Au musée de Poitiers, on peut voir en ce moment un étrange dessin de Louise Michel exposé avec la collection d’oeuvres d’artistes femmes intitulée La Musée. Dans la brochure Artistes communards, éditée par nos soins, une double page consacrée à Louise Michel nous avait permis de voir ses dessins de paysages réalisés à l’île des Pins pendant la déportation en Nouvelle-Calédonie. Cependant, le dessin exposé, ayant appartenu à Christian Bernadac, auteur de nombreux livres sur les déportations de la Deuxième Guerre mondiale, est étrange à plus d’un titre. Exécuté au fusain, il représente un homme de profil marchant à grands pas la nuit dans une forêt, sourire aux lèvres, cheveux au vent et mains dans les poches. Il semble être tiré d’un roman illustré comme le 19e siècle les aimait.

La légende
La légende écrite sous le dessin à l’encre et à la plume par Louise Michel ressemble à une citation tirée d’un texte plus important :
« La famille Pouffart, son altesse le prince polonais avec les vêtements de l’interne de la maison de santé ».
Nulle trace d’un roman ayant pour titre La famille Pouffart, mais on sait que Louise Michel, en déportation aimait la compagnie du couple Piffault et surtout de leur petite fille Emma qui lui donnait sans doute l’occasion de l’enseigner. Il y avait aussi l’aumônier, le père Poupinel, qui avait sa case près de l’océan que Louise Michel aimait dessiner avec des bateaux, rêve d’ailleurs. On se souvient de l’évasion réussie de son ami Rochefort illustrée par Manet. Mais pourquoi un prince polonais ? La Pologne, c’est-à-dire nulle part comme on disait alors de ce pays martyr en perpétuelle insécurité.
La date
La légende du dessin est suivie d’une date « vers 1894 ». À cette époque, la vie de Louise Michel est particulièrement mouvementée. Depuis 1890, où elle a été incarcérée à Vienne après un discours appelant à manifester le 1er mai, un médecin l’a jugée malade mentale et digne d’être « internée ». Libérée de prison, elle s’exile à Londres où elle publie des livres de poésie dont Prise de possession. Elle y restera cinq ans pour se faire oublier avant de revenir à Paris. On peut donc supposer que ce dessin rare a été réalisé à Londres, terre d’exil des communards et de refuge pour Louise Michel. Elle y reviendra en 1897, en 1898, 1899 et 1903 opérant même des allers-retours dans la même année. Elle se sentait persécutée et elle l’était vraiment. Un article de La Lanterne d’avril 1904, c’est-à-dire un an avant sa mort à Marseille raconte :
« Parmi les soi-disant anarchistes, arrêtés et récemment mis en liberté, il en est un, Mr Cotté, qui a fait 21 jours de prison uniquement parce qu’on a trouvé chez lui une lettre insignifiante de Louise Michel ».

photographique de Marie-Claude Barbier
Près du dessin, reproduit en pleine page dans le catalogue de l’exposition, un montage photographique contemporain de Marie-Claude Barbier est exposé. Il représente, à la manière d’Andy Warhol traitant de Marylin Monroe, un portrait de Louise Michel en grand deuil répété plusieurs fois avec des couleurs différentes. Il exprime par cette répétition son caractère d’icône mondiale passée en un siècle de réprouvée à célébrée. Ainsi l’art contribue à la nouvelle culture à construire, le public est invité à y participer avec cette grande exposition de plus de 300 oeuvres d’artistes femmes du monde entier au musée de Poitiers.
EUGÉNIE DUBREUIL
LA MUSÉE, une autre histoire de l’art, musée de Poitiers, jusqu’au 18 mai 2025
Xavière Gauthier, Louise Michel « Je vous écris de ma nuit », correspondance générale, Les éditions de Paris, 2005.