LA NOUVELLE HISTOIRE DE LA COMMUNE DE PARIS, 1871

Jean-Louis Robert, Nouvelle histoire de la Commune de Paris, 1871, Arbre bleu éditions, 2023, 1582 p.

L’ouvrage est en vente à l’association

Jean-Louis Robert, Nouvelle histoire de la Commune de Paris, 1871, Arbre bleu éditions, 2023, 1582 p.

Ouvrant ce livre, on est saisi de vertige. Jean-Louis Robert nous offre un travail colossal, non seu­lement par le volume (1582 pages !), mais aussi par la matière, dévoilant nombre d’aspects mécon­nus ou inédits de la Commune. C’est bien une « nouvelle histoire de la Commune », à laquelle on ne connaît pas de précédent.

L’ambition, annoncée d’emblée, est de faire une « histoire totale » d’un « événement total », la Commune, « marquée par un ensemble de faits politiques, sociaux, culturels, symbo­liques, imaginaires, etc. ». Pour cela, il s’appuie sur une somme considérable de sources, dont cer­taines n’avaient pas été question­nées. Au premier rang desquelles la presse – 41 titres, soit 800 jour­naux, systématiquement dépouil­lés. Mais aussi les archives de la Préfecture de police, ou les nom­breux témoignages de communards ou d’anticommunards …

L’itinéraire suivi n’est pas banal. On ne déroule pas le fil habituel : causes, circonstances, faits, consé­quences… On ne se limite pas aux habituels questionnements : la Commune est-elle aurore ou cré­puscule ? Socialiste ou républi­caine et patriote ? etc. Mais on a affaire, pour reprendre une expres­sion que l’auteur applique à la Commune elle-même, à « une poly­phonie qui tend à l’harmonie », mettant en scène « une multitude de lignes mélodiques ».

On part de « l’outillage mental » des communards, de la morale communarde, une morale révolu­tionnaire opposée aux vices et crimes de l’ennemi bonapartiste ou versaillais. De là procède l’idée communarde, celle de la « vraie république », démocratique et

sociale, fondée sur la justice et le droit, sur l’égalité, sur la liberté… Mais une idée dont la mise en oeuvre est altérée par les circons­tances et les contradictions.

Dans un second temps est présenté le « peuple communard » en action. Le peuple social, dans ses diffé­rentes composantes – travailleurs, femmes, artistes, étrangers –, mais aussi le Peuple politique et sa pra­tique de la démocratie commu­narde, une forme inédite de démo­cratie combinant la démocratie représentative et la démocratie directe plaçant les « mandataires du peuple » sous le contrôle per­manent du « peuple maître de ses destinées ». Un large développe­ment est consacré à la révolution sociale, à l’action dans le champ des droits du travail et de l’écono­mie, avec ces questions : la Commune fut-elle une lutte des classes ? Fut-elle socialiste ?

C’est dans la troisième partie qu’est analysé « le moment révolu­tion ». D’abord les temporalités : les allées et venues entre passé, présent et futur, l’exigence de répondre aux défis immédiats, mais en même temps l’inscription de l’événement dans le temps long de l’histoire avec, évidemment, l’ombre omniprésente de la Grande Révolution. Jean-Louis Robert sou­ligne le poids, parfois sous-estimé, de la guerre civile, à partir du 3 avril. Comme dans toute guerre, il y a un front où opère « une armée pas comme les autres », celle des soldats-citoyens. Il y a aussi un arrière et nous avons une évoca­tion suggestive du quotidien des Parisiens sous la Commune.

L’ouvrage s’achève sur « la Commune en action » : le gouverne­ment de la Commune, son organi­sation, son fonctionnement et son oeuvre, une oeuvre plus considéra­ble qu’il n’y paraît, si l’on prend en compte non seulement les mesures adoptées, éphémères, mais surtout la mise en mouvement de la société.

Nous ne cacherons pas que nous n’avons pas encore lu l’intégralité de l’ouvrage. Mais est-il fait pour être lu d’une traite ? Une table des matières extrêmement détaillée permet de naviguer dans cette somme, au gré de ses intérêts. On peut ainsi suivre le récit détaillé, heure par heure, de la journée du 18 mars, trop souvent réduite à l’épisode des canons de Montmartre ; ou sentir « l’allure de Paris », en déambulant dans la ville, « tranquille, malgré les barri­cades » ; ou encore assister aux séances de l’Hôtel de Ville, parfois chaotiques et houleuses ; quitter aussi l’Hôtel de Ville et descendre au niveau des arrondissements (« Une Commune ? Vingt Com-munes ? »). Etc., etc.

Cette courte note est bien loin de rendre compte de la richesse foi­sonnante de la Nouvelle histoire de la Commune, qui risque bien de rester pendant longtemps la réfé­rence sur la Commune de Paris.

Et pourquoi ne pas solliciter d’au­tres points de vue qui permet­traient de mieux mettre en lumière tous les apports de cet ouvrage monumental ?

Michel Pinglaut

 

 

 

UNE REVUE DE LA LIBRE PENSÉE

Adogma, revue de réflexions libres-penseuses N° 8-9, La Commune de Paris.

Adogma, revue de réflexions libres-penseuses N° 8-9, La Commune de Paris.

Cet ouvrage Revue de réflexions libres-penseuses N° 8-9, La Commune de Paris est constitué, pour l’essentiel, d’un corpus com­portant deux interviews et neuf articles signés.

L’interviewé, Michel Cordillot explique la méthode scientifique utilisée pour bien comprendre la Commune, celle initiée par les his­toriens Jacques Rougerie, suivie par le Britannique Robert Tombs ; elle consiste à analyser les faits avant d’en tirer les conclusions. Il précise qu’il existait deux visions de la république, l’une « forma­liste » et l’autre « démocratique et sociale ». La Commune va ten­ter de mettre en place cette der­nière.

Dans les articles qui suivent et traitent de différents aspects de la Commune, il est indiqué que l’anticléricalisme et la laïcité sont au coeur du projet démocratique et social de la Commune et que les idées de séparation de l’Église et de l’État et de la laïcisation de l’enseignement, nées à cette occasion, ont nourri le débat public durant la première phase de la 3e République.

L’engagement des femmes est aussi analysé d’un point de vue sociologique et politique ; il y est notamment question de la pre­mière organisation féminine structurée : L’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. De plus elles obtiennent la mixité des clubs.

À propos de l’école, la Commune est favorable à l’éducation inté­grale, c’est-à-dire pour les filles, les garçons, les riches et les pau­vres. Enfin un article est consacré au soutien de certaines villes à la Commune.

ÉRIC FOUGERON

 

 

 

EXÉCUTÉ D’UN COUP  DE SABRE

Michel Pinault, Gustave Flourens : un intellectuel révolutionnaire. Du Second empire à la Commune de 1871, Ed. L’Harmattan, 2023.

Michel Pinault, Gustave Flourens : un intellectuel révolutionnaire. Du Second empire à la Commune de 1871, Ed. L’Harmattan, 2023.

Parmi les Communards, voici Gustave Flourens auquel Michel Pinault rend un bel hommage dans une dense et précise biogra­phie.

Les acteurs de cette période ont souvent un parcours exception­nel. Gustave Flourens (1838-1871) fut un savant athée, jour­naliste républicain socialiste, orateur hors pair et leader des quartiers de l’Est parisien, com­battant de la guérilla indépen­dantiste crétoise, « une légende » donc, avant d’être exécuté à 33 ans le 3 avril 1871, sur la route de Versailles, d’un coup de sabre porté à la tête par un gendarme versaillais. C’est un intellectuel révolutionnaire qui tient à parler et à agir, une action sans limite jusqu’au sacrifice.

Ce qui est possible. Par la préci­sion rigoureuse sur la vie de Flourens, les références des textes, apprécions la complexité des rapports sociaux, des débats politiques, le contrôle policier permanent, la censure pesant sur la société impériale. Les arresta­tions, les interdictions de publi­cations. Flourens construit sa réflexion. Dans son livre, Ce qui est possible, il s’interroge sur les évolutions technologiques.

Il soutient les insurrections en Pologne, en Grèce, en Crète en 1863-1868. A Paris en 1868, sa pensée s’oriente vers le blan­quisme. Orateur fascinant, il connaît les prisons Sainte-Pélagie, Mazas. Il s’implante à Belleville. Le 8 septembre 1870, Flourens est élu à la tête des cinq bataillons de Belleville. Lors du siège de Paris, les atermoiements des républicains modérés, les journées d’octobre 1870, du 22 janvier 1871, les débats sont bien analysés par l’auteur.

Parler et agir. Après le 18 mars, il est élu du 20e arrondissement, commandant du 173e bataillon de la Garde nationale. Il appelle à marcher sur Versailles, les hésita­tions et les retards produiront l’échec de l’offensive du 3 avril 1871. Il participe à ces combats sur l’Ouest parisien. Que se passe-t-il ? A-t-il conscience de l’issue ? Est-il épuisé ? Les témoi­gnages donnent à réfléchir. La trahison a joué son rôle, son assassinat est odieux. Flourens est enterré au Père-Lachaise. Les hommages suivent. Les Vengeurs de Flourens, de jeunes habitants de Belleville, se battront sur les dernières barricades. Pour l’au­teur, ce qui définissait le mieux Flourens, c’est « la place de l’ac­tion, dans l’engagement politique direct pour transformer l’ordre poli­tique social dominant ».

FRANCIS PIAN

 

 

 

UNE ÉDITION DU COMITÉ CREUSOIS

Livret de l’exposition générale : La Commune de Paris 1871 – Comité Creusois – Éd. Des Coudercs – ISBN : 978-2-9576755-8-6 – 12 €

Livret de l’exposition générale : La Commune de Paris 1871 – Comité Creusois – Éd. Des Coudercs – ISBN : 978-2-9576755-8-6 – 12 €

Le Comité Creusois a eu la belle idée de réaliser ce livret qui pré­sente les 17 panneaux de l’exposi­tion générale de la Commune de Paris. Le but de ce document est de permettre aux visiteurs de l’ex­position d’en conserver la mémoire mais aussi d’en savoir davantage.

Cette première version est tirée, à 100 exemplaires, sur un beau papier glacé, en format 21x29.7. La mise en page assure une clarté des textes repris et de l’iconogra­phie. Ce livret est agrémenté d’une présentation de l’association, de son histoire, de son fonctionne­ment.

Ce livret sera bien utile aux visi­teurs qui n’auront peut-être pas eu le temps ou le loisir de consulter tous les panneaux de cette exposi­tion. Souhaitons que cette expé­rience soit renouvelée avec nos autres expositions.

Jean-Louis Guglielmi

 

 

 

NOTRE GUERRE CIVILE

Notre guerre civile, Judith Perrignon, Ed. Grasset 2023

Notre guerre civile, Judith Perrignon, Ed. Grasset 2023

Les auditeurs de France Culture avaient pu apprécier, durant l’été 21, le portrait en six épisodes de Louise Michel, femme tem­pête. Judith Perrignon, réalisa­trice de cette série audio, a pro­longé sa rencontre avec Louise Michel à travers cet ouvrage mi-essai personnel, mi-biographie, Notre guerre civile. Ayant eu accès au volume conséquent des docu­ments d’époque ayant trait à la Grande citoyenne, l’autrice a été prise, comme beaucoup de cher­cheurs, du vertige des archives. Des procès, des rapports, des courriers, des rumeurs d’indics, des filatures, pour creuser au-delà d’une biographie, le sillage des révolutions jusqu’à la Commune, nous expose la qua­trième de couverture.

Mais c’est sur ce point que le bât blesse, justement. Un essai ou une biographie réussis vont au contraire au-delà des archives, délivrent les clés pour compren­dre, tissent un fil conducteur qui donne au lecteur, quand il referme l’ouvrage, le sentiment de connaître intimement le per­sonnage, d’avoir saisi sa person­nalité. Ce n’est pas le cas ici. Les minutes de procès succèdent aux rapports de police, la correspon­dance aux citations, sans la dis­tance et l’analyse nécessaires à lier l’ensemble. Il est par ailleurs dommage que l’une des spécia­listes de Louise Michel qui réussit le mieux dans cet exercice, Claude Rétat, dont nous avons com­menté ici plusieurs ouvrages, ne soit ni interviewée ni même citée dans la bibliographie.

Restent les belles pages de Judith Perrignon qui nous fait vivre sa propre expérience de recherche, les découvertes au hasard d’un carton d’archives, l’atmosphère des lieux où elles sont conservées… La série audio, quant à elle, est disponible en podcast sur le site de Radio France.

PHILIPPE MANGION

 

 

 

ÉLISÉE RECLUS, L'HOMME QUI AIMAIT LA TERRE

Élisée Reclus, l'homme qui aimait la terre, Henriette Chardak, Le passeur, 2023

Élisée Reclus, l'homme qui aimait la terre, Henriette Chardak, Le passeur, 2023

Un livre de combat pour une vie de combats : tel est le pari tenté par Henriette Chardak dans son dernier livre Élisée Reclus, l'homme qui aimait la Terre. Pari réussi, à n'en point douter, tant la lecture et son sujet sont passionnants de bout en bout. Élisée Reclus (1830-1905) tra­verse le siècle à la manière d'un personnage hugolien, pétri d'hu­manisme et d'attention aux autres, disciple savant de la vérité, dont la permanente recherche ou ambition tient à la lutte contre toutes les inégalités.

Géographe, voyageur infatiga­ble, internationaliste, anti-escla­vagiste, insoumis et révolté, anarchiste au grand coeur et com­munard, l'homme a effectivement une stature imposante. Et de tous les combats il sera. Pour l'aboli­tion de la peine de mort, pour la Commune, envisagée comme base d'une nouvelle organisation sociale, pour l'association libre des travailleurs, et pour tant d'autres causes gravitant toujours autour de cette idée forte que l'histoire de la Terre c'est aussi l'histoire des hommes, des hommes libres.

Dans un style sobre et élégant, d'une grande précision, l'auteur nous propose une pérégrination et une immersion détaillées dans le siècle dont le savant Élisée Reclus épousera tous les combats de la gauche progressiste et répu­blicaine.

La grande Histoire se conjugue toujours avec les itinéraires indi­viduels.

Avec un impressionnant travail de recension d'archives, de cor­respondances et de références de lettres et d'écritures, des dia­logues imaginés quoique non imaginaires, Henriette Chardak retrace toute la vie d’Élisée Reclus, de son enfance studieuse à sa vieillesse mélancolique mais toujours émerveillée. Une vie de combats, disions-nous. Élisée Reclus possède très tôt une conscience politique qui, entre condamnation à la déportation (suite à son engagement dans la Garde nationale), exil, enseigne­ment et reconnaissance interna­tionale, lui imposera, comme un devoir moral, de définir et conju­rer l'apocalypse capitaliste (ce sont ses propres termes). Sa vocation de géographe sera tou­jours dédiée et consacrée à l'homme et à la terre, dans une logique rigoureuse d'émancipa­tion.

Notons encore, pour les pages d'histoire, quelques belles ren­contres, entre autres rencontres, avec Proudhon, le philosophe sourcilleux, Kropotkine, l'anar­chiste théoricien, Nadar, le pho­tographe militant, également ces grandes figures du mouvement communard, les proscrits de la Commune, que sont Louise Michel et Bakounine.

Pour le plaisir et la réflexion, au gré des amitiés avec certains autres, intellectuels ou artistes, socialistes et anarchistes, la rela­tion entre Élisée Reclus et Courbet, ces deux dépossédés de l'histoire, figure parmi les plus belles pages du livre.

Enfin nous n'oublierons pas ce qui est pour nous la ligne la plus claire et la plus émouvante de cet essai : la relation d'amour et de tendresse entre Élisée et son frère Élie (un nom de prophète) qui ponctue toute leur vie commune. Entre travail partagé, pessimisme et espoir, et affection souveraine.

Ces derniers mots pour Élisée Reclus et sa biographe, dont nous recommandons vivement le livre : L'homme est le frère de l'homme.

JEAN-ÉRIC DOUCE

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