À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, une exposition inattendue s’est tenue au coeur de l’été 2021 à la Chapelle expiatoire, haut lieu de mémoire des nostalgiques de la monarchie. Cet événement passé inaperçu révèle la survivance d’une contre-mémoire royaliste et catholique qui, loin d’être marginale, perpétue la mémoire versaillaise (1).
La Chapelle expiatoire
Située à Paris dans le 8e arrondissement, la Chapelle expiatoire est au centre du square Louis-XVI, rue Pasquier, dans le quartier de la Madeleine.
Dressé à l’emplacement de l’ancien cimetière de la Madeleine, l'édifice est positionné sur le lieu d'inhumation du corps du roi Louis XVI, suite à son exécution place de la Concorde le 21 janvier 1793. Dans les fosses communes du cimetière fermé par le Comité de salut public en 1794, furent aussi jetées beaucoup de victimes guillotinées de la Révolution comme Madame Rolland, Olympe de Gouges, Philippe Égalité ou Jacques Hébert…
Le monument actuel a été édifié sous la Restauration, à l’initiative de Louis XVIII, frère du roi exécuté sous la Terreur. Il entendait honorer non seulement la mémoire du couple royal guillotiné mais également celle des Gardes suisses tués le 10 août 1792 lors de la prise du palais des Tuileries. D'inspiration néoclassique, le monument construit de 1815 à 1826, est l’oeuvre de Pierre Fontaine, architecte officiel de tous les régimes, du Consulat au Second Empire. Restaurée sous Napoléon III, la chapelle a longtemps été l’objet de plusieurs projets de destruction. De 1826 à 1910, pas moins de 21 projets de démolition du symbole royaliste furent présentés. Classé monument historique en juillet 1914, le monument, géré par le Centre des monuments nationaux, est depuis ouvert au public et à la visite. Il est aujourd’hui surtout connu comme le rendez-vous traditionnel des royalistes, qui y célèbrent chaque 21 janvier une messe en hommage à Louis XVI et Marie-Antoinette.
L’exposition de l’été 2021
Intitulée sobrement 1871-2021 : les 150 ans de la Commune de Paris, l’exposition temporaire s’est tenue dans la Chapelle expiatoire, dans la torpeur de l’été, du 5 août au 4 septembre 2021. Introduite par une histoire abrégée et orientée de l’insurrection parisienne, elle portait surtout sur le projet communard de démolition de la Chapelle expiatoire, insulte permanente à la première Révolution pour les communards.
L’histoire de la Commune de Paris
Dès le début de l’exposition, la présentation du contexte historique est succincte. Seuls trois panneaux étaient consacrés à l’histoire de la Commune parisienne. Le premier portait sur les origines de la Commune, un autre sur le Comité de Salut public à l’origine du projet de démolition de la Chapelle expiatoire et le troisième sur la fin de la Commune qui revenait en particulier sur la controverse historique du nombre de victimes communardes entre Robert Tombs (7 500 morts) et Jacques Rougerie (30 000 morts). En conformité avec l’historiographie nationaliste, la Commune de Paris est naturellement décrite comme un pouvoir insurrectionnel d’inspiration patriotique, républicaine et socialiste. Les divisions idéologiques au sein de la Commune sont aussi mises en avant pour expliquer l’instauration d’un Comité de Salut public dont la liste des membres est sciemment affichée. Enfin, sur ces panneaux, l’héritage des révolutionnaires de 1793, dont la Commune s’est revendiquée, est sans cesse rappelé. Il s’agit bien de fait de souligner la radicalité révolutionnaire et la violence des communards.
Les projets de démolition
Les projets de démolition de la Commune sont ensuite au coeur de l’exposition avec deux panneaux sur ce thème : un sur l’inévitable colonne Vendôme dans lequel Gustave Courbet est présenté comme un bouc émissaire commode et un autre sur le projet de démolition de la Chapelle expiatoire, rêve ancien du député républicain Glais-Bizoin, selon un propos cité par Maxime Du Camp en personne.
Annoncée par une affiche de la Commune, la démolition de la chapelle fut décrétée par le Comité de Salut public le 6 mai 1871. Le directeur des Domaines de la Commune en charge du projet était un professeur de mathématiques engagé en politique depuis longtemps. Jules Fontaine (1817-1888), impliqué dans l’affaire du complot contre l’Empire, fut ainsi un des inculpés du procès de Blois en 1870.
Sous la Commune, à son poste de directeur, il opéra diverses saisies et perquisitions au domicile notamment de la princesse Mathilde, de Bazaine ou encore de Thiers, place Saint-Georges. Il fut pour cela condamné et envoyé en Nouvelle-Calédonie. Le projet de démolition devait échouer après l’intervention du stratagème de Jacques Libman (1827-1911) auquel un panneau entier est consacré. Habitant à proximité du monument, ce rentier, fervent catholique, réussit à retarder la destruction en se faisant passer pour un entrepreneur américain intéressé par les pierres du monument auprès précisément du directeur des Domaines de la Commune.
Les martyrs de la seconde terreur
Les derniers panneaux sont consacrés, fort logiquement, à l’affaire des otages et aux incendies de la Semaine sanglante. Ces derniers sont précisément figurés sur une carte imprimée grand format provenant de la BnF, intitulée Paris, ses incendies et ses ruines, 1870-1871. L’arrestation suivie de la mort d’une dizaine de religieux dont l’archevêque de Paris Mgr Darboy, en application du décret du 15 avril 1871, a marqué davantage encore les milieux catholiques, comme l’ont montré encore les incidents survenus en marge de la montée au Mur au printemps 2021. Dans l’exposition, ils sont présentés comme les martyrs de la Seconde Terreur, référence explicite à la Révolution française. La fin du commentaire sur le cartouche se fait même menaçante. Après avoir évoqué la razzia des soutanes, expression attribuée à Lissagaray mais sans citer la source, le commentaire se conclut par cette phrase lourde de sens : un climat de peur s’installe.
En conclusion, je tiens à remercier un membre récent de l’association qui nous a informés de cet événement confidentiel et pour la série de photos de l’exposition qu’il a prise et qu’il a nous aimablement envoyée.
ÉRIC LEBOUTEILLER
Notes :
(1) Éric Fournier, La Commune n’est pas morte, Libertalia, 2013