L’histoire - grande ou petite, peu importe - rapporte que Lénine dansa sur la neige quand la durée de la révolution bolchevique dépassa d'un jour celle de la Commune. Ce Kasatchok inattendu révèle que la victoire ne lui semblait pas acquise, mais témoigne aussi de l'importance que la révolution parisienne revêtait à ses yeux. Il ne fut pas le seul.
Son interprétation et ses conclusions furent reprises par l'ensemble des bolcheviques, de Boukharine à Staline ou Zinoviev et par Trotski. Mais d'autres courants de la pensée révolutionnaire, notamment les anarchistes se réclamèrent de la Commune et en tirèrent des leçons différentes. L’analyse d'un événement historique est une (re)construction. Celle de Lénine, figure emblématique de la Révolution russe, débouche sur l'événement majeur du XXe siècle, octobre 1917. C’est pourquoi elle est privilégiée.
Sa réaction exubérante est l'aboutissement d'une longue réflexion qui trouve son origine dans La guerre civile en France, de Karl Marx dont il reprend et développe les thèmes. La Commune, premier exemple d'une prise du pouvoir par la classe ouvrière, est le « fourrier d'une société nouvelle ». Elle a démontré, au-delà de ses lacunes et de ses insuffisances, que la classe ouvrière n'a pas à prendre telle quelle la machine de l'Etat mais doit la détruire. L'expérience communaliste fournit une idée de ce que doit être la nouvelle forme du pouvoir et de son exercice. Gouvernement de la classe ouvrière, elle fut
la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l'émancipation économique du travail.
Après la mort de Marx, Engels insiste dans son introduction à l'édition allemande de 1891 sur cette destruction nécessaire de l'État « remplacé par un pouvoir nouveau, vraiment démocratique », la dictature du prolétariat :
Vous voulez savoir de quoi cette dictature a l'air ? Regardez la Commune de Paris.
Consacrant de nombreux textes à la Commune, Lénine précise cette analyse. La question de tond est celle de la prise et de la nature du pouvoir dans la perspective du dépérissement de l'Etat. Dans le contexte des polémiques au sein de la IIe Internationale jusqu'à la Révolution d'octobre, il développe sa réflexion pour conclure que la société nouvelle se réalisent par une forme moderne de la participation des masses, organisées dans les soviets, sous la direction du Parti bolchevique. Ce parti, que la Commune ne saurait avoir eu dans les conditions de son époque, mettra en œuvre les possibilités révolutionnaires pour vaincre et construire la société nouvelle.
En 1905, dans une conférence prononcée le l8 mars à Genève devant des émigrés politiques russes, il déclare « Nous nous appuyons tous sur la Commune dans le mouvement actuel. » En 1908, Zagranitchnaïa Gazeta (La Gazette de l’étranger) publie le résumé d'un discours du l8 mars : la Commune, malgré ses fautes, « a appris au prolétariat européen à poser concrètement des problèmes de la révolution socialiste. » Il enfonce le clou dans Rabotchaïa Gazeta, (La Gazette ouvrière) en avril 1911 :
la Commune a échoué car la France de 1871 était un pays de petite bourgeoisie au prolétariat non préparé.
Le chapitre 3, consacré à la Commune, de L’Etat et la révolution, rédigé en août-septembre 1917 et publié début 1918, résume sa pensée à la veille d'octobre. Il insiste sur la notion de révolution « populaire » qui doit unir la paysannerie à la classe ouvrière.
Pour « mater la bourgeoisie » « l’organisme de la répression est la majorité de la population (...) C’est en ce sens que l’Etat commence à s’éteindre. »
Ce texte se situe dans le cadre de la polémique avec Kautsky qu’il attaque pour falsification de la pensée de Marx dans La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky (1918) – « le pouvoir des soviets (…) la forme soviétique de la dictature du prolétariat » - comme le fait Trotski en termes comparables (L’Anti-Kautsky, 1920 et Préface, 1921, à La Commune de Talès).
Ce qui est en cause dorénavant, c’est la survie et la victoire de la Révolution. Au VIIe congrès du Parti communiste russe le 8 mars 1918 il affirme :
Sur les épaules de Commune (...) nous pouvons bien voir clairement ce que nous faisons en créant le pouvoir des Soviets.
Au Premier Congrès de l’Internationale Communiste, en mars 1919, il résume sa pensée :
Maintenant que le pouvoir des Soviets, embrasant le monde entier, continue aux yeux de tous l'œuvre de la Commune, ceux qui trahissent le socialisme oublient (...) la Commune et répètent le vieux conte bourgeois de la démocratie en général. La Commune n'était pas une institution parlementaire.
Le 1er août 1924, la délégation française au Ve Congrès de l’Internationale Communiste apporta à Moscou un drapeau de la Commune qui fut déposé au mausolée de Lénine. Dès lors, et pour de longues décennies, l’URSS représentera, aux yeux de tous ceux qui se réclamaient de la Révolution d’octobre, le pays de la Commune victorieuse :
Octobre 1917 venge Varlin agonisant.
Jacques Zwirn