Avant de venir à Paris, l’exposition a été présentée au Musée des Lettres et manuscrits de Bruxelles, situé dans les Galeries Saint-Hubert. Hasard de l’histoire, dans ce passage couvert se trouvait autrefois l’armurerie Montigny où, le 10 juillet 1873, Verlaine acheta le revolver Lefaucheux avec lequel il tira deux coups de feu sur Rimbaud, en criant :
« Tiens, je t’apprendrai à vouloir partir ! ».
Dans une vitrine de l’exposition, on peut voir un modèle de cette arme. L’écrivain Jean-Pierre Guéno, commissaire de l’exposition, resitue le geste désespéré de Verlaine dans son contexte historique.
« Sur le plan social comme sur le plan politique la société est bouchée et verrouillée, explique-t-il. Le Second empire ne vous a apporté aucune perspective. La Troisième République non plus. Il vous reste donc une alternative très simple. Mettre fin à vos jours ou faire exploser les règles de l’art, afin d’exprimer vos cris de révolte et l’intensité de vos désespoirs » [1].
Verlaine croupit deux ans dans les prisons belges, du 10 juillet 1873 au 16 janvier 1875. Délivré de l’absinthe, mais condamné à l’enfermement, il se consacre entièrement à l’écriture. Au cours de son incarcération, il compose ses plus beaux poèmes qu’il cherchera à éditer dans un même recueil intitulé : Cellulairement. Mais à partir de 1881, faute de trouver l’accord d’un éditeur, Paul se voit contraint de les publier séparément. Classé « trésor national » et interdit d’exportation par l’État français, le manuscrit rejoint en 2004 les collections du Musée des Lettres de Paris. Il regroupe certains des plus beaux poèmes de Verlaine dont son célèbre Art poétique (« De la musique avant toute chose ») et La Chanson de Gaspard Hauser.
Cellulairement vient juste d’être réédité dans la collection Poésie-Gallimard.
RIMBAUD, « COMMUNARD DES MOTS »
Mais revenons au Siège de Paris. Le 15 octobre 1870, Paul s’engage dans le 160e bataillon de la Garde nationale. Sa femme, « Mathilde Mauté de Fleurville le rêve brave et intrépide, mais en réalité, il fera tout pour être réformé et ses tours de garde finissent dans les estaminets », raille l’historien Jean-Pierre Guéno.
En mai 1871, Verlaine aurait laissé sa femme enceinte de quatre mois, partir à la recherche de sa mère errant seule dans Paris, au risque d’être fusillée. Rappelons que pendant la Commune, il est chef du bureau de presse de l’Hôtel-de-Ville, où il dépouille chaque matin les journaux versaillais. Dans une vitrine de l’exposition, on peut voir une reproduction du célèbre appel de Delescluze « Au peuple de Paris et à la Garde nationale ». Lors d’un premier séjour à Bruxelles, en 1872, Verlaine fréquente les exilés de la Commune, dont Jean-Baptiste Clément, Henri Jourde et Georges Cavalier, dit Pipe en bois.
L’exposition revient longuement sur Les Effarés, fruit d’une collaboration poétique entre Verlaine et Rimbaud.
« Le poème est à l’image d’Arthur qui n’a pas dix-sept ans et s’indigne devant les petits « effarés », qui ne se révoltent pas. C’est un effaré à sa manière. Mais il ne cesse de ruer dans les brancards d’un monde bloqué. C’est un indigné métaphysique, un communard, un fédéré des mots »,
écrit Jean-Pierre Guéno.
« Alchimiste, sorcier tellement subversif au pays des inquisiteurs. Les versaillais de la langue et de la poésie n’ont qu’à bien se tenir »,
prévient l’historien.
JOHN SUTTON
Verlaine emprisonné, du 8 février au 5 mai. Musée des Lettres et manuscrits : 222, bd Saint-Germain, 75007 Paris.
Tél : 01 42 22 48 48. www.museedeslettres.fr