"Il coule du sang de lionne dans ses veines"

Marguerite Guinder est née le 24 décembre 1832 à Salins-les-Bains (Jura). On ne sait pas à quelle époque elle arrive à Paris. En 1870, elle est confectionneuse pour dames et vit au 65 rue Sedaine, dans le XIe arrondissement. Mère d’un enfant et séparée de son mari, un nommé Prévost, elle vit avec Auguste Lachaise, monteur en bronze. Tous deux sont cantiniers au 66e bataillon de la Garde natio­nale, le bataillon du quartier Popincourt dont le commandant est Augustin Avrial (1840-1904), habitant du même quartier.

Marguerite Guinder Prévost (Dite Lachaise) (1832-1888)
Marguerite Guinder Prévost (Dite Lachaise) (1832-1888)

Début avril 1871, elle se fait remarquer au combat près de Meudon, à la suite de quoi un groupe de gardes nationaux du 66e la signale à la Commune :

Aux citoyens membres de la Commune de Paris.

Citoyens,

Les citoyens soussignés, appartenant au 66e bataillon de la Garde nationale de Paris déclarent que Marguerite Guinder, épouse Lachaise, cantinière au dit bataillon, demeurant rue Sedaine, 65, a, dans le combat du 3 courant, en avant de Meudon, tenu une conduite au-dessus de tout éloge et de la plus grande virilité en restant toute la journée sur le champ de bataille, malgré la moisson que faisait autour d’elle la mitraille, occupée à soigner et pan­ser les nombreux blessés, en l’absence de tout ser­vice chirurgical.

En foi de quoi, citoyens membres de la Commune, nous venons appeler votre attention sur ces actes, afin qu’il soit rendu justice au courage et au désin­téressement de cette citoyenne, républicaine des plus accomplies.

Salut et fraternité.

Suit la signature de 62 gardes nationaux du 66e bataillon (Journal officiel de la Commune, 9 avril 1871). Le Cri du Peuple du 8 avril la mentionne sur un ton élogieux :

La cantinière du 66e bataillon, la citoyenne Lachaise, est une gaillarde et une crâne femme. Elle a bien mérité de Paris et nous sommes heureux de le lui dire. Cette brave femme du peuple n’a cessé, depuis trois jours, de faire le coup de feu dans la plaine de Châtillon et de voler au secours de ceux qui tombent, frappés par les balles des sbires de Versailles. Elle est à la fois soldat et chirurgien. Brave femme, il coule du sang de lionne dans ses veines. (1)

Le 24 mai, elle fait partie du groupe qui arrête, près de la mairie du XIe arrondissement où le conseil de la Commune s’était replié le matin même, le capitaine Charles de Beaufort, un officier de la Garde nationale, rendu responsable par les hommes du 66e bataillon des pertes subies la veille dans les combats à La Madeleine. Beaufort est accusé d’avoir sciemment envoyé le bataillon au massacre, où soixante hommes étaient restés sur le pavé et six prisonniers fusillés.

C’est la canaille qui nous a fait massacrer !

s’écrie, en désignant Beaufort,

une cantinière en uniforme, ceinturée de rouge, la jaquette débouton­née, le chapeau rond rejeté en arrière… C’est la cantinière du 66e bataillon fédéré, Lachaise. (2)

Sous la pression de la foule, et malgré l’interven­tion de Delescluze et de Mortier, Beaufort est traîné devant une cour martiale expéditive, réunie dans le bureau du 66e bataillon, dans une boutique de la rue Sedaine. Accusé d’être un espion à la solde de Versailles, il est condamné et fusillé, près de la mairie, au coin de l’avenue Parmentier. Au dernier moment, Marguerite Guinder avait essayé, en vain, de le sauver :

Ah ! ne le tuez pas. Je ne veux pas qu’on le tue !

Quelques heures plus tard, en milieu d’après-midi, lorsque les hommes du 66e bataillon se diri­gent vers la prison de la Roquette pour participer à l’exécution des six otages, elle tente de les en dissuader :

Vous n’irez pas ! Ou vous n’êtes plus que des assassins ! (3)

Arrêtée le 28 juin et incarcérée à Versailles, Marguerite Guinder est d’abord acquittée, le 9 jan­vier 1872, par le 6e conseil de guerre dans le pro­cès Darboy, mais elle est condamnée à la peine de mort, le 19 juin 1872, dans le procès de l’exécu­tion de Beaufort. Édouard Lockroy, ancien député radical (4), intervient auprès de Victor Hugo, dont il était proche, pour la sauver de l’exécution.

Finalement, sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité en septembre 1872. Elle est déportée en Guyane, d’où elle ne revient qu’après l’amnistie.

Installée après son retour dans le XIVe arrondis­sement, elle meurt le 1er mars 1888.

MICHEL PUZELAT

 

Notes

(1) Maxime Vuillaume, Mes Cahiers Rouges. Souvenirs de la Commune, La Découverte, Paris 2011, p. 79-80.

(2) Ibid., p. 75-77.

(3) Ibid., p. 81-83.

(4) Édouard Lockroy : élu député de la Seine à l’Assemblée de Bordeaux, il démissionne le 5 avril pour protester contre la guerre civile et rejoint la Ligue d’union républicaine des droits de Paris. Plus tard député radical des Bouches-du-Rhône, puis de Paris, de 1873 à 1910, plusieurs fois ministre, il avait épousé la veuve de Charles Hugo.

Références :

Claudine Rey, Annie Gayat, Sylvie Pepino, Petit dic­tionnaire des femmes de la Commune. Les oubliées de l’histoire, Le Bruit des autres, 2013, p. 151-152.

Michel Cordillot (dir.), « Prévost Marguerite (née Marguerite Ginder), dite Lachaise », dans La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, Éditions de l’Atelier, 2021, p. 1087-1088.

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