PREMIÈRE PARTIE
Né en 1844 à Saint-Brieuc, Rossel est d’origine écossaise par sa mère, cévenole et protestante par son père, opposant à l’Empire. Polytechnicien, colonel du génie, il est au camp de Nevers le 18 mars 1871. Il démissionne le 19 mars et rejoint à Paris le camp des insurgés. Nous suivrons son parcours jusqu’au 28 novembre 1871, où il est fusillé au camp de Satory. Cet article évoque ce personnage controversé, qualifié d’ambitieux, autoritaire, patriote, sincère, « anti-Rimbaud et égaré dans une révolte populaire » par des combattants de 1871 ou des historiens de la Commune. L’article du prochain bulletin concernera le militaire avant la Commune puis son exercice du pouvoir.
Rossel vu par des acteurs de la Commune
Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901), est le premier historien de la Commune, journaliste et combattant, mais selon ses propos, « il n’en devient ni membre, ni officier, ni fonctionnaire, ni employé ». (1) Concernant Rossel, le 18 mars,
« il fut ébloui, vit dans Paris l’avenir de la France, le sien aussi, jeta sa démission et accourut […], nul ne comprit moins la Ville, la Garde nationale ».
Après la chute du Fort d’Issy, il adresse le 9 mai sa démission à la Commune qui décide de l’arrêter pour trahison. Convoqué le lendemain à l’Hôtel de Ville, il s’en échappe. Pour Lissagaray,
« le jeune ambitieux s’était esquivé malgré sa parole, de cette Révolution où il s’était étourdiment fourvoyé ».
Après son arrestation, il note que
« les journaux publiaient ses mémoires où il vilipendait la Commune et ses fédérés. On racontait jour par jour sa vie de prisonnier […] ses entrevues déchirantes avec sa famille. » (2)
Maxime Vuillaume (1844-1925), autre historien, journaliste comme Lissagaray, fonde avec Alphonse Humbert et Eugène Vermersch le journal Le Père Duchêne. Selon Lucien Descaves, préfacier de ses ouvrages, « il ne nourrissait aucun ressentiment envers personne » – il est en effet proche de Rossel et de Félix Pyat, ennemi juré de Rossel… ! « Il [Rossel] devint l’un des premiers amis du Père Duchêne ». Lorsqu’il succède à Gustave Cluseret début mai, « il ne réussit pas mieux que son prédécesseur. Il fut brisé comme lui, son autoritarisme de façade ne pouvait avoir de prise sur des pouvoirs flottants et mal définis » des diverses structures de la Commune. Charles Gérardin fait pour Vuillaume, en novembre 1913, le récit de sa fuite de l’Hôtel de Ville le 10 mai :
« il attend à la questure sous la garde d’Avrial qui le laisse seul pour retourner en séance […], je vais rejoindre Rossel […]. C’est moi qui vous ai introduit dans ce guêpier, c’est à moi de vous en sortir. Partons. Nous nous quittâmes au jardin Cluny ». (3)
Léodile Champseix dite André Léo (1832-1900), écrivaine, journaliste, militante de l’émancipation des femmes et du peuple, est très active pendant la Commune par ses écrits et ses articles dans La Sociale. Rossel l’appelait « le citoyen André Léo ». Dans sa biographie, Alain Dalotel évoque son soutien constant à Rossel et « une certaine similitude d’appréciation des gens et des choses qui pourrait les rapprocher ». (4)
Benoît Malon (1841-1893), est élu à l’Assemblée nationale le 8 février 1871 dont il démissionnera. Son quartier est le XVIIe arrondissement, celui des Batignolles, dont il est élu le 26 mars 1871 à la Commune. Dans un ouvrage publié dès 1871, il note que lorsque le délégué à la Guerre Cluseret voulut
« réorganiser les bataillons fédérés, il fut puissamment aidé dans cette œuvre difficile par son chef d’état-major Rossel, qui avait mis au service du peuple de Paris son intelligence de premier ordre, ses capacités militaires incontestées et sa volonté de fer ».
Évoquant sa lettre de démission du 9 mai à la Commune, Malon y voit
« plutôt un exposé de ses griefs contre ceux qui l’entouraient et contre la Commune elle-même, écrit avec passion et sincérité par un homme indigné et désespéré […]. Il n’avait fait après tout que dévoiler d’une façon violente, aigre peut-être, la situation intérieure, […] rendue absurde, selon son expression, par les conflits de pouvoir ». (5)
Paul Martine (1845 -1913), normalien, agrégé d’histoire, fait partie de l’équipe des Batignolles. Dans son ouvrage de souvenirs de 1871, il indique avoir rencontré Rossel avant mars 1871 venu lui rendre visite.
« Je suis le colonel Rossel. Je commande le camp de Nevers et c’est à moi que votre ami Thomas a communiqué votre lettre ».
C’est lui qui introduit Rossel, le 20 mars, auprès de l’équipe des Batignolles. Il évoque Bonaparte, il en avait
« sous une apparence chétive, la volonté de fer, la décision, le froid héroïsme. Mon Rossel, si terrible sur le champ de bataille […] si raide et si cassant au point de vue militaire […], était, dans sa famille, réservé, humble et modeste. Visiblement il avait un culte pour les siens ». (6)
DES DÉMISSIONS COUPS D’ÉCLAT
« Camp de Nevers, le 19 mars 1871
Mon Général,
J’ai l’honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à la disposition des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées […] il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs de généraux coupables de capitulation […] » (7a)
« Paris, le 9 mai 1871
Citoyens membres de la Commune,
Chargés par vous, à titre provisoire, de la délégation de la Guerre, je me sens incapable de porter plus longtemps la responsabilité d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit, […]
J’ai deux lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action ou me retirer.
Je ne briserai pas l’obstacle, car l’obstacle c’est vous et votre faiblesse ; je ne veux pas attenter à la souveraineté publique.
Je me retire et j’ai l’honneur de vous demander une cellule à Mazas. » (8)
Travaux contemporains
Dans son Dictionnaire de la Commune, Bernard Noël (1930-2021), poète et écrivain inclassable, évoque « une légende de Rossel qui en fait une sorte de Rimbaud […] C’est absurde. Rossel est l’anti-Rimbaud : il ne se révolte que parce que l’ordre s’écroule et que le monde change. C’est une réaction et qui le porte seulement par hasard dans le camp de la Révolution, qu’il abandonne d’ailleurs faute d’y trouver un nouvel ordre, rigide à l’égal de l’ancien ». (6a)
Jacques Rougerie (1932-2022), historien de la Commune, est plutôt réservé concernant Rossel, « brillant colonel de l’armée de la Loire, vint s’égarer dans une révolte populaire qu’il ne comprit guère ». Réservé, mais aussi nuancé, car il y a, selon lui, « un cas » Rossel :
« Étrange aventure que celle de ce brillant polytechnicien, protestant rigoriste, républicain, patriote ardent qui vint rejoindre les rangs des insurgés ».
Il est aussi interrogatif car :
« Il tenta de servir de son mieux la cause républicaine et patriote, sinon la cause socialiste, en cherchant […] à mettre un peu d’ordre dans le désordre populaire. Si l’on a pour lui tant de sévérité, n’est-ce pas parce qu’il a porté, dans les Mémoires qu’il écrivit à la veille de son exécution, sur la Commune et sur lui-même, un jugement sévère, mais peut - être admirable de lucidité ». (7)
ALINE RAIMBAULT
Notes :
(1) Bernard Noël, Dictionnaire de la Commune, Mémoire du livre, 2000 ;
(2) Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, 1896, réed. Editions du Détour, 2018 ;
(3) Maxime Vuillaume, La Semaine sanglante, Journal d’un communard (mai 1871), La Palatine, 1964 ; Mes Cahiers rouges [Souvenirs de La Commune], La Découverte, 2011 ;
(4) Alain Dalotel, André Léo (1824-1900) La Junon de la Commune, APC Edition, 2004 ;
(5) Benoît Malon, La Troisième défaite du prolétariat français 1871, Ressouvenances, 2009 ;
(6) Paul Martine, 1871 La Commune de Paris, Souvenirs d’un insurgé, Éditions Laville, 1971, 2012 ;
(6a) Paul Martine, ouvrage cité.
(7) Jacques Rougerie, Paris Insurgé. La Commune de 1871, Gallimard, 2007 ; Procès des communards, Julliard, Collection Archives, 1964 / réed. des deux ouvrages, Gallimard, 2018
(7a) Jacques Rougerie, ouvrage cité.
(8) Benoît Malon, ouvrage cité.