Cette présentation entend contribuer à une perception distinctive de la province sous la Commune. Avec Grenoble, chef-lieu du département de l’Isère aux confins des Alpes, des conditions manifestes expliquent l’authentique et intense engagement républicain et communal. En voici juste les grands traits.

L'ancienne mairie de Grenoble (Source http://grenoble-cularo.over-blog.com/)
L'ancienne mairie de Grenoble (Source http://grenoble-cularo.over-blog.com/)

La clé du passé et le contexte propice d’avant Commune

Pour les États du Dauphiné et l’Isère, l’éloignement du pouvoir central développe un esprit d’autonomie et de résistance symbolisé par le contrebandier Louis Mandrin. C’est le Parlement du chef-lieu, Grenoble, qui est à l’origine de la convocation des États généraux de 1789 : bourgeoisie et clubs se retrouvent autour des intérêts locaux. Économiquement, la prospérité de l’Isère vient du textile avec, à Grenoble, la ganterie. L’arrivée du chemin de fer assure la communication vers un monde montagnard communautaire. À la fin du Second empire, la vitalité de Grenoble (42 000 habitants) est réelle avec 15 000 ouvriers, dont 77 % dans le textile. Le mouvement ouvrier y est présent, mais se différencie de la grande industrie naissante : ce sont des emplois dispersés dans la ville et alentour, avec une main d’œuvre féminine travaillant en partie à domicile. La presse joue un rôle essentiel avec L’Impartial, conservateur, et bientôt un journal républicain. Politiquement, industriels et notables occupent le devant de la scène. Une haine de l’Empire et un désir de République est partagé, la guerre de 1870 déclenchant les soubresauts.

Les mouvements républicains et populaires, sources d’une agitation permanente 

Aristide Rey (1834-1901)
Aristide Rey (1834-1901)
Felix Poulat (1846-1896)  l'Ami du Peuple par Ding - cimetière Saint-Roch à Grenoble
Felix Poulat (1846-1896) l'Ami du Peuple par Ding - cimetière Saint-Roch à Grenoble (source Le Maitron)

La République proclamée le 4 septembre 1870, un comité municipal républicain se constitue à Vienne tout comme à Voiron. A Grenoble, le 5, sous l’effet de l’esprit patriotique et républicain, une commission municipale s’installe avec à sa tête, Anthoard, maire en 1848, entouré de notables. Le 6, le préfet est remplacé par une commission départementale composée de possédants. Un comité républicain s’organise. Après l’adhésion à la Ligue du Midi, un rassemblement à Grenoble provoque la démission des autorités militaires. En désaccord, le comité républicain fait scission début octobre. D’une part, soutenue par Le Réveil du Dauphiné et son directeur Félix Vogeli, proche de Delescluze, la société républicaine bourgeoise se réunit autour d’Aristide Rey, signataire de l’Affiche rouge parisienne, et de l’avocat Hippolyte Poulat, ardent républicain. D’autre part, l’association républicaine à composante ouvrière tient séance au club de l’école Reboul. La signature des préliminaires de paix et l’élection d’une Assemblée nationale conservatrice alertent, Grenoble votant républicain à 70 %. Aussi, les deux courants républicains se rapprochent-ils face au danger monarchique. Le 23 mars, le préfet ayant condamné l’opération du 18 mars, un mouvement sur initiative du club Reboul se porte sur la Préfecture, tandis qu’un nouveau comité municipal modéré est mis en place sans envoi d’adresse à Versailles. Le nouveau préfet Doriol prend des mesures préventives : troupes de ligne casernées et appui sur une Garde Nationale non populaire et avec des soldats de retour.

Le Club populaire Reboul, porte-parole de la Commune

Ce club né à l’automne 1870, va s’enflammer au rythme des événements parisiens. Les comptes-rendus des 42 séances par un espion du préfet expriment les exigences de la classe ouvrière de Grenoble. Le rôle de ce club est déterminant dans la poussée radicale des républicains. Les orateurs sont en partie des militants étrangers à la ville : Pierre Guérin, militant de l’AIT venu de Lyon, tout comme Osmonville et Lemesle. Parmi les Grenoblois, avant tout des ouvriers dont Augustin Roussi dit Jacques Roux. Poulat, appartenant aux deux courants, y vient appelant à la concorde. Ce club attire de 150 à 300 personnes, dont un groupe de 15 à 30 femmes. L’information se diffuse avec accès aux journaux de Toulouse, de Suisse, de Paris. Cependant les rumeurs alarmantes ou exagérées circulent et l’application des décisions ne suit pas.

Trois périodes sont à distinguer. D’abord celle du 29 mars au 16 avril, journée de manifestation du club, avec des demandes de ralliement à la Commune le 3 avril :

« Nous devons nous rallier à la Commune »,

ou le 9 avril :

« Imitons Paris ! Vive la Commune ! »

et des exigences incessantes d’actions mais avec les regrets de Guérin, le 3 avril :

« S’il s’était trouvé seulement 200 citoyens de bonne volonté, la Commune aurait été proclamée. »

Une partie de l’assistance est pour l’action pacifiste créant des tensions. Ensuite, du lendemain du 16 avril aux élections municipales du 30, le club, privé de Guérin, se retrouve sous la pression de la Société républicaine. Enfin de mai à mi-juin avec la crainte d’arrestations, Guérin et Lemesle ont une volonté de culture politique avec des interventions historiques et des conférences publiques dans les villes proches. Guérin s’en prend violemment aux ruraux de ne pas soutenir Paris : 

« Le campagnard, le paysan ne peut être admis au vote…trop longtemps le suffrage universel a été faussé par l’ignorance des ruraux… »,

traduisant les incompréhensions entre villes et campagnes.

Le Club Reboul et la manifestation du 16 avril

Le Club Reboul décide d’agir le 16 avril pour empêcher le départ de mitrailleuses vers Paris. S’ensuit une marche conduite par Guérin de 300 personnes sans armes, une centaine se retrouvant à la préfecture : une compagnie de Chasseurs disperse la foule et 44 arrestations de membres du Club dont Guérin ont lieu. Pour la Société Républicaine, Aristide Rey, au nom d’une délégation de l’Isère, dépose une adresse à Versailles demandant la fin de la guerre civile, espérant voir des délégations de toutes les municipalités faire de même.

Si le Club Reboul a échoué à provoquer un soulèvement populaire débouchant sur une Commune, les meneurs étrangers – une faiblesse – mais de vrais militants ont à leur décharge des éléments clés : l’absence de section de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT)  et de personnalité municipale, un mouvement ouvrier non organisé, une Garde nationale non populaire, un préfet à poigne, une cohabitation compliquée avec la société, et des commissions ayant volonté de préserver l’union nationale.

Enfin, l’absence de propagande en milieu rural et montagnard, contrairement aux tentatives de Narbonne ou Limoges, est préjudiciable.  Reste des apports centraux dont celui de la radicalité insufflée aux commissions et à la Société qui ont des effets notoires et se prolongeront.

Un atelier de ganterie à Grenoble (source : http://grenoble-cularo.over-blog.com/)
Un atelier de ganterie à Grenoble (source : http://grenoble-cularo.over-blog.com/)

L’élection municipale du 30 avril et le procès

Comme majoritairement dans le pays, ainsi qu’à Vienne et Voiron, la liste républicaine de la Société, avec un seul ouvrier du Club Reboul, l’emporte. L’industriel gantier Ernest Calvat, modéré, devient le quatrième maire de Grenoble sous la Commune. Mais la volonté des municipalités provinciales d’une conciliation entre Paris et Versailles s’affiche avec des nuances certaines. Celle de Grenoble envoie une déclaration à l’Assemblée nationale demandant l’élection d´une nouvelle assemblée

« qui fera la république …il n´est pas admissible qu´une assemblée française ne trouve d´autres moyens que l´écrasement de la capitale… ».

Devant la cour d’assises de l’Isère, du 10 au 12 août 1871, a lieu le procès du 16 avril. Sept accusés sont déférés : six du Club Reboul dont Guérin, le septième étant Hippolyte Poulat. Tous défendus par Me Bovier-Lapierre, ils bénéficient d’une clémence certaine. Le pouvoir souhaite l’apaisement en province, conscient de la victoire républicaine aux municipales, d’autant plus qu’en Isère le colonel Denfert-Rochereau, s’affirmant pour la République, remporte une législative partielle face au général Vinoy, natif de Grenoble et massacreur de la Commune.

Un exemple provincial significatif

Malgré un espace géographique composite et un chef-lieu de population moyenne, l’Isère et Grenoble ont porté un fort courant républicain et exprimé une sympathie réelle pour la Commune de Paris. À nouveau, les caractéristiques du département et du chef-lieu ont déterminé cette attitude. S’il n’y a pas eu de Commune à Grenoble, le souffle populaire du club Reboul a entretenu une dynamique radicale de longue durée, aussi bénéfique qu’une Commune proclamée et écrasée aussitôt. Dans la mosaïque provinciale de l’époque, l’étude de cet espace confirme la nécessité d’une histoire différenciée et parallèle aux événements de Paris.

Jean Annequin

 

Sources principales :

Sous la direction de Pierre Guillen, « Grenoble à l’époque de la Commune », dans Études Dauphinoises, Presses universitaires de Grenoble, 1972.

Jacques Rougerie, La province en 1871, www.commune1871-rougerie.fr/la-province-en-1871

Archives de Patrick Fonteneau, Procès-verbaux du club de l’école Reboul de Grenoble du 29 mars au 11 août 1871.

Association patrimoniale et culturelle, Les maires de Grenoble au cimetière Saint Roch, 2007.

Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars 1871.

Dictionnaire du mouvement ouvrier et social, et différentes sources pour l’histoire du Dauphiné, de l’Isère et des villes.

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