus avancé que Thiers " : Flourens " je voyais souvent un grand fou plein de rêves et de folles utopies(...) Il voulait le bonheur pour tous, la fortune pour tous (...)Je le vis 2 jours avant sa mort " ; Raoul Rigault
il était très jeune, très audacieux , d'une ambition folle (...) Il faisait partie de cette bande d'étudiants qui m'envoyaient chaque jour des vers et que je retrouvais partout, enthousiastes et fous. On les avait surnommés les Saradoteurs
Cependant, la vie n'était plus tenable à Paris. Je décidai de partir pour St Germain.
Sarah Bernhardt prit le parti de Versailles. Cependant, elle raconte un épisode qui s'est passé lors d'une promenade à cheval avec le capitaine O'Connor qui fut sans pitié pour un combattant communeux. " Je conservai une grande amitié pour O'Connor, mais je ne pouvais jamais le voir sans penser à cette triste scène. Et soudain, quand il me parlait, ce masque de brute dans lequel il m'apparut une seconde se collait sur son visage rieur. "
Rosa Bordas, "La" Bordas
Marie-Rosalie Martin est née à Monteux, près d'Avignon, en 1840. Très jeune, elle chante dans le café familial " le café des Rouges ". Elle peut chanter aussi bien des cantiques que la Marseillaise. Elle se fait une spécialité de la Canaille, ecrite en 1865, par Alexis Bouvier, sur une musique de Joseph Darcier. Cette chanson avait été reprise par la foule des présents aux obsèques de Victor Noir. Elle est vraiment une interprète, au sens actuel du terme, car elle met en scène ses chansons, en costume, avec le drapeau tricolore. Elle était mariée à Eugène Bordas, guitariste ambulant. le couple est engagé est janvier 1870, au Grand Concert Parisien. " La " Bordas conquiert Paris. Elle sera des concerts de mai 1871. Après la répression, elle osera revenir à Paris. Puis, elle ira 15 ans à Alger. On émet l'hypothèse de retrouvailles avec Agar. Elle meurt à Monteux en 1901.
Sources :
Revue Europe : La Commune de Paris n°499-500, novembre-décembre 1870, Éditeurs Français Réunis comprenant :
- Les spectacles pendant la Commune par André Tissier, directeur de l'Institut d'Etude théâtrales de la Sorbonne ( p 179- 198)
- La Comédie Française pendant la Commune par Sylvie Chevalley (p 199- 210)
- La Commune au théâtre par Raymonde Temkine(p 210- 226) : sujet non traité ici qui concerne 6 pièces de théâtre évoquées pour le centenaire en 1971: Le Printemps 71 d'Arthur Adamov; La Commune de Paris de Jules Vallès, réputée injouable; Les jours de la Commune de Bertolt Brecht; Les Treize Soleils de la rue St Blaise d'Armand Gatti ; La Butte de Satory de Pierre Haley. Cette pièce est proposée actuellement en lecture-passion par les Amies et Amis du Berry de la Commune de Paris-1871 et l'association Paroles publiques(contact courriel :
Dictionnaire de la Commune par Bernard Noël, édition 1971, Fernand Hazan éditeur
La Commune de Paris 1871 ouvrage coordonné par Michel Cordillot, chapitre La Commune et les arts par Jean-Louis Robert (P 517-521)
Les théâtres parisiens disparus(1402- 1986) par Philippe Chauveu, préfacé par Claude Rich ed. de l'Amandier, peu en sympathie avec la Commune.
Paris sous le second Empire, le théâtre et la ville par Catherine Nugrette-Christophe, éd. Librairie Théâtrale, 1998
l'Imaginaire sous la Commune par Kristin Ross, éd. La Fabrique, 2015
Dictionnaire des comédiens français par E. Jorel, éd. librairie Théâtrale, non daté
Ma double vie par Sarah Bernhardt, éd. Charpentier et Fasquelle, chapitre XIX, 1907.
Mes cahiers rouges par Maxime Vuillaume, éd. Cahiers de la Quinzaine, 1909, sur Mlle Agar, chapitre IV, quelques uns de la Commune,
Rosa, la rouge du midi, par François Chevaldonné, éd. l'Harmattan, 2012
Publications des Amies et Amis de la Commune de Paris de 1871 :
Déjà ici :
https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/mediatheque/notes-de-lecture/657-2015-trimestre-1
https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-artistes-et-la-commune/971-marseillaises-et-internationales-au-temps-de-la-commune
https://www.commune1871.org/la-commune-de-paris/histoire-de-la-commune/dossier-thematique/les-artistes-et-la-commune/629-madame-agar-tragedienne-communarde-de-coeur
https://www.commune1871.org/association/qui-sommes-nous/bulletins-trimestriels/903-bulletin-trimestriel-22