Notre Association a toujours célébré la mémoire de Blanqui.
S'étonner de cet attachement au « grand absent » de la Commune, c'est oublier que ses partisans y furent élus à des postes-clés et lui fournirent de nombreux combattants.
Son image souffre d'un double brouillage. La droite a vomi en lui l'incarnation du péril rouge ; la gauche a souvent alimenté la légende réductrice et tenace du comploteur monomaniaque aux idées courtes obnubilé par le rôle des minorités agissantes. Le connaître balaie ces visions caricaturales.
Fils d'un ancien conventionnel, né en 1805, celui que Marx affirma être « la tête et le cœur du parti prolétaire en France » est un jeune homme brillant. Il entre en politique à 17 ans pour libérer les quatre sergents de La Rochelle exécutés en 1822. Il adhère en 1824 à la Charbonnerie, société secrète républicaine.
Etudiant en droit et on médecine, il participe activement aux manifestations du Quartier latin. Il est ainsi blessé trois fois en 1827 : deux coups de sabre, une balle. Il doit s'exiler. Revenu en 1829, il subsiste comme professeur de français et d'histoire.
Il suit pour Le Globe les débats parlementaires. Il en conclut que l'intervention du peuple dans la rue est nécessaire. Il prend part à la Révolution de 1830, confisquée par la Monarchie de Juillet, et entre à la Société des Amis du Peuple. À son procès, il se proclame « prolétaire ».
Libéré, il se lie à Buonarroti, compagnon de Babeuf, qui a publié en 1828 la Conspiration des Égaux, communiste et égalitaire. Il devient « socialiste » : la République ne saurait être que sociale.
Pour ne plus être trahie, il lui faudra l'appui des masses formées par l’enseignement laïc.
Instruit dans les domaines scientifiques, philosophiques, littéraires, il est un des rares socialistes à connaître l'économie politique qu'il ne considère pas d'ailleurs comme une science, lui reprochant de professer l’inéluctabilité des tares de la société. Il a lu Smith, Ricardo, Sismondi ; son frère, Adolphe, est un des principaux économistes libéraux de son temps Sans être un obsédé de la théorie, il en manie les concepts et sa réflexion débouche sur une critique radicale du Capital, surtout financier. Il se refuse cependant a toute anticipation utopique qualifiée de « scolastique révolutionnaire » et dira à Lafargue :
Il est plus urgent de faire une critique de l'instruction primaire.
Philosophiquement, il passe de l’anticléricalisme à l'affirmation antireligieuse. Il se proclame matérialiste et athée, ce qui distinguera longtemps les blanquistes de nombreux républicains et socialistes. Son matérialisme s'affirme dans un texte étonnant, tardif, L'Eternité par les astres, où la science débouche sur une prodigieuse envolée cosmique et poétique. Walter Benjamin, un des esprits les plus originaux du XXe siècle, étudiant l'idée nietzschéenne de l'éternel retour a été captivé par cette brochure à laquelle il consacre des commentaires élogieux.
Il anime des sociétés secrètes La Société des Familles, celle des Saisons, tente une insurrection en 1839, réitère en 1848... Sa conception de la prise de pouvoir par une minorité résolue entraînant les masses a toujours un temps d'avance. Les régimes contre lesquels il échoue tomberont plus tard. Ses méthodes d'action doivent être situées dans leur contexte historique.
Si Marx et Engels avaient disparu en 1848, ils auraient laissé le souvenir de deux jeunes gens doués aux idées brillantes… membres d'une société secrète. Le Manifeste systématise d'ailleurs à un niveau supérieur, les thèmes d'un Blanqui que Marx estimait sans accepter pour autant son volontarisme. Mais le texte qu'il publie le 15 juin 1848, incarcéré au Donjon de Vincennes après les massacres de juin, témoigne d'un sens aigu de la réalité et du rapport des forces.
À la fin du second Empire naît à proprement parler le « parti blanquiste » clandestin qui réunit à Paris dans une stricte discipline 2.500 hommes armés et décidés. Il se caractérise par la coexistence en son sein d'ouvriers et d'intellectuels, souvent membres de l’Internationale, ils constituent le fer de lance des tentatives insurrectionnelles qui précèdent la Commune où ils se retrouvent entraînant dans leur sillage de nombreux « sympathisants ».
Pendant le premier siège de Paris. Blanqui comprit le jeu du Gouvernement de la Défense nationale dont il dénonça les erreurs dans La Patrie en danger. Thiers fit incarcérer le 17 mars cet adversaire particulièrement redouté. Il ne siégea donc pas à la Commune, mais l‘organisation révolutionnaire forgée dans les luttes de l‘Empire s'y dévoua. Ses élus se signalèrent par leurs réalisations concrètes, leur énergie, la volonté de ne pas tergiverser et s'encombrer de légalisme : Vaillant, Frankel, proche de Marx et des blanquistes, Rigault, Ferré, Protot, Duval... ; les « militants de base », furent nombreux et ardents parmi les meilleurs et les derniers défenseurs, à l'instar du 101e bataillon du XIIIe.
« L’Enfermé » totalisa 15 procès, 33 ans 1/2 de prison effective, 10 ans 1/2 de résidence forcée. Victime d'une congestion cérébrale au retour d'un meeting, il mourut le 1er janvier 1881.
Ses obsèques au Père-Lachaise furent suivies par 100 000 socialistes et libres penseurs. Une souscription populaire permit d'ériger son gisant, œuvre bouleversante de Dalou. Ne pas voir en lui l'allumé activiste de la légende, mais le reconnaître comme un penseur et un militant révolutionnaire exemplaire est une évidence pour les Amis de la Commune.
Jacques ZWIRN