En cette année 2023, notre traditionnelle commémoration du 18 mars avait lieu dans le 11e arrondissement, un arrondissement qui avait été très engagé dans la Commune. Environ 500 personnes avaient répondu à l’appel des Amies et Amis, formant un cortège hérissé de drapeaux rouges, dont la marche est scandée par des chants de la Commune.
Le rassemblement avait lieu devant le Cirque d’hiver, ci-devant Cirque Napoléon (inauguré en 1852), rebaptisé Cirque national après la chute de l’Empire. Véronique Mersch présente ce lieu de spectacles, où l’on donnait des concerts patriotiques, qui était aussi un lieu de réunions politiques. Ainsi, en janvier et février 1871, s’y tiennent plusieurs réunions des délégués de la Garde nationale, d’où va sortir le Comité central. Le 27 avril, c’est la Chambre syndicale des ouvriers boulangers, qui viennent d’obtenir l’abolition du travail de nuit, qui s’y réunit. Les ouvriers boulangers s’y retrouvent encore le 15 mai, et partent en cortège vers l’Hôtel de ville pour exprimer leur gratitude à la Commune.
Du Cirque d’hiver, on emprunte la rue Oberkampf. À l’angle du boulevard Richard-Lenoir, Patrick Delvert fait le point sur la mobilisation de ce quartier ouvrier, qui avait été bouleversé par les grands travaux d’Haussmann. Il rappelle aussi la mémoire de Léo Frankel, qui habitait dans le voisinage, passage Saint-Sébastien. Ouvrier bijoutier né en Hongrie, membre de l’AIT, élu à la Commune et délégué au Travail et à l’Échange, il a été l’inspirateur des grandes mesures sociales de la Commune.
Le cortège se dirige ensuite vers l’église Saint-Ambroise – ou plutôt l’église Ambroise – qui abrita l’un des plus importants clubs sous la Commune, le club des Prolétaires, qui nous est présenté par Caroline Viau.
À partir du 7 mai, on se retrouve tous les soirs dans ce « temple de la parole », qui attire des centaines de personnes – et jusqu’à 4000 au milieu du mois de mai – dont un très grand nombre de femmes. Les gens y discutent, débattent, font entendre leurs doléances et leurs revendications en vertu du principe que
« l’élu doit toujours être prêt à rendre compte de ses actes à ses électeurs afin d’être constamment en communion d’idées et de principes avec eux. »
Le club fait aussi paraître un journal, Le Prolétaire, qui publiera quatre numéros entre le 10 et le 24 mai 1871. Le club Ambroise, comme tous les autres clubs, concrétise l’exercice de la démocratie directe telle que la concevaient les communards.
Le parcours se poursuit vers le jardin Louise-Talbot-et-Augustin-Avrial, rue Bréguet. Dans ce jardin, inauguré à l’occasion du 150e anniversaire de la Commune, John Sutton (qui incarna Avrial dans le film de Peter Wtkins) évoque le couple militant que formèrent Augustin Avrial et Louise Talbot, tous deux adhérents de l’AIT, qui habitèrent à proximité. Ouvrier mécanicien, Augustin Avrial, élu du 11e à la Commune, membre de la commission du Travail et de l’Échange, est à l’origine du décret sur la réquisition des ateliers abandonnés, transformés en coopératives ouvrières de production. Il dépose aussi un projet de décret prévoyant la restitution gratuite à leurs propriétaires des objets déposés au mont-de-piété dont la valeur n’excédait pas 50 francs. Exilé en Angleterre, puis en Alsace et en Suisse, il rentre après l’amnistie de 1880. Mais il délaisse l’action politique pour se consacrer à son métier de mécanicien. Il invente une machine à coudre, la « machine Avrial » ; il conçoit un projet de triporteur à moteur ; et lance l’idée d’un chemin de fer aérien pour l’exposition de 1889.
Enfin, on se dirige vers la mairie du 11e, place Léon-Blum (Voltaire en 1871), dernière étape de ce parcours. Catherine L’Helgoualch prend la parole pour évoquer les sept élus du 11e à la Commune, dont cinq étaient ouvriers. Elle évoque aussi la fin de la Commune : le repli de la Commune sur la mairie du 11e après l’incendie de l’Hôtel de ville, les combats qui se déroulent sur la place Voltaire le 25 mai, et la chute des dernières barricades non loin d’ici les 27 et 28 mai.
On évoque aussi les prisons de la Roquette, situées à quelques centaines de mètres : la petite Roquette, prison d’enfants et de jeunes, dont un certain nombre participèrent aux combats ; et, en face, la grande Roquette, dépôt des condamnés à mort et lieu des exécutions capitales, où furent exécutés six otages par la Commune le 24 mai, et où furent sommairement massacrés par les versaillais 1800 suspects, les 28 et 29 mai.
Le parcours se termine par la reconstitution d’un événement qui avait eu un grand retentissement : le 6 avril 1871, les gardes nationaux et la population du quartier étaient allés chercher les guillotines entreposées à la Roquette et les avaient brûlées au pied de la statue de Voltaire, au milieu d’une foule immense. Dans la nuit tombante, des fusées éclairantes donnent l’illusion de l’embrasement de la guillotine, tandis que la foule chante l’Internationale.
Michel Puzelat
Photos : Jean-Marc Domart, Michel Puzelat