Les hommes féministes sont quelques-uns sous la Commune (Eugène Varlin, Benoît Malon, Léo Fränkel…). Parmi eux, Jules Allix, connu surtout pour ses excentricités, se distingue par la persévérance de son engagement, animant un comité de femmes dès 1870.

 

Un fervent républicain

D’origine vendéenne, Jules Allix est né dans une famille nombreuse (quatre sœurs et un frère) de la petite bourgeoisie. Son père était marchand quincaillier à Fontenay-le-Comte. Licencié en droit, il s’enthousiasme pour la révolution de février 1848, au point de se présenter en Vendée à l’élection au suffrage universel de l’Assemblée constituante. Défenseur du droit au travail, de la famille et de la religion, il se déclare « communiste » (1). Mais, la peur du rouge, fort répandue dans la population, a certainement causé sa défaite. Peu de temps après, il gagne Paris en ébullition. Il se fait pédagogue, proposant une méthode radicale de lecture en 15 heures que relaie la presse socialiste, telle La Démocratie pacifique (fouriériste) ou La Voix du Peuple (proudhonien).

Portrait d'Allix ou Alix Jules-Louis, (1818-1872), (Colonel de la Légion, membre de la Commune) - Carjat, Etienne , Photographe (CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris)
Portrait d'Allix ou Alix Jules-Louis, (1818-1872), (Colonel de la Légion, membre de la Commune) - Carjat, Etienne , Photographe (CC0 Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris)

Insurgé lors des journées de juin 1848, il se cache pour échapper aux poursuites. Dans la clandestinité, il se rapproche de groupes radicaux prêts à renverser une république désormais honnie. Il est tour à tour impliqué dans l’affaire du Conservatoire des Arts et Métiers (1849) et dans le complot de l'Hippodrome, fomenté en 1853 par un groupe d’étudiants décidés à assassiner Napoléon III (2). La police ayant saisi chez lui un plan de barricades qu’il a conçu pour Paris en cas de mouvement insurrectionnel, Allix est condamné par la cour d’assises de la Seine à huit ans de bannissement. Aussi rejoint-il la communauté des proscrits à Jersey. Soutenu par sa sœur Augustine, cantatrice, il vit dans l’entourage de Victor Hugo, réfugié dans les îles anglo-normandes depuis le coup d’État de 1851. C’est précisément, semble-t-il, lors d’une soirée de tables tournantes qu’il est pris, au cours d’une séance, d’une crise de folie. Amnistié en 1860, il lance sans succès, de retour à Paris, un journal de vulgarisation scientifique, La Phalange nouvelle, journal spirituel, amusant et savant, avant d’être interné un temps à l’asile de Charenton (1865-1866).

L’élu de la Commune

De retour chez lui, Jules Allix fourmille de projets d’écriture divers. Passionné de cosmologie, il édite un journal d’astronomie éphémère, Ma comète, lettre au savant (1867). Amateur aussi de « sciences psychiques », il publie la même année Curation de l’aliénation mentale (3). A la fin de sa vie encore, il initiera un congrès des sciences psychiques tenu à Paris pendant l’Exposition universelle (4). Il est surtout connu à l’époque par les caricatures qui moquent abondamment sa théorie de la « boussole pasilalique ou escargots sympathiques ». Il est en effet, depuis 1850, le propagandiste de cette découverte selon laquelle les gastéropodes seraient capables de communication à distance par télépathie. La guerre de 1870 lui inspirera d’autres inventions toutes aussi farfelues, le fusil à eau bouillante ou le port du « doigt prussique » qu’il conseille aux Parisiennes pour se protéger des Allemands.         

Soutenu par son ami, Hippolyte Triat, ancien athlète, fondateur méconnu du premier grand gymnase parisien (5), il se relance en politique, d’abord comme conférencier socialiste, puis comme candidat aux élections législatives, à Belleville, en 1869. Féministe convaincu, il s’engage de fait dans un mouvement qui renaît alors, exposant sa pensée au cours d’une réunion :

« Le progrès ne peut être réalisé d’une manière complète que par la Commune sociale, laquelle devra être basée sur la liberté et donner à l’homme, à la femme et à l’enfant la satisfaction complète de tous leurs besoins en assurant le plein exercice de leurs droits » (6).

Dès lors, il anime, au sein d’un groupe de militantes, le Comité des femmes qui s’est constitué pendant le Siège, rue d’Arras (5e arrondissement). Actif dans les quartiers, le collectif, rejoint par André Léo et Anna Jaclard, débat des droits politiques ou de l’organisation du travail des femmes, préconisant l’égalité salariale et la création d’ateliers communaux. Promoteur dès 1869 d’un projet de Commune sociale (7), il est désormais une figure de l’opposition révolutionnaire. A la tête du comité républicain du 8e arrondissement, il participe au soulèvement du 22 janvier 1871, mais il est arrêté et conduit avec d’autres à la prison de Mazas. Libéré lors de l’insurrection du 18 mars, il réalise un coup d'éclat en chassant, pour le remplacer, le maire du 8e, Ernest Denormandie (8).

Cependant, le cumul des fonctions, très fréquent sous la Commune, semble lui avoir été préjudiciable. Chef de la 8e légion comme colonel (poste qu’il sera contraint de quitter), il administre avec sérieux la municipalité qu’il entend largement réorganiser, notamment en matière d’éducation. Son élection enfin dans le quartier des Champs-Élysées, loin derrière Raoul Rigault et Édouard Vaillant, l’envoie siéger à la Commune. Membre de la majorité jacobine, il participe aux débats, faisant même quelques propositions. Seulement, les critiques fusent sur son état de santé. Il est noté à son sujet dans les Procès-verbaux de la Commune, à la séance du 2 mai : « esprit fantasque, sujet à de curieuses lubies ». La même source, datée du 10 mai, reconnaît que

« le 8e arrondissement, malgré tout, marchait fort bien, administrativement, démocratiquement, et qui plus est, socialement ».

Dans ces conditions, son rival, le puissant chef de la police, Raoul Rigault, le met aux arrêts par deux fois. Libéré toutefois à la suite d’une protestation d’élus, il sera présent à Belleville durant la Semaine sanglante, « plus timbré que jamais » selon Lissagaray (9). Finalement arrêté, il est interné de nouveau à Charenton par les versaillais, qui le condamnent en juillet 1872 à la déportation dans une enceinte fortifiée. Remis en liberté en 1876, il ne sera pas inquiété jusqu’à son amnistie trois ans plus tard.    

Réunion du comité des femmes candidates à la députation, organisée par la Ligue de protection de la femme, sous la présidence de Louise Barberousse et la vice-présidence de Jules Allix, rue Saint-Honoré à Paris en septembre 1885, gravure parue en une du quotidien La Petite Presse du 25 septembre 1885 Figurent sur l'illustration : Renée Marcil, Léonie Rouzade, Maria Deraismes, Emile Sainte-Hilaire, Louise Barberousse, Jules Allix (source Gallica : La Petite presse - journal quotidien illustré du 25 septembre 1885 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4735698n/f1  )
Réunion du comité des femmes candidates à la députation, organisée par la Ligue de protection de la femme, sous la présidence de Louise Barberousse et la vice-présidence de Jules Allix, rue Saint-Honoré à Paris en septembre 1885, gravure parue en une du quotidien La Petite Presse du 25 septembre 1885 Figurent sur l'illustration : Renée Marcil, Léonie Rouzade, Maria Deraismes, Emile Sainte-Hilaire, Louise Barberousse, Jules Allix (source Gallica : La Petite presse - journal quotidien illustré du 25 septembre 1885 

Un promoteur de l’émancipation des femmes

Sans ressources, il vit un temps grâce au soutien de ses deux sœurs, professeurs de musique à Paris. Libre penseur militant, il s’investit de nouveau pour la cause des femmes et la question scolaire. Dès 1880, il dirige un Comité des femmes devenu en 1884, sous l’impulsion d’une institutrice Louise Barberousse, la Ligue de protection des femmes. Reprenant l’action d’Hubertine Auclert en faveur du droit de vote, ils lancent ensemble une campagne d’inscription des femmes sur les listes électorales. Mais, malgré le soutien de la Fédération républicaine socialiste, ils échouent devant le refus des personnalités féminines, comme Louise Michel, d’être candidate aux élections de 1885 (10). Seules Louise Barberousse et Léonie Rouzade se présenteront à ces législatives. Largement désapprouvée, la Ligue rallie alors, comme André Léo, le courant réformiste mené par Maria Deraismes, à la tête de la Société pour l’amélioration du sort de la femme et la revendication de ses droits. Jules Allix en devient secrétaire. Entre-temps, il impose le droit des femmes à l’ordre du jour du congrès refondateur de la Libre Pensée en 1889, dont il est un des organisateurs.

La réforme éducative est l’autre thème libre penseur qui mobilise Jules Allix. Il fonde en 1883 un Cercle social de l’enseignement, qui se mêle au débat scolaire dominé par les projets de Jules Ferry et il ouvre, toujours avec Louise Barberousse, une école laïque libre pour jeunes filles, rue Saint-Honoré. Longtemps secrétaire aussi du Cercle républicain de la Vendée qui participe à la propagande électorale dans les départements, il est proche du milieu révisionniste, très critique envers la politique des opportunistes au pouvoir. Il adhère donc au boulangisme (11) et côtoie en meeting d’anciens communards comme Clovis Hugues ou Charles Lullier. Jusqu’à son décès à Paris en 1903, il continue de défendre en conférence ou dans la presse de nombreux projets scientifiques alternatifs, dont le moteur hydraulique perpétuel à force gratuite ou bien la transformation de Paris en port maritime (12).

Imprégné par le socialisme romantique de sa jeunesse et l’idéal brisé de 1848, il s’évertua, durant sa vie de libre penseur, à promouvoir par ses écrits et son action publique les progrès de la science, l’éducation pour tous et l’égalité entre les sexes.

Éric Lebouteiller

Lettre de Louise Michel (source : La Justice, 22 août 1885)
Lettre de Louise Michel (source : La Justice, 22 août 1885)

 

Sources :

(1) Jules Clère, Les Hommes de la Commune, Dentu, 1871 (portraits à charge des principaux dirigeants).

(2) Complots dits de l'Hippodrome et de l'Opéra-Comique, Imprimerie impériale, 1853 (cf. Gallica).

(3) Brochures pour la plupart consultables sur Gallica.

(4) La Justice, 27 janvier 1900.

(5) Bernard Desmars, « Triat, (Antoine) Hippolyte », Dictionnaire biographique du fouriérisme, notice mise en ligne sur charlesfourier.fr.

(6) Jacques Rougerie, « 1871 : la Commune de Paris » in Encyclopédie politique et historique des femmes, PUF, 1997.

(7) Aux électeurs de la 4e circonscription de Paris. Socialisme pratique. La Commune sociale par J. Allix, candidat à la députation, Lechevalier, 1869

(8) Ancêtre de l’ex-ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie.

(9) Histoire de la Commune de 1871, La Découverte, 2000 (rééd.), p. 368.

(10) « Candidatures féminines », La Citoyenne, n° 100, sept. 1885 (mensuel fondé par Hubertine Auclert, autrice d’un manuscrit longtemps disparu, Journal d’une suffragiste, Gallimard, 2021).

(11) Bertrand Joly, Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (1880-1900), H. Champion, 2005.

(12) Il dirige en 1891 à ce sujet le Journal de la grande navigation maritime de Paris.

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