La délégation à Versailles le 21 avril 1871
En 1870, la maçonnerie française est divisée en deux obédiences principales : le Grand Orient (18 000 membres) et le Suprême Conseil de France (6 000)., elles-mêmes traversées par de multiples courants. Il y a des loges bonapartiste, républicaines (Paris et quelques grandes villes de province), des loges sont plus traditionnelles et légitimistes en province.
Cependant la question religieuse fait partout débat.
Pour Paris et sa banlieue, on compte 6 500 frères, dont 4 400 pour le Grand Orient. La moitié a moins de 40 ans, et un tiers moins de trois ans d'ancienneté, ce qui explique l’influence des idées républicaines et sociales.
Les ouvriers et artisans représentent un quart des membres (ils n'ont jamais été et ne seront plus jamais aussi nombreux) Ils côtoient des commerçants et négociants, des employés et des entrepreneurs mais peu d'intellectuels, journalistes, avocats, professeurs, bien que ce soient ces derniers qui animent la vie des loges.
Politisées à “gauche” ou très anticléricales, les loges parisiennes sont hostiles à l'Empire et à l'Église, et portent un intérêt certain aux questions scolaires et sociales.
Lors de la proclamation de la IIIème République, le Palais-Bourbon est envahi par le peuple. Mais contrairement à 1830 et 1848, les francs-maçons ne participent pas au coup de feu dans la rue.
Sur les 12 membres du nouveau gouvernement, 8 sont déjà francs-maçons, et 2 le deviendront dans les prochaines années. aucun d'entre eux n'a pris parti pour la Commune de Paris, bien au contraire.
Jules Favre, qui sera membre du gouvernement de Thiers à partir de février 1871, est l'un des adversaires les plus déterminés de la Commune.
Jules Simon, également membre du gouvernement Thiers, recevra les délégations de francs-maçons et de négociateurs parisiens. Ceux-ci l'accuseront rapidement de tenir un double langage.
Le 26 mars ont lieu les élections. Sur les 86 élus 21 sont francs-maçons. Une fraction souhaite intégrer la Commune, une autre amenée par Charles Floquet se veut uniquement conciliatrice entre Versailles et Paris.
Par ailleurs la plupart des généraux et beaucoup d'officiers supérieurs communards, français et étrangers, sont maçons.
Le 2 avril, les Versaillais passent à l'attaque. Débute alors une série d'initiatives conciliatrices.
Le 7 avril, pour « tenter une démarche de conciliation, pour arrêter l'effusion du sang qui coule, tous les Vénérables (c'est à dire les présidents des loges) du Rite (le GO) sont convoqués le soir du 8 Avril pour délibérer sur ce sujet fort grave… » (appel de la loge “ Les Disciples du Progrès “.
De cette délibération sortira le " Manifeste de la Franc-maçonnerie “ affiché sur les murs de Paris et diffusé en province.
À Paris, l'accueil de la Commune au manifeste est " sympathique mais réservé " dixit Gérard Gabella dans son article de 2011 (cf. sources).
À Versailles, la délégation venue présenter le document est reçue " avec mépris, Versailles ne lui reconnaissant pas de mandat légal ".
Après cette première tentative, les réunions des loges se succèderont tout au long du mois d'avril. Les participants seront de plus en plus nombreux.
Il est décidé d'envoyer une nouvelle délégation rencontrer Thiers le 21 avril.
C’est le journaliste franc-maçon Ernest Hamel qui conduit la délégation. Adolphe Thiers opposera une fin de non recevoir catégorique à toutes les requêtes.
Les francs-maçons responsables de la dernière tentative sérieuse de la conciliation entre Versailles et la Commune de Paris le 21 avril 1871, décident de se réunir quelques jours après la rencontre avec Thiers,
Le 26 a lieu une réunion de tous les francs-maçons parisiens.
Le vénérable Thirifocq déclare :
Il faut dire à Versailles que si dans les 48 heures on n'a pas pris une résolution tendant à la pacification, on plantera les drapeaux maçonniques sur les remparts et que si un seul est troué par un boulet ou une balle, nous courrons tous aux armes pour venger cette profanation.
Malgré quelques manoeuvres des “conciliateurs”, la réunion générale de la maçonnerie prévue le dimanche 29 avril a lieu. Et 10 000 frères décident de marcher vers l'Hôtel de Ville, dirigés par leurs grands maîtres.
Cette manifestation restera à jamais un événement exceptionnel de l'histoire maçonnique.
Félix Pyat, délégué de la Commune :
Vous francs-maçons, (…) vous allez maintenant planter votre drapeau d'humanité sur les remparts de notre ville assiégée et bombardée. Vous allez protester contre les balles homicides et les boulets fratricides, au nom du droit et de la paix universelle.
Jules Vallès, communard et franc-maçon, dans “Le Cri du Peuple” (1er Mai 1871) :
En sortant de ses ateliers mystiques pour porter sur la place publique son étendard de paix, qui défie la force, en affirmant en plein soleil les idées dont elle gardait les symboles dans l'ombre depuis des siècles, la franc-maçonnerie a réuni au nom de la Fraternité la bourgeoisie laborieuse et le prolétariat héroïque… Merci à elle. Elle a bien mérité de la République et de la Révolution…
Sources :
Gérard Gabella : “Les francs-maçons dans la Commune de Paris” – La Dyoniversité 19 avril 2011
“Les francs-maçons et la Commune (du rôle qu’a joué la franc-maçonnerie pendant la guerre civile)”, par un franc-maçon M. disponible sur Gallica/BnF
Tulle et ailleurs
Comme Périgueux, Tulle fait partie des villes citées par de nombreux auteurs comme ayant connu une manifestation de soutien à la Commune. La ville est importante, c’est en effet à Tulle que l’on fabrique des armes, entre autre le célèbre chassepot.
Sur les « événements » presque rien, deux brèves notices du Maitron :
Louis Blétry. Né vers 1839 ; ouvrier armurier à Tulle (Corrèze) ; sympathisant de la Commune de Paris.
Louis Blétry fut condamné, le 28 avril 1871, à Tulle, à six mois de prison et 16 F d’amende pour avoir, le 21 avril, selon sa propre déclaration, tenté, ainsi que Lacroix, « de pousser la population à proclamer la Commune ». Il avait subi antérieurement une peine d’un an de prison pour cris séditieux. Les deux hommes eurent une bonne conduite en prison.
Une note dans les archives de la justice :
Dossier 449
Cris de « Vive la Commune ! Vive la République rouge ! » et propos incendiaires par un ouvrier armurier à Tulle (Corrèze), le 21 avril 1871.
https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/pdfIR.action?irId=FRAN_IR_002973
Sur la MAT, la manufacture d’armes de Tulle, quelques informations :
D’après l’estimation de production (par Yves CAYRE) du 1er juillet 1870 à mars 1871 : 70 000 à 75 000 fusils: Histoire de la Manufacture d'armes de Tulle [Texte imprimé] : de 1690 à 1970 / Yves Cayre ; [publié par la Manufacture d'armes de Tulle]
Il y aurait environ 700 ouvriers en 1866.
Par ailleurs dans un article très documenté ,Jean François Brun dans la Revue Historique des armées note les efforts de rationalisation effectués à partir de 1866
Il note l’état ancien vers 1860 :
De même, à Tulle « les cheminées, les calibres et instruments vérificateurs sont fabriqués au chef-lieu. À l’Estabournie et à Souillac, on forge les canons, une partie des baïonnettes, des baguettes, des chiens et des culasses. Toutes, les autres pièces de l’arme se confectionnent dans des ateliers particuliers ou boutiques appartenant aux ouvriers, en ville et en dehors de Tulle. Les centres de fabrication, au nombre de 8, existent dans des localités qui pour la plupart sont à 40 et même 60 km de Tulle. Le plus important, Treignac, où l’on fabrique les platines, est à 40 km
Il note l’effort de rationalisation entrepris à la fin de l’empire :
De fait, l’aspect économique n’avait pas échappé aux inspecteurs des manufactures, qui notaient déjà, en 1864, à propos de Tulle, que « les innovations introduites pour l’usinage et le garnissage du canon donnent d’excellents résultats et permettent de réaliser une économie de 1 F 00 environ par canon ». Le fusil de guerre ne constituant toutefois pas un produit marchand banalisé, on prend seulement en considération son prix de revient, sans se référer à un quelconque marché concurrentiel. Enfin, en filigrane, se pose toujours la question sociale du grand nombre d’ouvriers employés dans le cadre du mode de production traditionnel.
La mécanisation induit de profondes transformations y compris en matière de main d’oeuvre :
De même, le projet « Ames » soulignait qu’au lieu de 1 800 armuriers qualifiés, la fabrication annuelle de 50 000 armes requerrait seulement « 1 200 ouvriers (presque tous jeunes gens ou manœuvres), dirigés par 20 contremaîtres, le tout contrôlé par 10 vérificateurs ».
Le processus en engagé, la dispersion réduite en 1870, mais nous n’avons pour le moment pas plus
Jean-François Brun, « La mécanisation de l’armurerie militaire (1855-1869) », Revue historique des armées [En ligne], 269 | 2012, URL : http://journals.openedition.org/rha/7581
Dossier 449
Sur le « tumulte de Tulle rien ! Pas de presse locale en ligne, d’article d’historien local, de mémoire accessible….
La solution nous fut apportée par une amie du réseau des Amies e amis de la Commune !
Un article venimeux du Courrier de la Gironde, 2 mai 1871 nous en apprend plus.
D’abord Bletry viendrait de Paris. Envoyé comme Lestang, arrêté à Viam le 20 mai, dont on sait qu’il avait été envoyé en Corrèze (Maitron) ? Il est décrit comme un agitateur des plus actifs. Signe qu’il n’était pas seul. Il est sur qu’il est à l’origine de la manifestation comme Lacroix qui lui est assurément du cru. En bon journal bourgeois, l’Echo de la Gironde, trace un portrait à charge de ce gaillard, célibataire et braconnier ce qui l’aurait sans doute rendu fort sympathique à Louis Pergaud !
Leur tentative, le vendredi 21 avril en fin d’après midi ils réussissent à provoquer une manifestation avec les cris « Vive la Commune, à bas l’Assemblée, à bas Versailles, à bas le maire, à bas le préfet »
Bletry est arrêté, Lacroix s’enfuit, la manifestation se disperse selon notre source. Bletry aurait été accusé d’être un agent bonapartiste par le préfet, ce à quoi il aurait répondu en protestant énergiquement qu’il n’était ni bonapartiste, ni républicain, qu’il était fidèle à son drapeau, à la Rouge d’a.
Etait-il à l’AIT ?
Bref Lacroix et Blétry furent condamné.
Amis de Corrèze et d’ailleurs nous attendons vos lumières sur ces valeureux pionniers de la Sociale et de la Rouge. Ils ne sont pas les seuls qui acclamèrent la Commune ou tentèrent quelque chose et sur lesquels nous n’avons guère de lumières !
Citons à partir d’une partie des archives de la justice(voir plus haut) :
mai-juill. 1871 - Dossier 456 : Propagande révolutionnaire faite par un ouvrier maçon à Baraize (Indre), en mars 1871.
juin-juill. 1871 - Dossier 692 : Tentative d'installation d'une commune révolutionnaire à Polaincourt (Haute-Saône), en novembre
1870.
mars 1860-août 1871 - Dossier 842 Cris de « Vive la Commune ! Vive Paris ! » poussés par le Sieur Gandolfo-Pinola, horloger à Cluses (Haute-Savoie), en 1871 : allusion à une demande du Comité républicain de Bonneville, de rattachement à la Suisse de la Savoie Septentrionale (1 pièce : dem. en grâce)
juin 1871 - Dossier 860 : Extraits et commentaires des journaux de la Commune, publiés et répandus à Constantine (Algérie) par le Sieur Stadler, imprimeur dans cette ville, en 1871.
juin-sept. 1871 - Dossier 885 : Propos séditieux (approbation des actes de la Commune), tenus par un tailleur, à la nouvelle de l'incendie de Paris, le 25 mai 1871, à Bayeux (Calvados)
juin 1871 - avril 1879 - Dossier 1637 : Articles séditieux (approbation de la Commune) publiés à Argentan (Orne) dans le journal « le Grelot »,
avril et mai 1871, juill. 1871-août 1872 - Dossier 1656 : Troubles à Dordives (Loiret), du 30 avril au 4 mai 1871 : drapeau rouge arboré sur un arbre de la Liberté.
juill. 1871-avril 1872 - Dossier 1792 : « Proclamations de la Commune » colportées par un maçon, à Parnac (Indre), en 1871.
juillet 1871 - Dossier 1821 : Troubles à Romans (Drôme), le 22 mai 1871.
juill.-Sept. 1871
Ou ailleurs...
Laurent Le Gall. « Regards sur la Commune de 1871 en France. Nouvelles approches et perspectives » : « Le silence et la peur. Traces de la Commune dans le Morbihan ». Colloque, l’Université Paris 13 (CRESC) en collaboration avec la Commission archéologique et littéraire de Narbonne et l’Institut d’histoire sociale CGT de l’Aude, Mar 2011, Narbonne, France.