Marie Wolff est une des rares femmes de la Commune à avoir été condamnée à mort.
Retrouver la trace de Marie Wolff est un peu compliqué au regard des différentes données la concernant et des inexactitudes relatives à ses date et lieu de naissance. Deux fiches du Maitron la concernent : l’une sous l’orthographe Wolff (1), une autre sous celle de Volf (2). Dans la base de données de Jean-Claude Farcy, elle est enregistrée au nom de Wolf.
Et encore ! Pour compliquer les recherches, elle est enregistrée sous le nom de son époux avec des variantes orthographiques : Guyard, Guillard, voire Guiard.
Marie n’était pas née à Bar-le-Duc en 1845, mais dans l’ancien département de la Meurthe à Hultenhausen, aujourd’hui Hultehouse en Moselle, le 8 novembre 1849.
Quand et dans quelles circonstances vint-elle à Paris ? Mystère.
Si la fiche Maitron indique qu’elle demeurait rue Hervé dans le 13e arrondissement, il semble que ce soit la rue Harvey aujourd’hui disparue. Cette artère parallèle au boulevard de la Gare (actuel Vincent-Auriol) était située entre la rue du Château-des-Rentiers et la rue Nationale.
Elle se maria le 13 juin 1868 à Paris 13e avec Jean-Rose Guiard, journalier né à Gentilly. Les deux futurs époux demeuraient à la même adresse : 47 rue Esquirol dans le 13e arrondissement. La mère de Marie était blanchisseuse. Marie ne savait probablement pas lire et écrire : elle avait déclaré ne pas savoir signer. Lorsqu’elle fut arrêtée le 23 octobre 1871 (3), elle déclara être chiffonnière. Elle avait été arrêtée sur dénonciation pour sa participation au massacre des otages de la Roquette, le 27 mai 1871.
LE PROCÈS
Les débats débutèrent le 20 avril 1872 devant le 6e conseil de guerre à Versailles. Le Petit Journal retrace ceux-ci sous le titre « les massacres du 27 mai », jusqu’à la décision finale.
Trois ecclésiastiques et un employé de la préfecture de police avaient été tués. Neuf prévenus comparaissaient parmi lesquels deux femmes, Marie Wolff et Marie Cailleux (4). Huit avocats assuraient la défense.
Marie Wolff fut reconnue comme
« une ambulancière jeune, blonde [excitant] encore ce forcené [dit le Clairon] contre les malheureux otages […]. »
Un peu plus loin, le rapport indique qu’alors que l’employé de la préfecture de police l’implorait, elle répondit
« Attends, répond cette furie, tu veux du gras, je vais te donner du maigre ! Et de son revolver, elle fait feu sur lui. Le coup rate. Alors, elle saisit un poignard et va pour l’en frapper, quand une bousculade l’en empêche. »
Marie fut la dernière à être interrogée lors de l’audience du 20 avril 1872. Décrite comme acharnée, elle aurait crié :
« Pas de pitié ! Si vous ne les fusillez pas, moi je me charge de leur affaire ! ».
Elle nia avoir marché en tête de l’escorte des otages, un drapeau rouge à la main.
Elle ne fut reconnue que par Marie Cailleux, âgée de 20 ans, serveuse au cabaret Au retour du Père Lachaise, situé rue de la Roquette. C’est elle qui est la dénonciatrice comme on l’apprend à la lecture des débats.
Elle avait déclaré reconnaître la femme Guyard comme l’ambulancière. Marie Cailleux ne comparaît pas pour sa participation au massacre, mais pour avoir été vue faisant le coup de feu sur la barricade du Père Lachaise au matin du 27 mai.
Quarante témoins furent cités à comparaître à l’audience du 23 avril 1872. Alors que Marie n’est reconnue par aucun d’entre eux, son défenseur apprend au cours de l’audience, qu’une autre femme incarcérée et à la veille d’être libérée est accusée par ses codétenues d’être l’ambulancière. Il demande à ce qu’elle comparaisse. Elle se nomme Armande Vanbroeckhoven (4 bis).
Aucun des témoins ou des accusés ne reconnaît celle-ci. En revanche la déposition de Mme Beaucoté, lue par le greffier, est accablante pour Marie :
« En tête de l’escorte était Marie Wolf Guyard, portant un drapeau rouge et une ceinture dans laquelle étaient passées des armes. Je lui ai parlé, la connaissant pour avoir, pendant le siège, blanchi son linge trois ou quatre fois.
Je lui dis que ce qu’elle faisait n’était pas bien, et que cela ne lui porterait pas bonheur. Elle me répliqua en me menaçant de me faire mon affaire. »
Le capitaine Charrières, commissaire du gouvernement demande l’application sévère de la loi :
« Quant à ces femmes, elles feraient souche. Pour elles et pour l’homme qui figurent sur ces bancs, vous serez sans miséricorde.
Vous avez jusqu’ici donné, messieurs, trop de preuves de fermeté, de sagesse et de haute équité, pour que nous doutions de votre verdict. »
Les défenseurs font entendre leurs plaidoiries. Pour Marie, c’est Me Crochard.
Lors de l’audience du 24 avril 1872, la foule est nombreuse pour entendre le verdict. Avant de clore les débats, le président demande aux inculpés s’ils souhaitent ajouter quelque chose pour leur défense.
Marie déclare :
« Je dis que tout ce qu’on me reproche est faux, et je demande l’indulgence s’il vous plaît ! »
Pendant la délibération du jury, un événement surprenant se produit : une noce fait son entrée. La mariée s’assied au pied du prétoire puis sur le banc des accusés.
Au bout de deux heures, la séance est reprise. Si Marie Cailleux est condamnée à la déportation, Marie Wolff est, quant à elle, condamnée à mort.
Elle demeure impassible. Son avocat, au contraire, éprouve une sorte de faiblesse interprétée comme une marque de sensibilité.
Qu’advint-il de Marie après ce verdict ?
LA DÉPORTATION
Son avocat déposa un recours en grâce (5).
Le Petit Journal du 21 août 1872 annonça que la commission des grâces avait commué la peine de mort de Marie Wolff en celle des travaux forcés à perpétuité en Guyane. L’information figure dans le rapport de la commission des grâces (période 1871-1875) présenté à l’Assemblée en décembre 1875 (6).
Elle fut déportée en Guyane comme l’indique la base des Archives nationales d’outremer. Malheureusement, son dossier n’a pas été conservé.
Seuls restent donc la trace de son matricule et de son enregistrement sous le patronyme Volf.
Amnistiée, son nom figure dans la liste publiée en 1880 par Le Gaulois sous le titre « Ceux qui reviennent par un ex-greffier » (7). L’auteur n’a pas manqué de préciser qu’elle avait été condamnée pour vol en 1868.
Marie est décédée neuf ans plus tard, le 13 août 1889 à Paris 15e. Elle demeurait alors rue de la Glacière dans le 13e arrondissement.
Elle fut inhumée dans le cimetière de Bagneux le 17 août suivant, sous le nom de Guillard née Wolff (8).
CHRISTOPHE LAGRANGE
Notes :
(1) https://maitron.fr/spip.php?article61358
(2) https://maitron.fr/spip.php?article193789
(3) https://communards1871.fr/index.php?page=fiches/notice&individu=2215&liste=recherche_nom_guyard#
(4) https://maitron.fr/spip.php?article136000
(4bis) https://maitron.fr/spip.php?article213634. Armande Laurentine Vanbroekhoven, ambulancière au 32e bataillon veuve d’Auguste Colin est décédée le 1er avril 1917 à Nanterre.
(5) Archives nationales - Commission des grâces de l'Assemblée nationale chargée d'examiner les recours en grâce formés par les insurgés de la Commune (C//3103-C//3128) - Rapports n° 6270 à 6521. (C//3122).
(6) Annales de l'Assemblée nationale : compte rendu in extenso des séances, annexes. 1875-12-18 – Gallica-BNF.
(7) Le Gaulois : « Ceux qui reviennent par un ex-greffier » - Gallica-BNF.
(8) AD Paris – registre du cimetière de Bagneux, 1889.