Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'Espagne est un pays déchiré par ses luttes intestines entre les factions monarchistes et pronunciamientos de généraux ambitieux. Une aristocratie terrienne, rétrograde, exploite durement une masse de paysans exclus de la possession du sol. La nation espagnole est constituée de régions très différenciées avec leurs particularités géographiques ethniques, économiques et culturelles. Le pouvoir exercé par le gouvernement de Madrid, centralisateur et autoritaire est haï par la majorité de la population.
Les grandes fortunes dédaignent de financer l'industrie naissante qui est livrée aux investisseurs étrangers. Paysans et ouvriers commencent à s'organiser ; grèves et soulèvements populaires s intensifient. La section espagnole de la l’Internationale est fondée en 1869, Elle sera bientôt sous l’influence prépondérante de Bakounine. Le marxisme restera minoritaire malgré les efforts de Paul Lafargue. La révolution parisienne de 1871 est accueillie avec enthousiasme par le peuple espagnol. L'autonomie de la Commune de Paris, son œuvre décentralisatrice et sociale correspondent parfaitement aux revendications essentielles des classes laborieuses.
Après le règne éphémère d’Amédée 1er, vite balayé par la contestation populaire, la République fédérale est proclamée le 11 février 1873. Mais le retard et les hésitations apportées dans l’application de la nouvelle constitution vont déclencher un large soulèvement de la population.
L’historienne Clara E. Lida insiste sur l'influence importante de la Commune de Paris en Espagne et particulièrement sur le mouvement cantonaliste.
Son exemple et son principe ainsi que la présence des communalistes français contribuent à activer l'esprit fédéraliste dans sa forme la plus intense : le canton (1)
Des municipalités autonomes « les cantons » sont constitués sur tout le territoire et particulièrement au Levant et en Andalousie. Ce sont les républicains fédéralistes qui, en général, prennent la direction des opérations. L’Internationale ne prend aucune part directe au soulèvement mais elle n'empêche pas ses militants d'y participer il titre personnel.
Il faut signaler le castres particulier d'Alcoy petite cité manufacturière d'Alicante. Une grève est transformée en insurrection. Une junte révolutionnaire composée uniquement d'ouvriers socialistes prend le pouvoir. Il faudra l'intervention de 6 000 hommes de l'armée régulière pour mettre fin à la révolte qui pouvait devenir une révolution.
À Carthagène l’insurrection sera la mieux implantée du 12juillet 1873 au l2 janvier 1874. (2) Un gouvernement provisoire est formé sous la direction du général républicain Contreras. Les trois quarts de la garnison se rallient au mouvement et plusieurs bâtiments de guerre sont aux mains des Cantonalistes.
Parmi les dirigeants, quelques internationalistes et le socialiste-révolutionnaire Antoñio de la Calle (3) ancien combattant de la Commune de Paris. Ayant échappé à la répression versaillaise, il a regagné son pays pour défendre la Liberté. D'abord membre du Comité de salut public de Madrid, Antoñio de la Calle voulut appliquer au canton de Carthagène, les connaissances acquises lors de sa participation à la Commune de Paris. Sous-secrétaire d’état du gouvernement provisoire, secrétaire de la Commission de la guerre, puis à la tête de la Commission des services publics, il prend des mesures novatrices :
Décrets sur l’instruction — Considérant que l'ignorance est le fondement de toutes les calamités publiques, la Commission interprétant les aspiration du peuple de Carthagène, estime nécessaire d'établir l'instruction élémentaire gratuite, laïque et obligatoire.
Décret sur la confiscation des biens ecclésiastiques — Les églises et tous les biens qui appartiennent aux congrégations religieuses deviennent la propriété collective du Canton.
Décret sur la propriété — Décret contesté parce que basé sur la distinction assez floue entre propriété légitime et propriété illégitime.
Dans le journal officiel « El Canton murciaño » qu'il dirige, Antoñio de la Calle fait paraître une série de projets de réformes économiques et sociales :
Journées de huit heures, création d'une sorte de tribunal de prud'hommes pour régler les conflits entre patrons et ouvriers, créations de coopératives de production et de consommation, banques populaires permettant de s'affranchir de la domination du capital.
Malgré la modération de ces réformes, de la Caille ne sera pas suivi par la majorité des dirigeants de la bourgeoisie fédéraliste du Canton. Alors que tous les autres cantons du territoire ont été éliminés isolé, le canton de Carthagène assiégé par les forces centralistes doit, à son tour, capituler après une héroïque résistance. La répression sera féroce. Quelques jours auparavant, le 3 janvier 1874, la République a cessé d'exister.
Quel que soit le régime en place, dans le dernier quart du XIXe siècle, la presse ouvrière espagnole, libre ou clandestine, ne manquera jamais de célébrer l'anniversaire du 18 mars 1871. La Commune de Paris sera glorifiée, non seulement parce qu'elle a proclamé « l'autonomie municipale et la fédération des communes » mais aussi parce qu'elle est l'accession au pouvoir de la classe laborieuse. (4)
De nos jours le problème posé par l'insurrection de 1873 a encore des résurgences dans la politique du pays. Une partie du programme des Cantonalistes a été abordée : la constitution de 1978 est en effet basée sur un système semi-fédéral d'administration des dix-sept communautés autonomes de l’Espagne.
C’est Cependant assez loin du but que s'était fixé le comité de salut public du Canton andaluz, beaucoup plus radical que celui de Carthagène et qui entendait promouvoir (à l'instar de la Commune de Paris) « la Révolution politique et sociale » (5)
Marcel Cerf
Notes :
(1) Lida Clara E. Anarquimo y revolucion, la España del XIXe –Siglo XXI de España Editores (p.186) Madrid 1972.
(2) Medioni Maria-Alice. El Canton de Cartageña – Siglo veintiuño de España Editores – Madrid 1979 (les citations de Clara E. Lida sont extraites de l’ouvrage de Maria-Alice Medioni)
(3) Cerf Marcel, Antoñio de la Calle – Cahiers des Amis de la Commune n°1, Paris 1987.
(4) La Emañcipacioñ, 18 marzo 1873.
(5) Lida Clara E. op. cit. p. 182.