Ce texte est celui de l’intervention de Roger Martelli lors de la journée d’études du 25 février 2017.
 

Le texte de la résolution votée par l’Assemblée nationale, le 29 novembre 2016, énonce quatre recommandations : l’Assemblée

« estime qu’il est temps de prendre en compte les travaux historiques ayant établi les faits dans la répression de la Commune de Paris de 1871 ; - juge nécessaire que soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune de Paris de 1871 ; - souhaite que la République rende honneur et dignité à ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté au prix d’exécutions sommaires et de condamnations iniques ; - proclame la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 »

Il s’agit d’une résolution, pas d’un projet ou d’une proposition de loi. Il n’y aura pas de décret d’application, ce qui obligera à d’autres initiatives pour exiger que la résolution entre désormais dans la vie. Mais il est inutile de faire la fine bouche. Cent-quarante-cinq ans après les débuts de la répression qui frappa tant de communardes et de communards, la représentation nationale a enfin décidé d’effacer leur faute ; plus encore, elle demande que soit mieux connue la Commune. C’est une grande joie pour une association comme la nôtre, mais nous avons aussi conscience que c’est une grande responsabilité. Car ceux qui aiment la Commune doivent désormais dire quelle image ils souhaitent que l’on donne d’elle publiquement.

Tout ne relève pas de l’association, et surtout pas de suggérer une histoire officielle, qui serait aux antipodes de l’esprit communard. Mais, compte tenu de notre place et de notre rôle, nous devons nous assurer que nous disposons bien de tous les outils pour pousser dans le bon sens, dans une période qui risque d’être difficile.

Pour cela, il serait sans doute nécessaire que nous mettions au point un document de synthèse, où nous préciserions les grandes orientations que nous souhaitons promouvoir, dans la foulée de la résolution de novembre. Ce document pourrait être placé sous l’intitulé :

« La modernité de la Commune de Paris 1871  ».

Plaque parisienne taguée "Place Commune"
Plaque parisienne taguée "Place Commune"

 

Dans ce document, nous pourrions développer une idée générale, déclinée en deux volets :


• Si l’on veut donner une image de la Commune, il faut que cette image soit plurielle. Il fut un temps où ses héritiers se disputaient sur la lecture qu’il fallait en faire. Par exemple, marxistes et anarchistes s’opposaient, souvent de façon brutale, chaque interprétation récusant l’autre en bloc. Pour notre association – et ce n’est pas d’aujourd’hui – la dispute n’a plus de raison d’être. Chacun peut préférer tel ou tel aspect, telle ou telle figure, tel ou tel courant à l’intérieur de l’événement du printemps 1871. Mais la Commune fut la convergence de tous, blanquistes, proudhoniens, libertaires, républicains, internationalistes. Cette diversité, complexe et parfois explosive, fut la richesse de la Commune, la seule manière pour elle d’embrasser toutes les dimensions de la réalité sociale. Il faut valoriser cette diversité en tant que telle, car l’effacer revient à vider l’expérience d’une grande partie de son dynamisme.

• Par ailleurs la Commune n’a pas de leçon à donner. Elle ne se reproduira pas à l’identique, elle ne se copiera pas. Mais elle donne à réfléchir d’un point de vue civique, et elle peut encore orienter l’action publique par les valeurs révolutionnaires de justice sociale et de démocratie intégrale qu’elle a portées. Elle est à la fois passée et moderne, les deux en même temps. 

Dire la modernité de la Commune, n’est donc pas proposer de répéter purement et simplement ses mots et ses actes. C’est valoriser une réalité concrète, dans toutes ses dimensions, et c’est mettre en évidence un état d’esprit. Cet état d’esprit pourrait être développé dans quatre directions :

1. La société bourgeoise, qui est en train de se déployer au moment où se déroule la Commune de Paris, fonctionne à la polarité : accumulation de la richesse à un pôle, de la pauvreté à l’autre pôle. Elle fonctionne à la séparation des classes dans le cadre urbain. La transformation de Paris sous le Second Empire a accentué cette séparation, repoussant les classes les plus pauvres vers l’est et vers les périphéries, vers ce qui deviendra la « banlieue ». « Classes laborieuses, classes dangereuses  », disait on du côté des classes dominantes. D’une certaine façon, la Commune fut aussi une manifestation du refus de cette logique. Elle fut une volonté populaire de se réapproprier un territoire dont on entendait exclure les catégories les plus modestes. Ce bel exemple s’est prolongé au XXe siècle, avec les luttes pour la valorisation de la banlieue. Or nous vivons une période où, à nouveau, s’accentuent les phénomènes de relégation, de ghettoïsation, de déchirement des territoires, avec toutes les conséquences qui en résultent : instabilité, ressentiment, violence. En 1871, les Parisiens refusèrent la perspective de ce déchirement. Comment faire pour le contrecarrer aujourd’hui ? Voilà qui ne relève pas de notre association. Mais l’engagement d’alors ne peut-il pas faire réfléchir ? N’est-il pas, à sa manière, de notre temps ?

2. La Commune se voulut un pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. Mais elle considéra que le peuple est toujours double : socialement déterminé (les couches populaires) et politiquement acteur.
Elle estima donc qu’il n’y avait pas de République sûre d’elle-même, si l’on ne réconciliait pas le travailleur et le citoyen. Pas de Marseillaise sans drapeau rouge… Elle considéra qu’il n’y avait pas de République solide, si le droit de décider ne s’appliquait pas aussi à l’économie, si la propriété était considérée comme un droit absolu, alors que tant d’individus en sont privés. En bref, les communardes et communards furent farouchement républicains dans l’ensemble, mais ils conclurent que pour être l’être de façon conséquente, il fallait promouvoir une République sociale. C’est au nom de cette idée qu’ils multiplièrent les décisions : suspension des loyers, égalité de salaire entre les hommes et les femmes, municipalisation des entreprises abandonnées et gestion de ces entreprises par les ouvriers eux-mêmes, interdiction du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, sans compter toutes les ébauches de droit du travail engagées par la commission dirigée par le Hongrois Leo Fränkel.
Poursuivre cette méthode dans le monde et dans la société d’aujourd’hui ne va pas de soi. Là encore, ce n’est pas le propos de notre association de trancher entre telle ou telle proposition. Mais il est bon de rappeler que c’est parce que la Commune est allée franchement dans la direction d’une République sociale qu’elle a eu tant d’impact sur la société française et sur l’histoire mondiale.

3. Du point de vue démocratique, la Commune s’appuya sur une idée simple : le pouvoir du peuple ne peut être que celui où le peuple décide, le plus souvent et le plus directement possible. Elle proposa donc de favoriser l’intervention citoyenne directe (multiplication des réunions, des associations, liberté de la presse) ; d’organiser le contrôle permanent des élus, jusqu’à la révocation ; de généraliser le principe de libre association et de fédération.
Que faire de tout cela aujourd’hui concrètement ? Ce n’est pas simple et, encore et toujours, ce n’est pas à une association comme la nôtre, mais au débat démocratique d’en décider. Toutefois, dans un moment où la démocratie représentative s’essouffle, où les institutions sont en crise, où les catégories populaires ont le sentiment qu’elles sont exclues, l’orientation générale de la Commune mérite d’être prise en considération. Elle a voulu donner un nouveau souffle à la souveraineté populaire par l’intervention directe des citoyens eux-mêmes.
Elle a cherché à revivifier la démocratie représentative par l’irruption citoyenne et les mécanismes d’une démocratie d’implication plus active, plus directe.
Sur tous ces points, les artisans de la Commune n’eurent pas toutes et tous la même conception, loin de là et il est bon de ne pas taire les contradictions qui s’exprimèrent. Mais le désir de renouveau était largement partagé et c’est ce désir qu’il importe de mettre en avant aujourd’hui. A minima, il est possible d’affirmer que ce n’est pas en lui tournant le dos que l’on fera avancer l’histoire populaire et démocratique.

4. La Commune ne dura que 72 jours, pour les trois-quarts occupés par les contraintes terribles de la guerre civile. Elle rêva donc davantage qu’elle ne réalisa ; mais elle réalisa beaucoup et de façon souvent étonnamment anticipatrice. C’est ainsi qu’elle édicta la séparation de l’Église et de l’État, qu’elle institua l’école laïque et gratuite, qu’elle développa l’école professionnelle et qu’elle l’ouvrit aux femmes, qu’elle s’efforça d’affirmer la liberté totale et la diffusion populaire de l’art, qu’elle s’ouvrit largement aux étrangers.
Elle fut de son temps et elle en reproduisit les limites pour une part : par exemple, elle n’accorda pas le droit de vote aux femmes… Mais elle innova et, malgré le linceul de l’oubli, cela ne fut pas sans conséquence pour la suite. Il n’est pas absurde de dire que la République en France n’aurait pas été ce qu’elle a été, sans les défricheurs que furent les acteurs populaires de la Commune. Quel gâchis national que son apport ait été si longtemps occulté !

Il doit donc être clair que nous ne sommes plus aujourd’hui les tenants d’une légende dorée de la Commune. Elle ne fut pas parfaite, sans contradictions, sans hésitations, sans confusion même. Que serait-elle devenue, si elle avait pu s’inscrire dans la durée ? Nul ne peut le dire. Mais l’esprit de critique et de liberté qu’elle nous lègue mérite d’être cultivé. En tout cas, il ne saurait être tenu dans l’ombre.

ROGER MARTELLI

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