La Convention, quelques mois avant de se séparer, a proclamé l’indépendance des cultes, le 3 Ventôse de l’An III (21 février 1795) :
« Nul ne pourra être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le culte qu’il a choisi ; la République n’en salarie aucun ».
C’était l’amorce de « La séparation des Églises et de l’État ». Mais la réaction thermidorienne a disloqué le gouvernement révolutionnaire. La République est encore fragile. Le haut clergé catholique en profite pour se réorganiser. Le 30 mai 1795, les églises sont rendues aux cultes.
Napoléon Bonaparte, Premier Consul, dit au clergé de Milan, quelques jours avant Marengo :
« Nulle société ne peut exister sans morale, et il n’y a pas de bonne morale sans religion. Il n’y a donc que la religion qui donne à l’État un appui ferme et durable ».
Napoléon, en signant avec le Pape le Concordat du 15 juillet 1801, va catholiciser la France et achever de détruire l’œuvre de la Révolution. Pendant un siècle, l’Église va pouvoir inculquer au peuple la soumission à la classe dirigeante et le respect de l’ordre établi. Avec la Restauration, l’alliance du trône et de l’autel est encore renforcée : L’Église répand les thèses du Pape Grégoire XVI, dans son encyclique « Mirare Vos » (1832), « qualifiant la liberté de conscience de fausse et absurde, la liberté de la presse de funeste, exécrable ».
Vers les années 1830, Lamennais, Lacordaire et Montalembert sont à l’origine d’un catholicisme libéral favorable à la séparation de l’Église et de l’État, mais ils ne sont pas de force à lutter contre l’Église, obscurantisme qui les condamne.
En 1849, une commission se réunit pour préparer un nouveau statut de l’Enseignement. Thiers se déchaîne contre les instituteurs, ces « anti-curés ». « Qu’on ferme les écoles normales, glapit Thiers, que le curé de la paroisse se charge de l’instruction primaire. Aussi bien il apprendra toujours au peuple qu’il a plus besoin de moralité que de savoir », et Thiers nous avoue ses préférences :
« J’aime mieux l’instituteur sonneur de cloches que l’instituteur mathématicien ».
Utilisant au maximum les dispositions de la Loi Falloux (Mars 1850), les congrégations s’infiltrent dans les différentes branches de l’enseignement. Après le coup d’état du 2 décembre 1851, l’Église se rallie rapidement au régime de Louis-Napoléon Bonaparte : L’évêque de Rennes salue en Napoléon III, « de tous les monarques français depuis Saint-Louis, le plus dévoué à l’Église et à son œuvre de civilisation et de progrès ». L’Empereur augmente généreusement les salaires des ministres du culte car l’Église est un des meilleurs soutiens du Régime. Louis Fiaux, qui n’est pas un extrémiste, constate que :
« L’Église ne s’est point seulement associée à tous les coups de force tentées contre la souveraineté populaire, mais il n’est pas une conquête de l’esprit humain dans l’ordre social, politique, philosophique, scientifique qu’elle n’ait anathémisée et combattue ».
Révoltés par les compromissions de L’Église avec le Second Empire, les opposants à Badinguet sont des partisans convaincus de la séparation de l’Église et de l’État. En 1869, lors des élections législatives, Gambetta dans son programme radical dit « de Belleville », inclut dans ses réformes « La séparation de l’Église et de l’État ».
En Octobre 1870, le professeur Jean Macé, fondateur de la Ligue de l’Enseignement avec Emmanuel Vauchez, secrétaire général du Cercle Parisien de la Ligue, lance une pétition pour la laïcité de l’école qui recueille rapidement 1 267 267 signatures.
A la même époque, plusieurs écoles laïques sont ouvertes dans Paris. Élie Ducoudray, avocat, membre de la Société des Amis de l’Enseignement et Maire du XIVe arrondissement, prend les premières mesures pour assurer l’enseignement laïc gratuit. Sous la Commune, avec Maria Verdure, il propose un projet d’organisation des crèches. L’administration municipale du IIe arrondissement ouvre, le lundi 9 novembre 1870, une école laïque de garçons, 49, rue Montorgueil et trois écoles laïques de filles 41, rue Greneta, 22 rue Saint-Sauveur et 23, rue Beauregard. Louis Asseline, journaliste et historien qui a succédé à Élie Ducoudray dans le XIVe arrondissement, émet le vœu que les écoles congréganistes dudit arrondissement soient immédiatement remises entre les mains d’instituteurs et d’institutrices laïcs (29 novembre 1870).
Pour les élections à l’Assemblée nationale, en Février 1871, tous les Comités électoraux républicains, radicaux et socialistes révolutionnaires insèrent dans leurs revendications « La séparation des Églises et de l’État », mot d’ordre populaire que l’on retrouve dans les déclarations des candidats aux élections de la Commune.
Dans leur séance de nuit du 23 mars 1871, les délégués de l’Association internationale des Travailleurs et de la Chambre fédérale des Sociétés ouvrières lancent un appel aux travailleurs pour les élections à la Commune et ils rappellent leurs revendications dont « l’instruction gratuite, laïque et intégrale ». On ne doit donc pas s’étonner si un des premiers décrets promulgués par la Commune est celui de la séparation de l’Église et de l’État. À la séance du 2 avril 1871 de la Commune, le projet est présenté par le citoyen Pyat, au nom de la Commission exécutive. Le décret est adopté à l’unanimité (J.O. du 3 avril 1871) :
« Art. 1. L’Église est séparée de l’État. Art. 2. Le budget des cultes est supprimé. Art. 3. Les biens dits de mainmorte appartenant aux congrégations religieuses, meubles et immeubles, sont déclarés propriétés nationales ».
Lefrançais, élu à la Commune dans le IVe arrondissement, répond aux adversaires qui accusent la Commune de spolier les congrégations :
« Quant à la reprise des biens de mainmorte, et de tous les biens appartenant aux corporations religieuses, il suffit de remonter à la source originelle de ces biens pour comprendre que le décret ne faisait que restituer à la Nation ce qui lui appartenait de droit et que détenaient indûment les corporations dépossédées ».
Les réactionnaires ne pouvaient admettre un tel décret. Il faut cependant signaler une exception : le pasteur Edmond de Pressensé, bien que profondément hostile à la Commune, reconnaît pourtant le bien-fondé du décret du 2 avril 1871 :
« La séparation de l’Église et de l’État a beau avoir été proclamée par la Commune, elle n’en demeure pas moins le seul moyen efficace de rétablir la paix dans le monde de la pensée, d’assurer le droit des consciences, d’en finir avec les fictions religieuses, d’arracher de notre sol tout ce qui subsiste de la confusion du spirituel et du temporel ( ...). ».
De la séparation de l’Église et de l’État découle tout naturellement la laïcisation des écoles. Les délégués de la Société « L’éducation nouvelle » ont remis le 1er avril une requête aux membres de la Commune. Ils demandent que l’instruction religieuse ou dogmatique soit laissée toute entière à l’initiative et à la direction des familles et qu’elle soit immédiatement et radicalement supprimée pour les deux sexes, dans toutes les écoles, dans tous les établissements dont les frais sont payés par l’impôt (J.O. du 2 avril 1871). Le 8 avril, Rama le délégué à l’instruction communale du XVIIe arrondissement, fait savoir que les instituteurs et institutrices des écoles et salles d’asiles publiques de l’arrondissement sont invités à se conformer aux instructions suivantes : ils emploieront exclusivement la méthode expérimentale ou scientifique, celle qui part toujours de l’observation des faits, quelle qu’en soit la nature, physique, morale, intellectuelle. L’enseignement de la morale sera à la fois usuel et théorique, dégagé de tout principe religieux ou dogmatique, afin de pouvoir être donné à tous, sans blesser qui que ce soit (J.O. du 13 avril 1871). Le 28 avril, une Commission d’organisation de l’enseignement est instituée par le délégué de la Commune à l’enseignement, Édouard Vaillant.
Elle est composée des citoyens André, Da Costa (père), Manier, Rama, Sanglier. Elle a pour objet : 1. D’organiser dans le plus bref délai, l’enseignement primaire et professionnel sur un modèle uniforme dans les divers arrondissements de Paris ; 2. De hâter partout où elle n’est pas encore effectuée la transformation de l’enseignement religieux en enseignement laïc (J.O. du 29 avril 18 71).
La municipalité du IIIe arrondissement avertit ses administrés congréganistes que leurs trois écoles des rues Ferdinand Berthoud, Neuve Bourg-l’Abbé et de Béarn sont à partir du 23 avril 1871, confiés à des instituteurs laïcs. Au cours du mois d’avril, les frères et les sœurs des écoles chrétiennes du XIIe arrondissement ont abandonné leur poste. Un appel est fait à tous les instituteurs laïcs pour que cet abandon soit comblé afin « d’inaugurer définitivement l’instruction laïque, gratuite et obligatoire ».
Le 26 avril, Jules Allix, membre de la Commune et faisant fonction de maire du VIIIe arrondissement, s’adresse aux parents, aux amis de l’enseignement, aux enfants pour leur exposer la situation dans l’arrondissement. Après avoir constaté que les écoles congréganistes ont suspendu leur engagement, il jette les bases de l’école nouvelle dont les cours seront publics afin que les parents et les professeurs puissent y assister à leur gré. La Société « La Commune sociale de Paris », dont il est le fondateur, le secondera de ses lumières et de ses membres. Tous les enfants de trois à douze ans devront être bon gré, mal gré, mis à l’école immédiatement. Les enfants de cinq à sept ans devront avoir assimilé la lecture, l’écriture, le calcul et l’orthographe. Il crée une école normale de gymnastique et veut en créer d’autres pour la musique et le dessin. Jules Allix n’est peut-être pas aussi « toqué » qu’on veut bien le dire quand il avertit « que les instituteurs ne pourront sous aucun prétexte faire payer des fournitures aux élèves ». Dans le IVe arrondissement, les écoles sont exclusivement dirigées par des instituteurs et des institutrices laïcs et la municipalité veille scrupuleusement à l’aide de fréquentes inspections, à ce que tout enseignement religieux sans exception en soit complètement banni (J.O. du 12 mai 1871).
Quelques arrondissements ont négligé de procéder à la laïcisation et le 18 mai 1871, sur la proposition de la Délégation à l’Enseignement, la Commune de Paris décide « Dans les 48 heures, un état sera dressé de tous les établissements d’enseignement tenus encore malgré les ordres de la Commune par des congréganistes. Les noms des membres de la Commune, délégués à la municipalité de l’arrondissement où les ordres de la Commune relatifs à l’établissement de l’enseignement exclusivement laïc, n’auront pas été exécutés, seront publiés chaque jour dans l’Officiel » (J.O. du 19 mai 1871). La Commune entendait laïciser non seulement l’enseignement mais aussi d’autres services municipaux, tels que l’Assistance publique et les bureaux de bienfaisance. Camille Treillard, ancien proscrit de Décembre 1851, a été un bon gestionnaire de cette importante administration. Évidemment, il ne put, du jour au lendemain, remplacer les infirmières religieuses par des infirmières laïques, mais il prit des mesures pour humaniser les hôpitaux et assurer leur salubrité. Il réorganisa les bureaux de bienfaisance en leur donnant une direction exclusivement laïque.
La politique religieuse des Communards a été parfois critiquée en raison de quelques excès d’un anticléricalisme grossier, mais nous ne devons pas oublier que les auteurs du décret du 2 avril 1871 furent les hardis précurseurs des Républicains qui votèrent la Loi du 7 juillet 1904 supprimant l’enseignement congréganiste et la Loi du 9 décembre 1905 instaurant la séparation des Églises et de l’État.
Marcel Cerf