En 1872, parmi les comptes-rendus des procès des conseils de guerre jugeant les communards, on retrouve le nom d’Amélie Clairiot condamnée à mort par le 6e conseil de guerre pour avoir participé à l’exécution d’un gendarme le 26 mai 1871 à la Roquette.
Quelques articles de presse relatent cette condamnation (1) :
« Après un quart d’heure de délibération, le conseil rend un jugement qui condamne la fille Clairiot à la peine de mort. »
Rien dans les traits d’« Amélie » ne trahissait une quelconque férocité. Aucune hésitation de sa part pour répondre au président en indiquant qu’elle avait rencontré une femme en larmes, tenant son enfant par la main. Cette dernière avait entendu dire qu’un homme avait été arrêté et qu’elle craignait qu’il fût son mari :
« C’était la femme d’un gendarme. Nous nous dirigeâmes vers la Roquette pour voir l’homme dont il s’agit. Je craignais aussi que ce ne fut le nommé Sauzer [ou Sauger], mon amant qui faisait partie de la garde républicaine. »
« Amélie » ne fut pas en mesure de donner le nom de la femme du gendarme.
Face à l’accusation de port d’armes et d’uniforme, elle expliqua qu’elle s’était saisie d’un fusil parce que le garde à l’entrée de la prison lui avait dit :
« On n’entre pas ; encore si tu étais citoyenne ! … Si tu prenais un fusil. »
Un enfant de 15 ans lui mit une cartouchière à la ceinture. Elles entrèrent mais ne purent voir le gendarme et ressortirent.
Au dehors, « Amélie » jeta le fusil, mais un garde ivre la dénonça comme traîtresse. Elle fut empoignée et menacée d’être fusillée. Conduite à la mairie du 11e arrondissement, on la relâcha.
Son amant, nommé Sauger, est interrogé. Il déclare qu’« Amélie » » est venue le voir trois fois à Versailles pendant la Commune et qu’elle n’avait pas participé au soulèvement. Elle lui avait raconté le chagrin qu’elle avait eu lors de l’exécution d’un garde de Paris le 18 mars rue de Rivoli.
Un nommé François Cady, surveillant à la prison des jeunes détenus, affirmait reconnaître « Amélie » et notamment qu’elle s’était armée d’un fusil et d’une cartouchière, alors que le gendarme était au greffe de la Roquette. Il certifia qu’elle était la seule femme dans la cour de la prison.
Une dame Athanase, cuisinière à Saint-Denis de son état, reconnaissait également « la femme Clairiot » comme étant celle qui se tenait dans la prison de la Roquette pendant qu’on décidait du sort du gendarme.
L’identité réelle d’Amélie
Après le jugement, il apparut que l’identité d’Amélie avait été usurpée par l’une de ses connaissances nommée Marcellienne Expilly. Probablement informée, la famille d’Amélie intervint afin de faire rectifier les choses le 10 septembre 1872.
Marcellienne était une enfant trouvée déposée à l’Hôtel Dieu d’Auxerre le 15 novembre 1848.
Elle s’était mariée le 12 mai 1868 à Charbuy avec Eugène Adolphe, enfant trouvé comme elle, originaire de la région parisienne et placé comme domestique à Charbuy.
Marcellienne est identifiée dans le Maitron (2) ainsi que dans la base de Jean-Claude Farcy (2bis).
On y apprend notamment qu’elle aurait abandonné son mari pour rejoindre la capitale.
Son portrait est connu (3) au travers d’une photographie réalisée en 1871 par Ernest Appert et conservée à la bibliothèque de la Northwestern University, sous le nom de Clériot.
Dans le Journal officiel du 22 janvier 1873, une autre identité apparaît pour Marcellienne :
« la nommée Expilly, femme Adolphe, dite femme Clouet [...] ».
Le rapport de la commission des grâces reproduit dans le tome XLIV des annales de l’Assemblée nationale, indique la commutation de la peine prononcée contre
« Expilly Maximilienne (sic) femme Adolphe » (4).
Son dossier est consultable dans la base des bagnards des archives nationales d’outre-mer (ANOM) (5). Ce document indique que le 15 novembre 1872, la peine de Marcellienne fut commuée en travaux forcés à perpétuité et qu’elle fut déportée en Guyane en 1873. Partie de Toulon le 1er septembre 1873, elle arriva le 12 octobre suivant et fut internée aux Îles du Salut.
On y relève qu’elle bénéficia de la remise du reste de sa peine en vertu du décret d’amnistie du 10 juillet 1880 (6), et une autre mention (7) qui indique que Marcellienne est « passée en 4e catégorie - 2e section le 30 Xbre [décembre] 1880 », signifiant qu’elle était libre de retourner en métropole.
Par choix ou par obligation, faute d’un pécule suffisant lui permettant de payer son voyage de retour, Marcellienne semble être restée en Guyane (8).
Si aucune trace d’un décès n’a pu être trouvée entre 1880 et 1905 (dernière année consultable en ligne), en revanche une de ses enfants prénommée Eugène, probablement née pendant sa captivité, est décédée le 9 août 1888 à Cayenne (9), « à l’hospice du camp Saint-Denis sis banlieue Est de la ville ».
CHRISTOPHE LAGRANGE
Notes :
(1) Tels que le Temps et le Corsaire du 3 juillet 1872, le Droit, journal des tribunaux du 4 juillet 1872, ou encore le Constitutionnel du 5 juillet 1872 - Gallica - BNF ;
(2) Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier de Jean Maitron https://maitron.fr/spip.php?article51025 ;
(2bis) https://communards-1871.fr/index.php?page=fiches/notice&individu=24694&liste=recherche_nom_expilly# ;
(3) Les références de la photographie sont indiquées à la suite de la notice concernant Marcellienne Expilly dans le Petit dictionnaire des femmes de la Commune - Les oubliées de l’histoire par Claudine Rey, Annie Gayat et Sylvie Pepino – Éditions le bruit des autres ;
(4) https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k96964371 ;
(5) ANOM – Bagne - Registre H2381 – Matricule 264 ;
(6) gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62240489 ;
(7) Mention à rapprocher de celle figurant dans le dossier de Marie-Jeanne Moussu, épouse Gourier, elle-même restée en Guyane postérieurement au décret de juillet 1880 et décédée à St-Laurent-du-Maroni en 1891 ;
(8) cf. La vie au bagne – Hélène Taillemite journals.openedition.org/criminocorpus/183 ;
(9) ANOM - Cayenne - Registre des décès 1888 – Acte n° 285. Aucun acte de naissance n’a pu être trouvé sur les registres conservés aux ANOM.