Alexis Trinquet était un bouif, terme d’argot qui désigne à la fois un cordonnier et un personnage fier, précise Bruno Fuligni dans la préface des Mémoires d’un transporté de la Commune. Depuis le célèbre Père Duchesne de la Révolution de 1789, les savetiers sont réputés « forts en gueule », rappelle-t-il.
Intervenant souvent dans les réunions publiques des clubs de Belleville, Trinquet est arrêté, le 8 février 1870, pour « cris séditieux » et port d’armes. Condamné à six mois de prison, il est libéré par la proclamation de la République, le 4 septembre.
Pendant le Siège de Paris, il est sergent-major au 147e bataillon de la Garde nationale. Le cordonnier est élu au conseil de la Commune par le XXe arrondissement, où il habite (48, rue de la Réunion). Il siège à la commission de Sûreté générale. Arrêté chez lui le 8 juin, le 3e conseil de guerre de Versailles le condamne aux travaux forcés à perpétuité. « J’ai été aux barricades et je regrette de ne pas y avoir été tué. (…) Je suis un insurgé, je n’en disconviens pas », déclare-t-il devant ses juges. Le prisonnier est conduit à Toulon, puis « transporté » avec les criminels au bagne de l’île Nou, contrairement à Louise Michel et à la plupart des communards, condamnés à la « simple » déportation. « Encore un pas et toute ma vie de labeurs et d’honnêteté va faire place à l’ignominie que m’ouvre le gouffre où tous les vices, tous les crimes sont réunis ! », écrit Trinquet dans ses Mémoires.
Faute de papier à lettres, pour raconter ces huit années de souffrance et de révolte vécues en Nouvelle-Calédonie, il se sert des « bons d’entrée » de l’administration pénitentiaire, cousus comme de petits cahiers. Une fois sorti de l’« enfer de Dante », il publiera, en 1885, une version expurgée de ses Mémoires d’un transporté de la Commune, dans Le Nouvelliste Parisien.
Lire le texte
Ce texte quasiment inédit a été retrouvé dans le fonds du PCF des archives départementales de Seine-Saint-Denis par Bruno Fuligni qui le publie intégralement aujourd’hui, enrichi de notes, d’illustrations et d’un lexique de l’argot parlé au bagne néo-calédonien. Un mélange savoureux de langue verte parisienne, de termes de marine, d’emprunts aux langues mélanésiennes, d’anglicismes et d’inventions locales. Parmi ces expressions, dont certaines sont toujours utilisées dans l’île du Pacifique, on trouve « bon à peau », c’est à dire « bon à rien », « pive », synonyme de « pinard », ou « vivre en gamelle », qui signifie partager les vivres et la préparation des repas.
Bruno Fuligni a également dirigé Dans les secrets de la police (éditions L’Iconoclaste, 2008), un ouvrage collectif, dont un chapitre est consacré au Missel rouge, célèbre album photographique où figuraient le signalement et le portrait des communards recherchés par la police (lire les articles La Commune vue par la police et Tous fichés ? dans les bulletins n° 41 et 48).
John Sutton
Alexis Trinquet, Dans l’enfer du bagne, Mémoires d’un transporté de la commune, texte présenté par Bruno Fuligni, Éditions Les arènes (2013).
Belle initiative que la publication de cet ouvrage, précieux pour la compréhension du mouvement communaliste. Il s’agit d’une enquête sur l’insurrection de 1871, publiée en 1897, en pleine Affaire Dreyfus, par la Revue blanche, revue littéraire d’avant-garde. A partir d’un court questionnaire non dénué d’humour, le critique d’art Félix Fénéon s’est adressé aux acteurs du mouvement, mais aussi à ses adversaires et aux conciliateurs.
De longueur inégale, les nombreux témoignages méritent tous l’attention tant ils reflètent bien la diversité des opinions politiques ainsi que les traces qu’a laissées la Commune près de trente ans après. À noter que seulement deux femmes sont interrogées.
À la lecture des réponses, deux sujets de débat resurgissent principalement, les rivalités entre le Comité central et la Commune élue, la division finale entre la majorité et la minorité. Le rôle de la Commune dans la mise en place de la république est aussi largement abordé.
L’ouvrage enfin est orné de gravures du peintre Félix Vallotton. Laissons la conclusion à l’anarchiste Jean Grave également interrogé, qui affirme à propos de la Commune : « Vaincue, elle a synthétisé toutes les aspirations prolétariennes, et donné l’impulsion au mouvement d’idées, dont à l’heure actuelle nous sommes tous le produit. »
ERIC LEBOUTEILLER
La Revue Blanche, Enquête sur la Commune de Paris (présentation de Jean Baronnet), Paris, les Éditions de l’Amateur (2011).
Les poèmes, écrits par Verlaine pendant son incarcération dans les prisons belges (du 11 juillet 1873 au 16 janvier 1875), n’avaient jamais été réunis dans un même ouvrage. Faute de trouver un éditeur, le poète y a renoncé, comme il a renoncé à son titre originel : Cellulairement.
Il s’était finalement résigné à les publier séparément dans des recueils ultérieurs. Cent cinquante ans plus tard, les éditions Gallimard réalisent le vœu de Verlaine.
Cellulairement rassemble certains de ses plus beaux textes, dont L’Art poétique et La Chanson de Gaspard Hauser.
Des poèmes sont illustrés de sa main et complétés par des documents sur sa détention, provoquée par sa tentative d’assassinat sur Arthur Rimbaud, au cours d’une violente dispute à Bruxelles. Des œuvres, des témoignages et des portraits de Rimbaud, Musset et Baudelaire font revivre la force et le désespoir de cette génération de poètes entre enfer, paradis artificiels et géniales fulgurances.
John Sutton
Paul Verlaine, Cellulairement suivi de Mes Prisons, collection Poésie/Gallimard (2013).