Comme Raphaël Meyssan (1), j’ai découvert que j’avais un voisin communard. Ce voisin était le colonel Victor Bénot, garçon boucher dans le civil, qui demeurait 149 rue de Flandre, à Paris XIXe, comme le rappellent les documents du dossier conservé aux archives de la Préfecture de police (2). Il travaillait à deux pas, au 161 de la rue de Flandre, chez Léon Marais, comme employé au transport des viandes.
Victor était né dans l’ancien VIIIe arrondissement (actuel XIe) le 26 février 1833, et s’était marié à la mairie du XIe en 1862 avec Julie Foucault, passementière. Au moment de l’insurrection parisienne, deux enfants du couple étaient âgés de 7 et 5 ans (un troisième était décédé en 1865).
Je suis parti à la recherche de Victor Bénot après avoir lu un article signalant qu’il était l’un des trois derniers fusillés de la Commune. Petit à petit, j’ai retrouvé son grade dans la Garde nationale, sa profession, le lieu de son arrestation, les procès devant deux conseils de guerre et ses deux condamnations à mort.
Victor n’était pas un politique mais un des chefs militaires d’un bataillon de la Garde nationale. Lieutenant au 230e bataillon pendant le siège, il fut élu chef de ce bataillon à l’unanimité le 2 avril 1871, par 600 des 800 hommes convoqués pour élire leurs officiers à la salle de la Marseillaise (3). Jules Bergeret, typographe devenu général, qui réussit à échapper aux poursuites en partant en exil, le nomma colonel du régiment composé des 28e, 197e, 202e, 230e et 244e bataillons de la Garde nationale, parfois nommé Turcos de la Commune ou Vengeurs de la République. Mais, pour Versailles, c’était le Régiment des incendiaires ou la Légion de Bergeret.
Victor Bénot fut arrêté à proximité de la barricade de la rue Rébeval le 28 mai 1871 et transporté à Versailles pour y être interrogé. Reconnu parmi 1176 prisonniers détenus à l’Orangerie, il fut immédiatement signalé pour faire « l’objet d’une surveillance et de mesures spéciales. »
Le premier procès se déroula entre les 12 et 21 mars 1872 devant le 6e conseil de guerre. Victor Bénot et 22 co-inculpés étaient poursuivis pour l’affaire des otages de la rue Haxo. Accusé d’être l’un des auteurs de ce massacre, il soutint qu’il ne pouvait pas être à deux endroits en même temps puisqu’il combattait sur les barricades au même moment. Il indiqua qu’il n’était « allé rue de Haxo (sic) que plus tard, par simple curiosité pour me renseigner sur ce qui s’était passé (4) ».
Curieusement, lors de l’audience du 18 mars 1872 (5), il est donné lecture de la déposition de Victor Thomas, neveu du général fusillé un an plus tôt, qui évoque en quelques lignes cette affaire et, plus largement, son rôle lors de l’incendie du Louvre et des Tuileries.
Lors du procès, plusieurs témoins revinrent sur leurs dépositions, n’étant plus sûrs de la présence de Victor, rue Haxo. Celui-ci n’en fut pas moins condamné à mort par le 6e conseil de guerre, le 21 mars 1872, avec six autres accusés (6).
Est-ce l’absence de preuves ou la fragilité des témoignages qui emportèrent la décision de la commission des grâces ? Toujours est-il que le 22 septembre 1872, la peine de mort fut commuée en travaux forcés à perpétuité.
Mais la justice militaire n’en avait pas encore fini avec Victor. Un second procès s’ouvrit devant le 3e conseil de guerre le 11 novembre 1872 pour l’incendie du Louvre et des Tuileries et vol à main armée.
Le 5 mai 1871, Victor avait été nommé gouverneur du Louvre par Bergeret, dont le régiment tenait garnison dans l’ancienne caserne des gendarmes impériaux. Les témoignages à charge des gardiens et la déposition de Victor Thomas (lors du premier procès) désignaient Victor comme l’acteur principal et le meneur des incendiaires, fier de montrer l’ampleur de l’incendie des Tuileries à l’un des concierges, en lui disant :
Tu vois le palais des rois qui brûle... l’oiseau n’aura pas envie de revenir au nid. (7)
Nouvelle condamnation à mort, nouveau pourvoi, nouveau rejet sans commutation de peine. Victor et deux autres condamnés (8) furent tirés de leurs cellules au matin du 22 janvier 1873. Repas, boissons et cigare leur furent offerts. Ils écrivirent une dernière lettre à leurs proches, puis furent conduits au lieu d’exécution. Il pleuvait, le sol était détrempé et boueux...
Laissons la parole à l’auteur anonyme de la note datée du jour de l’exécution :
Ce matin à 7 heures 15 a eu lieu au plateau de Satory l’exécution de Bénot Victor Antoine ; il a crié :
Vive la Commune, Vive la République !
CHRISTOPHE LAGRANGE
Notes
(1) Auteur du roman graphique Les Damnés de la Commune, parti à la recherche de Lavalette.
(2) Archives de la Préfecture de police – Dossier BA 957 – Bénot Victor (Arch Ppo – BA 957).
(3) Un panneau Decaux rappelle l’existence de cette salle au 57 de la rue de Flandre et son lien avec Rochefort qui y fut arrêté en 1870.
(4) L’Ordre de Paris – 15 mars 1872.
(5) Le Droit, journal des tribunaux – 18 mars 1872.
(6) Jean-Baptiste François, Charles Aubry, Louis Dalivous, Émile de Saint-Omer, fusillés fin juillet 1872, Honoré Trouvé et Jean-Baptiste Racine.
(7) Arch Ppo – BA 957.
(8) Jean Philippe (dit Fenouillas) et Louis Decamp.