Le Louvre réouvert
Dans le Journal officiel de la Commune du 18 avril, nous lisons :
Samedi [15 avril], une partie des musées du Louvre a été ouverte au public et aux artistes. Cette partie comprend :
Le musée Lacazes (1), la salle Henri II, la salle des Sept cheminées où se trouvent le Naufrage de la Méduse, par Géricault, et les Sabines, de Louis David.
Tout le musée des Antiques.
Le musée des dessins de toutes les écoles, des miniatures et des pastels.
Le musée Sauvageot, celui des faïences italiennes et des terres cuites de Bernard de Palissy.
Le musée des sculptures de la renaissance.
Et le musée des sculptures des dix-huitièmes et dix-neuvième siècles du rez-de-chaussée.
Les portes ouvrent à dix heures.
Il n’y a pas d’autre détail, pas de compte rendu de réouverture en grandes pompes par Courbet ou Oudinot, le nouveau délégué au musée. Rien non plus dans le Cri du peuple.
Intéressons-nous alors à ce que les Parisiens ont pu admirer et imaginons dans quelles conditions ils ont pu le faire.
Depuis début avril, les combats font rage en banlieue ouest et sud de Paris et les canonnades se font entendre jusqu’au centre de la capitale. De nombreux bourgeois, population habituée des musées, ont quitté Paris. Mais malgré tout la vie continue, car, si l’on n’habite pas près des barrières entre Asnières et Vanves, le danger ne se fait pas encore pressant. Paris est approvisionnée à peu près correctement par le nord et l’est, tenus par les Prussiens. (2)
Dans l’attente de la bataille finale, la vie culturelle tourne au ralenti mais n’est pas tout à fait éteinte. Des concerts sont donnés aux Tuileries, quelques théâtres sont restés ouverts, comme le Gymnase, la Gaîté ou le Châtelet. (3)
Le Louvre, lui, était vidé de ses principales œuvres dès avant le Quatre-Septembre, avant le siège de Paris par les Prussiens. Les toiles, débarrassées de leur cadre et roulées, avaient été expédiées par convoi à Brest, destination l’arsenal. La Vénus de Milo, quant à elle, était planquée dans les sous-sols humides de la Préfecture de Police. (4)
Le 2 mars, dans les quelques jours où ils sont venus parader en vainqueurs dans Paris, les Prussiens ont tenu à faire la visite du Louvre. Insultés par les Parisiens qui les ont aperçus par les fenêtres du palais, ils durent écourter l’expérience, qui faillit tourner à l’émeute.
Depuis le 18 mars, le musée est occupé par la Commune « dans le but de mettre à l’abri et de faire respecter les chefs-d’œuvre et les objets précieux qu’ils contiennent », nous apprend Dardelle, le gouverneur des Tuileries, dans le Journal officiel du 25 mars. Paradoxalement, ce même article annonce en titre la réouverture des Musées, donc bien avant le 15 avril. Mais sans doute est-ce une erreur. Ce jour-là, seuls le jardin des Tuileries, le square du Louvre et les terrasses extérieures semblent avoir été rendus accessibles.
Ainsi, à partir du 15 avril, les amateurs d’art, frustrés des collections du Louvre, n’ont pas dû bouder le plaisir de la réouverture.
Un événement marquant s’est déroulé deux jours après l’ouverture. Le 17 avril avait lieu, dans la salle des antiques, l’élection de la commission fédérative des artistes, qui faisait suite à la création de cette fédération, le 13 avril, que nous avons relatée dans l’éphéméride. Sans doute les artistes se sont-ils attardés en nombre dans les allées. Ce jour-là, le palais réveillé dut retrouver comme un air de Salon.
Début mai, Lissagaray est de visite. Il nous raconte, dans son Histoire de la Commune :
À travers le Palais Royal, nous arrivons au Musée du Louvre. Les salles, garnies de toutes les toiles que l'administration du 4 Septembre a laissées, sont ouvertes au public. Jules Favre et ses journaux n'en disent pas moins que la Commune vend à l'étranger les collections nationales.
Le 22 mai, le Journal officiel annonce laconiquement :
le public est averti que les musées du Louvre seront fermés pendant quelques jours pour cause majeure ; la Commission fédérale des artistes procède en ce moment à leur réorganisation. (Délégation à l’enseignement.)
La « cause majeure », ce sont les troupes versaillaises qui ont lancé l’attaque de Paris. La semaine sanglante a commencé. Le 23, les communards enflammeront le palais des Tuileries et sa bibliothèque impériale, mais le Louvre sera épargné.
Encart :
Polémique entre Maxime Du Camp (auteur des Convulsions de Paris) et Jules Héreau (délégué aux musées de la Commune, avec Oudinot et Dalou) à propos de la réouverture du Louvre.
Maxime Du Camp, dans les Convulsions de Paris (extrait) :
Réponse de Héreau (extrait) :
La nomination de Héreau n’apparaît au JO que le 16 mai, mais d’après le document ci-dessous, il semble avoir été nommé avec Oudinot et Dalou, dès le 15 avril, peut-être le 17 après l’élection de la commission fédérative.
Le Cri du Peuple du 17/4 (à propos de l’élection de la commission fédérative des artistes)
On remarque la présence parmi les candidats d’Edouard Manet, alors qu’il n’était pas à Paris à ce moment-là et qu’il se montrait plutôt hostile à la Commune.
Notes
(1) La salle La Caze (et non Lacazes) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_La_Caze
(2) Élie Reclus, La Commune au jour le jour
(3) Gustave Labarthe, Le Théâtre pendant les jours du Siège et de la Commune
(4) Édmond de Goncourt, Journal des Goncourt
Vive la Commune à Cosne-sur-Loire !
La Nièvre, nous l'avons vu pour les 10 et 11 avril, à La Charité-sur-Loire, est fort imprégnée des idées socialistes. Les « Marianne », sociétés républicaines clandestines, jouent un rôle idéologique important sous l'Empire, comme foyers républicains. L'Association internationale des travailleurs(AIT) y sera ensuite représentée.
Pour preuve, cette adresse au Garde de Sceaux par le procureur général d'Orléans, le 26 août 1872.
« La Nièvre, dans certains arrondissements surtout, était restée depuis 1848, l'un des foyers les plus ardents de la démagogie. Les anciennes sociétés secrètes y avaient beaucoup d'adhérents, et l'internationale y avait étendu des ramifications ».
L'enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars, décidée le 18 juin 1871 par l'Assemblée nationale cite les mouvements à Cosne . lls se sont déroulées les 15, 16, 17 et 18 avril, soit moins d'une semaine après la Charité. Ils sont notables comme démonstrations de masse dans la proche région cosnoise. Drapeau rouge ! Cris : « Vive Paris ! Vive la Commune ! A bas Versailles ! »
Le général Du Temple et le préfet se sont transportés dans cette ville, accompagnés de troupes, et firent procéder à l'arrestation des principaux meneurs, au nombre de 11,et les firent transportés dans la prison de Riom où ils sont actuellement détenus(NDLR: fin 1871) en état de prévention. Depuis l'ordre n'a pas été troublé dans le pays.
Dans un autre chapitre de l'enquête il est indiqué :
Cosne était livré au désordre. Le drapeau rouge et la Commune acclamés par une foule soulevée et dirigée par Fournier, Assalineau, Malardier et autres chefs du parti démagogique dans le pays(...) Neuvy-sur-Loire a envoyé un contingent.
St-Amand-en-Puisaye avait été sollicité par le comité d'organisation.
Le dictionnaire Maitron nous livre une liste de Nivernais en sympathie avec la Commune. Hippolyte-Alexis Asselineau, L. Bossuet, H.Cormier, F.David, Fournier, Ferdinand Gambon, très populaire dans le Cher depuis « l'épisode de la vache » et jugé, lui, à Paris, Ch. Jouhet, P. Levasseur, P. Malardier, B. Poupet, P. Poupet, A. Rigollet, E.A. Robert, Savignal, Sermelin. Il est à noter la présence de plusieurs femmes : Charlotte Lardillier, Mathilde Lardillier, Zozime Lardillier, et la femme Poupet(probablement prénommée Mirabelle).
Voyons Pierre Malardier
Assurément Malardier est aussi actif que Gambon et son frère. Il vient de l'arrondissement de Clamecy, réputé pour ses flotteurs. Il faut là encore remonter à 1848 pour le trouver instituteur. Il fit le voyage à Paris pour faire imprimer une brochure dédié aux paysans., « l'Evangile du Peuple ». Il considérait Paris comme une constellation de provinciaux. Le gouvernement de Cavaignac lui retira son école. « Homme dangereux ! » Il fut élu député de la Nièvre pour l'Assemblée législative de 1849. Il adhéra au programme des instituteurs socialistes. Comme Gambon, il fut arrêté après le coup d'état de décembre 1851. Exil à Bruxelles(il côtoie le Creusois Martin Nadaud), Anvers, puis la Suisse.
Malardier est considéré comme un lieutenant de Gambon, mais ses discours, son action personnelle paraissent avoir le plus contribué à répandre dans la Nièvre « les plus dangereuses doctrines ». C'est lui qui était en rapport suivi avec la Commune de Paris.
Avant la Commune, il a écrit dans plusieurs journaux. Il y défendait et définissait son socialisme. " propriété individuelle de la terre par ceux qui la cultivent, pour la propriété collective des manufactures par les ouvriers associés, idéal d'uns société déocratique, que tous les habitants d'un pays soient propriétaires individuels ou collectifs, de la terre ou de la manufacture " . Il est pour l'affranchissement des communes. Il se définit comme socialiste et patriote.
Pour les journées de Cosne, il a assisté aux réunions préparatoires mais pas aux manifestations. Il fut condamné le 8 décembre à 15 ans de détention, avec E.A.Robert, par la Cour d'Assises du Loiret :
Ils ont été et seront toujours à la tête de toutes les agitations qui se produisent dans la Nièvre. Ces hommes sont indignes d'aucune indulgence.
Condamné pour
crime de complot dans le but de détruire ou changer le gouvernement, excitation à la guerre civile, complicité dans le débit de cris séditieux et dans l'exposition publique d'un drapeau rouge.
Hippolyte Alexis Asselineau, propriétaire, marchand de vin(nous sommes dans les coteaux de Loire) organisa , chez lui, une réunion en vue d'étendre le mouvement à St-Amand en Puisaye. Ernest Adolphe Robert logea chez lui.
À consulter :
Enquête parlementaire sur l'insurrection du 18 mars :
Notices du Maitron :