naît le 7 juillet 1843 dans une famille paysanne du Loiret établie à Beaugency (Loiret) ; son père Jean-Pierre et sa mère Louise sont tous deux journaliers. Théophile a une sœur aînée née avant mariage en 1834 (Louise), et un frère cadet (Jules) né en 1847. Les deux garçons sont brillants à l’école. À 11 ans, Théophile reçoit le second prix « d’arithmétique et de système graphique » (1). Appartenant à la classe 1863, il est réformé au conseil de révision et déclaré « impropre au service » (2).

 Bernard Boller, Bataillons de typographes (1870-1871) : De la casse au fusil, Édition L'Ecarlate, 1 janvier 2015.
Bernard Boller, Bataillons de typographes (1870-1871) : De la casse au fusil, Édition L'Ecarlate, 1 janvier 2015.

Théophile devient typographe. Le 14 février 1866, il épouse Augustine Dronne, qui est la sœur de son beau-frère Adrien, marié à Louise, maintenant couturière. Augustine est alors enceinte de sept mois ; elle donnera naissance à leur premier enfant, Théophile, le 4 avril 1866. Bientôt naîtra un deuxième enfant, en 1868, qui mourra cependant à l’âge d’à peine un an, le 31 mars 1869.

La guerre franco-prussienne éclate l’année suivante. Après la capitulation de Sedan, Théophile veut participer à l’effort de réarmement : en septembre 1870, il contribue, avec son père, à une souscription patriotique pour la libération du territoire réalisée par la commune de Villamblain (Loiret), où il donne du linge et 1 franc (3). Alors que l’armée prussienne occupe désormais Beaugency, la famille Dronne aide Théophile et sa petite famille à s’installer à Paris. Henri, l’oncle d’Augustine, possède une coutellerie au 104 rue de Sèvres, dans le 15e arrondissement. Il y héberge Théophile, sa femme et leur enfant. Quant à Jules, encore célibataire, il est serrurier ; il a trouvé un logement au 32, rue des Écoles, dans le 5e arrondissement, à un quart d’heure à pied de celui de son frère et sa belle-sœur.

Théophile trouve enfin un appartement où les Daguet seront chez eux, au 3 rue des Canettes, dans le 6e arrondissement (4). Ils subissent l’hiver glacial de 1870 et les pénuries alimentaires, qui frappent durement les classes populaires, dans Paris assiégé. Le 13 mars 1871, la petite Clémentine meurt à leur domicile — elle aussi à l’âge d’à peine un an, comme son frère aîné. Ne reste plus à la maison que le petit Théophile, qui a maintenant cinq ans. La mère, Augustine, est sans emploi.

La semaine suivant la mort de Clémentine, la Commune est déclarée. Théophile participe-t-il au mouvement en composant des journaux ou des affiches ? S’est-il engagé parmi les Fédérés ? En tout cas, au soir du 24 mai 1871, en pleine Semaine sanglante, Théophile disparaît. A-t-il été pris auprès d’une barricade – peut-être celle qui barrait la rue des Canettes, à une quinzaine de mètres de l’entrée de son immeuble ? La mairie du 6e dresse un acte de décès, lequel sera « bâtonné » le 20 août 1871 après la reprise de Paris par les troupes gouvernementales (5) :

Théophile a bien été tué.

Où est passé Théophile ; a-t-il été jugé en cour martiale improvisée au Châtelet, puis fusillé, avec une « fournée » de plusieurs dizaines d’autres, à la caserne Lobau, par exemple ? Et qu’a-t-on fait de son corps ; a-t-il été jeté, avec des centaines d’autres, dans une « tranchée gratuite » ouverte dans un des rares endroits de Paris où subsistaient encore des espaces libres — comme au cimetière du Montparnasse, ordinairement dévolu aux défunts du 6e arrondissement ?

La disparition de Théophile crée une situation familiale inextricable. Aussi, quatorze ans plus tard, un jugement rendu le 13 mai 1885 par le Tribunal de Première Instance de la Seine, ordonne-t-il une enquête afin de constater sa disparition définitive (6). Celle-ci est déclarée l’année suivante, par le même tribunal, le 2 juillet 1886 (7).

Augustine survivra à Théophile pendant près de 40 ans : elle décédera à Paris le 22 novembre 1910, à l’âge de 72 ans, à son nouveau domicile du 158 boulevard Saint-Germain (8). Leur fils Théophile sera représentant de commerce, après avoir été employé de bureau (non loin de sa mère, au 168 boulevard Saint-Germain), puis mécanicien. Il finira ses jours célibataire, au sortir d’une autre guerre, non moins terrible, le 11 décembre 1918 à son domicile du 22 rue Monsieur le Prince.

Jules était-il aux côtés de son frère Théophile durant la Commune ? Revenu à Beaugency, il y ouvrira une boutique « d’armurerie, articles de chasse, munitions de toutes sortes, serrurerie d’art et de bâtiment ». Il restera très attaché à la famille Dronne — et sans doute à la coutellerie familiale de l’oncle Henri, où il aura pu apprendre l’armurerie — puisque, lorsqu’il se mariera le 17 novembre 1874, un de ses témoins sera Adrien Dronne, le mari de sa grande sœur Louise.

La boulangerie du 3 rue des Canettes à Paris. Le commerce est mis à sac le 9 mars 1883 (et non en 1884) lors d’une manifestation de sans-emplois conduite par Louise Michel arborant le slogan « Du pain ou la mort » sur un drapeau noir. La famille Daguet habitait au-dessus de la boulangerie.

La boulangerie du 3 rue des Canettes à Paris. Le commerce est mis à sac le 9 mars 1883 (et non en 1884) lors d’une manifestation de sans-emplois conduite par Louise Michel arborant le slogan « Du pain ou la mort » sur un drapeau noir. La famille Daguet habitait au-dessus de la boulangerie.

 

La mémoire familiale n’a conservé aucun souvenir précis de ces événements. Jeanne, la fille de Jules, née le 2 septembre 1885 d’un second mariage, avait entendu parler de

« deux frères disparus pendant la Commune et sans doute déportés en Nouvelle-Calédonie ».

Ces deux frères ne pouvaient être que Jules et Théophile. L’un des deux avait bien disparu, mais il n’était pas allé si loin : en réalité, il n’avait jamais quitté Paris. Il y est sans doute encore, avec ses compagnons.

FRANK ROBIN ET LAURENT OLIVIER

Remerciements : nous remercions chaleureusement Sylvie Pepino, pour son aide dans les recherches d’archives qu’elle a entreprises aux Archives nationales (AN), aux Archives de la Préfecture de Police de Paris (PPo), aux Archives du Service historique de la Défense (SHD), ainsi qu’aux Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), où aucune trace de Théophile Daguet n’a malheureusement pu être retrouvée. Nous adressons également tous nos remerciements à Mélanie Bauducel, pour son aide précieuse et ses conseils dans les recherches aux Archives municipales de Beaugency.

 

Notes :

(1) Journal de Beaugency, Écho de la Beauce et de la Sologne, édition du 24 septembre 1854. Jules obtient l’année suivante le second prix de langue française à l’école communale de M. Delaporte (Journal de Beaugency, 2 septembre 1855) et en août 1859 deux fois le prix d’excellence à l’école-pensionnat de M. Laile (Journal de Beaugency, 4 septembre 1859).

(2) Journal de Beaugency, Écho de la Beauce et de la Sologne, édition du 23 avril 1864. Son frère Jules sera aussi exempté de service.

(3) Jean-Pierre Daguet donne « du linge et 2 f. » (Journal du Loiret, édition du 19 septembre 1870).

(4) Dans l’immeuble, habite peut-être encore le relieur Prosper Baudry (1820-1900), qui sera élu sergent, puis lieutenant dans la 6e compagnie du 193e bataillon fédéré, en mars et avril 1871.

(5) L’acte bâtonné porte en marge la mention « Daguet — acte reconstitué le 1er août 1873 en vertu d’un jugement du tribunal d’instance du 13 juin 1873 ».

(6) Journal officiel de la République française. Lois et décrets. Année 17, n° 176 du 30 juin 1885 ; Journal du Loiret, édition du 1er juillet 1885.

(7) Journal officiel de la République française. Lois et décrets. Année 18, n° 249 du 14 septembre 1886.

(8) Augustine a été inhumée le 24 novembre 1910 au cimetière parisien de Bagneux (92), 107e division, 15e tranchée.

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