Relisons cet article de presse :

« Paris ce 13 juillet 70. Aujourd’hui, à quatre heures, une foule nombreuse stationnait rue Oberkampf, aux abords du n° 104. Les hommes avaient à leur boutonnière un bouquet d’immortelles. Les voitures ne pouvaient plus circuler.

Gabriel Ranvier photographié à Londres (détail). Collection particulière, publié dans l'album de l'exposition « Le temps des cerises : la Commune en photographies » présentée au Musée de la photographie de la Commune Française à Charlerois du 24 septembre 2011 au 15 janvier 2012 sous la direction de Jean Baronnet et Xavier Canonne. - Vers 1875, photographie Appert
Gabriel Ranvier photographié à Londres (détail). Collection particulière, publié dans l'album de l'exposition « Le temps des cerises : la Commune en photographies » présentée au Musée de la photographie de la Commune Française à Charlerois du 24 septembre 2011 au 15 janvier 2012 sous la direction de Jean Baronnet et Xavier Canonne. - Vers 1875, photographie Appert

Était-ce un prince ou un grand dignitaire de l’empire que l’on allait conduire à sa dernière demeure ? Non, car c’était le corbillard des pauvres qui attendait à la porte un modeste cercueil renfermant le corps inanimé d’une femme du peuple, la femme (Alexandrine, NDLR) d’un honnête ouvrier, le citoyen Ranvier, un des rudes champions de la démocratie que les gouvernements despotiques et cruels se font un plaisir de tourmenter, d’arrêter au moindre prétexte, comme dangereux pour la société dont ils se disent les sauveurs lorsqu’ils n’en sont que les bourreaux et les persécuteurs.

Puis cette femme elle-même était une de ces rares et courageuses filles du peuple, qui savent combattre les préjugés et les abus de toutes sortes et qui encouragent leur ami dans la revendication incessante de leurs droits contre l’absolutisme et la tyrannie des despotes.

Elle fut une des premières à revendiquer les droits de la femme. Elle s’associa de tout coeur à toutes les protestations contre les abus et les injustices. Elle sut secouer le joug abrutissant de l’idiotisme religieux, et mériter le titre de citoyenne et de libre penseur. Elle mourut sans faillir dans ses principes, comme elle avait vécu.

Bonne épouse, bonne mère et regrettée de tous ceux qui l’ont connue.

Plus de deux mille personnes accompagnaient le cortège et plusieurs discours émus ont été prononcés sur la tombe de la citoyenne Ranvier. Le premier par son mari, le citoyen Ranvier dont les adieux à la femme courageuse, à la mère chérie, à l’épouse regrettée, à la citoyenne enfin dont la grande âme avait su lutter, de concert avec lui contre toutes les persécutions et les injustices auxquelles sont en butte tous ceux qui veulent revendiquer leurs droits contre la tyrannie de l’injustice.

Le brave et laborieux ouvrier, pour rendre hommage au souvenir de l’épouse qu’il regrette et pour se conformer aux vœux de toute son existence, jure sur sa tombe de continuer à élever leurs enfants dans les sentiments démocratiques et de libres penseurs qu’ils professaient tous deux ». (1)

Gabriel Ranvier, dans son comportement de communeux, d’élu, de « maire », tint parole. Il fut un rassembleur et œuvra dans les deux arrondissements parmi les plus prolétariens de Paris, le 19e et le 20e. Il sera actif politiquement dans la Garde nationale. Il est de ceux qui félicitent le maire du 11e, en septembre 70, « pour la mesure qu’il a prise relativement aux écoles communales ». Il se fait remarquer dans les réunions publiques, dans les clubs, pour ses propositions démocratiques. Il développe son ardeur patriotique et appelle à « une armée citoyenne ». (2)

Le 25 mars, avec Flourens, il signe cet appel aux « citoyens du 20e arrondissement » pour qu’ils élisent le 26 « quatre représentants municipaux », Paris ayant « reconquis son droit de municipalité libre par sa dernière révolution ». Il n’y est question que « d’indépendance communale » et de « République démocratique, sociale et universelle (…). Nous ne voulons plus dans Paris d’autre armée que la Garde nationale, d’autre municipalité que celle librement élue par le peuple ». (3)

Affiches de la Commune de Paris du 5 avril 1871 signée de Ranvier (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)      Affiches de la Commune de Paris  N°390 du 22 mai 1871 signée de Ranvier (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

Affiches de la Commune de Paris du 5 avril 1871 et N°390 du 22 mai 1871, signées de Ranvier (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr)

C’est Ranvier, « l’écharpe rouge en sautoir » qui remet les pouvoirs du Comité central à la Commune et la proclame, « au nom du peuple ». Cet acte prouve l’influence de Ranvier au sein de la Commune. Il est nommé à la commission militaire, et, civil, il proposera des mesures de bon sens, notamment dans le domaine de l’artillerie, lors de la sortie sur Versailles de début avril ou pour la défense de Belleville. Fin avril, il est nommé à la commission de la guerre (4). Il s’investira beaucoup dans son arrondissement. Il passa la plus grande partie de son temps dans le 20e. Fidèle à la pensée d’Alexandrine, il lutta contre la prostitution. « Vénérable de la loge n° 133 du rite écossais » (5), il sera responsable et porte-parole de délégations les 26 et 29 avril. Ranvier a voulu faire sortir de la neutralité, de la conciliation et du pacifisme « ses frères » francs-maçons. Il accepte de faire partie du Comité de salut public :

« Je vote pour, parce que l’indécision depuis un mois nous a compromis, et qu’une plus longue hésitation à prendre des mesures énergiques perdrait la Commune et la République ».

Il s’y montre actif, notamment dans le domaine administratif (sortie des marchandises, attributions des commissions, réceptions de délégations d’ouvriers et d’ouvrières, contre les trafics…). Pendant la Semaine sanglante, il sera organisateur de la résistance. Lissagaray le citera parmi les élus de la Commune :

« Le seul de ses membres qui fasse figure est Ranvier, d’une énergie superbe dans les batailles. Il fut pendant cette agonie, l’âme de la Villette et de Belleville, poussant les hommes, veillant à tout ».

Nous lui devons la dernière affiche de la Commune, le 25 mai.

La solidarité des femmes, certainement en pensée avec Alexandrine et Gabriel, permettra, à coup sûr, à Ranvier d’échapper aux versaillais et de réussir son exil à Londres.

À coup sûr aussi, Gabriel Ranvier a tenu son serment du 13 juillet 1870 sur la tombe de sa citoyenne de femme.

MICHEL PINGLAUT

 

Notes :

(1) signé Toussaint, La Cloche, 19/07/1870.

(2) La Patrie en danger du 29 novembre 1870.

(3) Quatre références concordantes citées par Alain Dalotel (p.37 et 55) Gabriel Ranvier 1828-1879 Le Christ de Belleville, éditions Dittmar 2005.

(4) Dans sa pièce, Les jours de la Commune, Bertolt Brecht en fera un personnage, chargé des questions militaires.

(5) Alain Dalotel (p.41)

NB : Dans le catalogue de l’exposition (p.21) : Insurgé.es ! présentée au Musée d’art et d’histoire Paul Éluard à Saint-Denis, il y a témoignage d’un croquis anonyme au crayon graphite sur papier (1871) intitulé Réunion des membres du Comité de salut public (n° inv 2022.01.22). Nous repérons Gabriel Ranvier (n° 3) avec son képi de garde national. Même si le trait est ténu, apprécions ce document car les portraits de Ranvier sont rares.

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