Ce livre centre presque toute son étude sur un grand tableau de 4,30 mètres sur 3,32 mètres, proposé au Salon des artistes de 1885 comme révélateur de la réaction de nombreux artistes à l’événement qu’a été la Commune.
Ce tableau (qui donne son titre à son ouvrage) est l’œuvre d’un artiste de 35 ans, Maurice Boutet de Monvel (1850-1913), qui a été l’élève de maîtres académiques (Cabanel, Carolus-Durand entre autres). Mais ce qui surprend aujourd’hui, c’est que cet artiste se soit fait connaître surtout comme un illustrateur raffiné et délicat de livres pour enfants, aujourd’hui encore très connus [1].
Il y a un profond décalage entre cette douceur et la violence satirique de ce tableau au contenu profondément réactionnaire.
Décrivons-le : la moitié supérieure montre un barbu couronné, affalé vulgairement dans un fauteuil (sans doute volé dans un palais), enveloppé dans un tissu rouge, en forme de toge, déguenillé, un poignard dans une main, une bouteille de vin dans l’autre, piétinant de son pied nu et sale une jeune femme évanouie, recouverte d’un drap blanc. Cette femme symbolise la France piétinée par la « canaille » communarde. La foule frénétique, essentiellement masculine, tend ses bras et ses mains sales pour acclamer ce roi des gueux ; deux compères sont à côté de lui, vêtus en bourgeois, deux sinistres personnages tirés d’un mélodrame célèbre au XIXe siècle [2], qui sont des escrocs et des bonimenteurs. Ils représentent pour le peintre les chefs de la Commune manipulant les masses. Ce livre montre ensuite que ce tableau n’a fait que reprendre tous les mécanismes de dévalorisation de la Commune déjà utilisés avant lui par d’autres artistes (Bertall, Léonce Schérer, Félix Guérie) [3]. De nombreux artistes vont aussi participer à la campagne en illustrant les ruines provoquées par les « pétroleuses » : ainsi Les ruines du palais des Tuileries, par le peintre Ernest Meissonier. L’auteur fait ensuite le parallèle entre la réaction des artistes et celle des écrivains (Zola notamment) au moment de la Commune. Dans les deux cas, elles traduisent la frayeur devant un événement qu’ils ne comprennent pas et qui les remet en question.
Cependant la toile de Boutet de Monvel fut retirée du Salon la veille de l’inauguration, par peur des polémiques qu’elle risquait de provoquer, après une visite d’Edmond Turquet, sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts. Depuis, le temps est passé et l’on ne trouve plus d’artistes anti-communards aujourd’hui. Dans la fin du livre, l’auteur prend un autre exemple : celui des grèves de mineurs à la fin du siècle, pour montrer l’évolution des artistes et de Zola. Livre intéressant avec de nombreuses illustrations de l’époque, malheureusement dans un format trop réduit.
PAUL LIDSKY, ANNETTE HUET
Pierre Coftier, L’Apothéose de la canaille, autour d’un tableau, Cahiers du temps, 2016.
NOTES POUR SERVIR À L’HISTOIRE DE LA COMMUNE DE PARIS
Les éditions Libertalia viennent de rééditer un texte indispensable à qui désire établir le plus objectivement possible l’histoire de la Commune.
Jules Andrieu (1838-1884) est, en effet, un témoin de poids : il est membre de la Commune et son délégué aux Services publics. Il témoigne donc de l’intérieur, à l’instar de Jean-Baptiste Clément dans La revanche des communeux, et il donne son point de vue sans ménager les critiques.
Son ouvrage est, toutefois, très difficile à lire. Le style est lourd et alambiqué. Les phrases sont pleines de références érudites et de digressions inutiles.
Néanmoins, Andrieu expose comment il a pu assurer la permanence des services publics, alors que Thiers avait misé sur la brusque interruption des inhumations, de l’alimentation en eau, des égouts, des poubelles… pour instaurer le chaos (p.128). Andrieu a réussi à mobiliser ses agents, en s’appuyant sur les moins gradés d’entre eux, qui travaillaient avec d’autant plus d’efficacité qu’ils n’étaient plus bridés par leurs chefs, partis à Versailles ou limogés par Andrieu.
Son analyse critique de l’organisation de la Commune semble pertinente. Quatre commissions auraient suffi : finances, guerre, subsistances et police, placées sous le contrôle d’une commission centrale, dite « administrative », qui aurait supervisé aussi les vingt mairies fonctionnant alors comme des sous communes (p.137-142). Son jugement sur les membres de la Commune ne manque pas non plus d’intérêt : selon lui, la plupart d’entre eux ne faisaient que parler au lieu d’agir ; il aurait fallu donner l’essentiel du pouvoir à Lefrançais et à Vermorel, secondés par Jourde, Theisz, Tridon, Varlin, Longuet, voire par Cournet, Arnaud, Gambon, Pottier, Frankel, Mortier « et bien d’autres. Les agitateurs et les exagérateurs, comme Félix Pyat, comme Pillot, comme Régère, auraient perdu du coup leur néfaste influence » (p.238).
Son analyse des incendies pendant la Commune est particulièrement intéressante : « Les versaillais […] ne se gênaient pas pour mettre le feu aux maisons qui servaient de point d’appui aux barricades. Ils ne craignaient pas non plus d’incendier à droite et à gauche, sans autre nécessité que de grossir le bilan incendiaire de ces misérables insurgés, qu’ils fusillaient et mitraillaient, comme ils le méritaient, c’est-à-dire en masse » (p.218). « Des incendies qui, du 22 au 28 mai, ont si fatalement éclairé Paris, il ne reste au compte de l’idée communale que l’incendie des Tuileries et celle de l’Hôtel de Ville. […] J’applaudis sans restriction à la destruction du monument qui est l’emblème […] des royautés et à celle de […] l’Hôtel de Ville, qui a toujours servi au libéralisme, depuis Lafayette jusqu’à Jules Ferry, à escamoter les révolutions du peuple » (p.219).
Il note que Thiers ne s’est pas pressé de pénétrer dans Paris, pour éviter que trop de brusquerie n’incitât les Parisiens à porter atteinte à la Banque de France ou aux titres de propriété et aux « valeurs immobilières éparses dans les études des notaires ou concentrées dans les grandes compagnies : Crédit foncier, Comptoir d’escompte, etc. » (p.186-187).
Dans la conduite de la guerre, il déplore que l’on n’ait pas tiré parti du remarquable réseau de carrières et de galeries souterraines existant, pour miner les zones extérieures aux fortifications, et notamment le plateau de Châtillon (p.146).
Georges Beisson
Jules Andrieu, Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris en 1871, Libertalia, Paris, 2016, 395 p.
Notes
[1] Chansons de France pour les petits Français, La civilité puérile et honnête, La Fontaine, fables choisies pour les enfants, Filles et garçons, Nos enfants, Jeanne d’Arc.
[2] L’auberge des Adrets avec Robert Macaire et son second Bertrand, mélodrame de 1823 : le sous-titre du tableau est Le triomphe de Robert Macaire.
[3] Et partiellement Gustave Doré qui a fait par ailleurs des dessins très satiriques des députés versaillais.