Comité central socialiste

Deux groupes ont mené le combat de l’amnistie : le comité « bourgeois  » auquel Marcel Cerf a consacré un long article [1], et le comité socialiste. Largement méconnu, ce comité, à la brève existence (1879-1881), est pourtant précurseur [2].

Tant qu’il restera un seul de nos frères dans l’exil, dans la déportation, au bagne, l’ère des protestations ne sera pas close. 

 

 Le retour des amnistiés à Paris (L’Illustration)
Le retour des amnistiés à Paris (L’Illustration)

 

La mise en place du comité

Le vote de l’amnistie partielle en mars 1879 est loin de faire l’unanimité. Il mécontente tout particulièrement la mouvance socialiste qui, fidèle à l’héritage communard, fustige cette « fausse amnistie ». Aussi, réunie en assemblée le 16 mars 1879, salle Rivoli, rue Saint-Antoine, elle constitue le « comité socialiste d’aide aux amnistiés et aux non amnistiés ». Son objectif est double. Il s’agit de porter haut la revendication d’une « amnistie pleine et entière  » et de collecter des fonds afin d’aider financièrement les déportés et les proscrits à leur retour en France, et contrer ainsi le comité d’aide aux amnistiés, fondé en 1871 sous la houlette de Victor Hugo et Louis Blanc, et composé, selon Chabert, de « sénateurs, de députés et d’aspirants ».

Né autour du journal Le Prolétaire, le comité animé par des journalistes (E. Gautier, S. Paulard) et quelques dirigeants ouvriers (Ch. Chabert, A. Montas), est ouvert, fait rare, aux femmes. Le comité central, l’instance exécutive comprenant vingt membres «  sans condition de sexe ou de quartier », accueille Léonie Manière, Hubertine Auclert ou Victoire Tinayre. Après l’amnistie de 1880, le comité est rejoint par quelques figures (Jean-Baptiste Clément, François Jourde). Hébergé un temps par le syndicat des mécaniciens, rue Notre-Dame-de-Nazareth (IIIe arr.), le comité est étroitement surveillé. Les réunions, dûment consignées par la police, sont parfois houleuses, surtout lorsque certains responsables sont mis en accusation. Néanmoins, le comité s’implante peu à peu dans les arrondissements avec la mise en place de comités locaux chargés de collecter des dons et de secourir les rapatriés dans les quartiers.

Enfin, le comité socialiste mène une propagande active [3]. Il publie, dès le 20 mai 1879, une déclaration dans la presse socialiste :

«le Parti socialiste veut marcher seul et ne pas faire cause commune avec les insulteurs qui votaient les remerciements à l’armée en 1871».

Fin septembre, il lance un appel à la solidarité envers les amnistiés, adressé aux sociétés ouvrières. Il paraît dans un journal exceptionnel de huit pages, Le Journal des amnistiés. En dehors de Blanqui, véritable mentor tout juste relaxé, y contribuent proscrits et déportés (Benoît Malon, Louise Michel, Jean-Baptiste Clément…).

La même année également, sort la brochure titrée Aux Amnistiés ! Elle souhaite avertir « ceux de nos frères qui reviennent […] contre les étreintes menteuses de certaines mains, auxquelles, à y regarder de près, on retrouverait encore des traces de sang de Mai ! ». Il est vrai que la rivalité entre les deux comités est parfois vive sur les quais de gare, à l’arrivée des convois.

 Meeting annuel au Mur des Fédérés en 1883 Peinture de Ilya Repine (1844-1930), Galerie Tretyakov, Moscou
Meeting annuel au Mur des Fédérés en 1883 Peinture de Ilya Repine (1844-1930), Galerie Tretyakov, Moscou

 

Le comité en action

L’organisation des secours est la mission prioritaire pour le comité socialiste d’aide. Supervisée par une commission de contrôle longtemps dirigée par S. Paulard, la collecte de dons repose d’abord sur des listes de souscription diffusées dans les journaux de la presse socialiste. De même, les concerts populaires et les conférences organisés par les divers comités socialistes ont pour objet de recueillir des fonds. Les orateurs, parmi lesquels Jules Guesde, Léonie Rouzade ou Prudent Dervillers, montent à la tribune, souvent « décorée d’un buste de la République coiffée avec le bonnet phrygien et au-dessus duquel était un large drapeau rouge  ». Le comité se met aussi en rapport avec les chambres syndicales ouvrières de la région pour que «  dans chaque atelier circulent des listes de souscription  » et pour procurer du travail aux amnistiés à leur retour en France. Il est également en relation avec les sociétés de réfugiés à l’étranger, notamment avec la société basée à Londres, animée par Gabriel Ranvier et Albert Theisz, afin de favoriser l’entraide envers les proscrits. Au final, lorsque le comité se dissout en juin 1881, il a distribué 27 905 Francs, et secouru 1128 amnistiés. Nettement plus riche, le « comité bourgeois  » a distribué quant à lui 359 588 F et secouru 3552 rapatriés [4].

Cependant, le comité socialiste n’est pas seulement un comité de secours, il entend jouer un rôle politique. Il apporte son soutien aux ouvriers grévistes ou aux nihilistes russes. Mais surtout, il profite des campagnes électorales pour promouvoir son message. Il appuie ainsi les candidatures illégales finalement victorieuses de Blanqui à Bordeaux (avril 1879) et de Trinquet à Paris (juin 1880). Le comité souhaite aussi ardemment défendre la mémoire de la Commune face à une loi d’amnistie, « mesure d’apaisement et d’oubli  » [5] pour les républicains. Parmi les actions du comité, la manifestation au cimetière de Levallois-Perret (novembre 1880) est sans doute la plus retentissante. Bravant l’interdit, des membres du comité, « l’immortelle rouge à la boutonnière  », se rendent, peu après le retour tumultueux de Louise Michel, sur la tombe de Ferré.
Onze personnes (dont Herminie Cadolle, Michel Morphy) sont arrêtées et comparaissent au tribunal, dans un procès très suivi. Surtout, en choisissant de commémorer deux moments-clés de l’insurrection parisienne, le comité met en place une tradition qui perdure encore aujourd’hui.
Salle des Écoles, rue d’Arras, le 18 mars 1880, jour anniversaire du soulèvement, le comité donne un premier banquet, déjà pratiqué par les communards en exil. Par ailleurs, le comité contribue à organiser la première montée au Mur, au Père-Lachaise. Interdites par le préfet, les manifestations de mai 1880 et 1881, malgré des heurts avec la police, parviennent sur la fosse commune où sont déposées des couronnes « avec l’inscription en rouge "aux défenseurs de la Commune" ».

Le retour des derniers proscrits, suite au vote de l’amnistie plénière en juillet 1880, précipite la fin du comité socialiste qui se dissout un an après. Mais, par son activité, il a véritablement été, comme le dit la police, « un centre d’action révolutionnaire ». Pour avoir été, après le choc de la Commune, un des premiers groupes socialistes constitués, il a contribué au renouveau en France du mouvement ouvrier.

Éric Lebouteiller

 

Notes

[1] M. Cerf, « Le Comité de secours pour les familles des détenus politiques », La Commune, n° 16, janv. 1982.

[2] Gros dossier (BA1516) aux Archives de la préfecture de police de Paris, sises au Pré-Saint-Gervais.

[3] L’appel aux sociétés ouvrières et la brochure Aux Amnistiés ! sont consultables sur Gallica (site de la Bnf).

[4] A. Dalotel, « Deux amnisties pour oublier la Commune » in Ph. Vigier, Répression et prisons politiques en France et en Europe au XIXe siècle, 1990, Créaphis éd.

[5] A. Dalotel, « Les amnisties de 1879 et 1880 en échange de l’oubli », La Commune, n° 14, 1981.

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