À Limoges, l’activité industrielle s’est affirmée, dès la fin du XVIIIe siècle, autour du textile et de la porcelaine ; les convictions socialistes ont fortement imprégné la classe ouvrière. La ville est déjà aguerrie aux conflits sociaux.
Nombre de républicains de la ville et de la région ont été emprisonnés et proscrits sous Napoléon III. Ils sont rentrés d’exil après le 4 septembre 1870 et ont repris leur place dans le combat politique, notamment en participant à la création d’une « société populaire de défense républicaine ». Ils ont créé, dès la fin 1870, leur quotidien, La défense républicaine et ont eu plusieurs élus au nouveau conseil municipal dirigé par le républicain modéré Casimir Ranson.
Aussi, lorsque le 18 mars 1871 Paris se soulève, la Commune trouve aussitôt un écho favorable. La Société populaire décide d’envoyer un émissaire, Louis Baubiat, prendre contact avec le Comité Central de la Garde nationale. Dès le 22 mars, le Conseil municipal demande à la préfecture « l’armement immédiat de la population » pour « empêcher les conspirateurs monarchistes d’étrangler encore une fois la République ». En réponse, le préfet Massicault, républicain proclamé, est remplacé par Léopold Delpon, réputé monarchiste. Les conseillers municipaux socialistes tentent d’organiser le mouvement montant en se constituant en comité. Ils sont six : Pierre Rebeyrolle, horloger (proscrit de 1851), Elie Duboys, livreur (qui avait animé à Paris en 1848 un club socialiste, proscrit lui aussi), Jean-Baptiste Roubinet, balancier, Maury, sabotier, Aragon, porcelainier, Laporte, aubergiste.
C’est le 4 avril que la situation prend un tour nouveau. Un régiment cantonné à Limoges, le 9e de ligne, est envoyé grossir les troupes versaillaises qui assiègent Paris. Il doit rejoindre à la gare un train qui, selon la rumeur qui court la ville, remonte de Périgueux d’autres troupes et des munitions. Entre la caserne et la gare, écrit La défense républicaine,
« les 3 ou 400 hommes qui le composaient paraissaient en proie à une certaine animation. Ils criaient de temps à autres "Vive la République" ».
Un autre quotidien local, de droite, La discussion, écrit, sous la plume de Louis Guibert :
« Une foule composée en partie de femmes et d’enfants accueillit la troupe par des cris de "Vive la République ! Vive Paris ! vive la Commune !" Et les femmes demandaient aux soldats :
tirerez-vous sur vos frères ? »
Cette foule est accompagnée d’un détachement de la Garde nationale, sous la conduite du peintre sur porcelaine Couessac, qui a mission d’interdire au train de renforts versaillais la remontée vers Paris. La foule envahit la gare.
« En un moment, poursuit Louis Guibert, sans que nous puissions savoir quelle étincelle a déterminé l’explosion, la troupe et la foule se mêlent, la locomotive est décrochée ; des faisceaux sont enlevés ; quelques hommes, une trentaine, nous dit-on, laissent prendre ou donnent leurs armes ».
Description plus appuyée de La défense républicaine :
« Les soldats offraient leurs chassepots et leurs cartouches à qui les voulait : 80 fusils tombèrent de cette façon entre les mains de la population de Limoges ».
Pendant ce temps, un autre mouvement de foule envahit la préfecture. Le préfet s’enfuit, déguisé en domestique. À l’Hôtel de Ville également envahi, la Commune de Limoges est proclamée, tandis que les rues alentour se ferment de barricades.
Vers dix heures du soir, l’armée amorce un mouvement en tenaille avec un détachement du 81e régiment d’infanterie, sous les ordres du capitaine Nadaud, et le 4e régiment de cuirassiers, commandé par le colonel Billet. Les cavaliers arrivent devant l’accès principal où les insurgés sont encore en train d’édifier une barricade. Le journaliste de La Discussion dit avoir vu « une femme qui portait son enfant sur un bras et des pavés sur l’autre ». Et brusquement la fusillade éclate. C’est une confusion totale, que les témoignages ultérieurs n’éclairciront pas.
D’abord il fait nuit noire. Certains affirment que les militaires se gardaient de toute manifestation d’agressivité, d’autres disent avoir entendu le colonel donner l’ordre aux cuirassiers de mettre sabre au clair, d’autres même que plusieurs manifestants ont été blessés. Un dit avoir entendu l’un des insurgés (Rebeyrolle, semble-t’il) crier : « pas de provocation », juste avant la fusillade. Toujours est-il que le commandant Billet est blessé à mort.
Tandis que les militaires se replient, le mouvement se délite ; aucune directive ne semble avoir été donnée ou entendue. Le détachement qui occupe la gare n’est pas informé de la fusillade. Les rues se vident peu à peu. Le lendemain, l’état de siège est proclamé et des renforts arrivent en ville : trois régiments d’infanterie, un bataillon de chasseurs à pieds, un deuxième régiment de cuirassiers, deux batteries d’artillerie, une demi-batterie de mitrailleuses. Le siège de la Société populaire, où les soldats mutinés ont trouvé abri, est investi. Le 10 avril, le Conseil municipal démissionne, et c’est une commission militaire de 22 membres, sous les ordres du général Dalesme, qui assure l’autorité.
Les arrestations et les dénonciations se multiplient au point que le procureur se plaint du « grand nombre de lettres et de renseignements anonymes ».
Il « supplie les honnêtes gens d’avoir un peu plus de courage et de vouloir bien prendre la responsabilité des indications qu’ils lui adressent. Un renseignement anonyme est presque toujours inutile. Il faut oser signer ce qu’on écrit ».
Le maire démissionnaire Casimir Ranson, sans avoir donné de signe de soutien à l’insurrection, plaide l’indulgence, de même que La défense républicaine. Mais à Versailles, Monsieur Thiers ne l’entend pas de cette oreille.
« À Limoges, déclare-t-il, s’est produite une émotion peu dangereuse ; mais les communistes de cette ville, jaloux de se montrer à la hauteur des communistes de Paris, ont assassiné le colonel du régiment de cuirassiers qui était cantonné dans le département. La répression va suivre de près ce lâche attentat ».
Les deux acteurs les plus visibles de cette journée, Rebeyrolle et Duboys, qui ont réussi à échapper aux « forces de l’ordre », sont condamnés à mort par contumace. Une trentaine de peines de prisons sont prononcées.
Alfred Talandier est privé de son droit de vote et, quelques jours plus tard, La défense républicaine, interdit. Une nouvelle élection municipale est décidée pour le 30 avril. Elle donne la victoire aux républicains modérés, qui, considérant que les élections ont été faites « sous la pression des baïonnettes », démissionnent aussitôt. Signe de l’état d’esprit de la ville : Élie Duboys, quoi qu’en fuite, est réélu.
GEORGES CHÂTAIN
Outre Limoges, plusieurs villes du Limousin ont manifesté leur sympathie pour la Commune de Paris : Tulle, Saint-Junien, Solignac, Aubusson, La Souterraine, Saint-Léonard-de-Noblat. Plusieurs ont été mises en état de siège, et des conseils municipaux dissous.
Parmi les Communards arrêtés à Paris après la Semaine sanglante (33 584), 1 314 étaient des migrants limousins (953 de Creuse, 388 de Haute-Vienne, 173 de Corrèze). La Creuse a été le troisième département pour le nombre des arrestations après la Seine, Paris et proche banlieue, (8 939) et la Seine-et-Oise (1 257).
L’historien Alain Corbin évalue en outre entre 380 et 400, le nombre des Creusois tombés ou fusilés au cours de la Semaine sanglante.