À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, une exposition inattendue s’est tenue au coeur de l’été 2021 à la Chapelle expia­toire, haut lieu de mémoire des nostalgiques de la monarchie. Cet événement passé ina­perçu révèle la survivance d’une contre-mémoire royaliste et catholique qui, loin d’être marginale, perpétue la mémoire versaillaise (1).

Chapelle expiatoire dans le 8e arrondissement de Paris - Photo Eugène Atget, 1902 (source George Eastman House)

La Chapelle expiatoire

Située à Paris dans le 8e arrondissement, la Chapelle expiatoire est au centre du square Louis-XVI, rue Pasquier, dans le quartier de la Madeleine.

Dressé à l’emplacement de l’ancien cimetière de la Madeleine, l'édifice est positionné sur le lieu d'inhumation du corps du roi Louis XVI, suite à son exécution place de la Concorde le 21 janvier 1793. Dans les fosses communes du cimetière fermé par le Comité de salut public en 1794, furent aussi jetées beaucoup de victimes guillotinées de la Révolution comme Madame Rolland, Olympe de Gouges, Philippe Égalité ou Jacques Hébert…

Le monument actuel a été édifié sous la Restauration, à l’initiative de Louis XVIII, frère du roi exécuté sous la Terreur. Il entendait honorer non seulement la mémoire du couple royal guillotiné mais également celle des Gardes suisses tués le 10 août 1792 lors de la prise du palais des Tuileries. D'inspiration néo­classique, le monument construit de 1815 à 1826, est l’oeuvre de Pierre Fontaine, archi­tecte officiel de tous les régimes, du Consulat au Second Empire. Restaurée sous Napoléon III, la chapelle a longtemps été l’objet de plu­sieurs projets de destruction. De 1826 à 1910, pas moins de 21 projets de démolition du sym­bole royaliste furent présentés. Classé monu­ment historique en juillet 1914, le monument, géré par le Centre des monuments nationaux, est depuis ouvert au public et à la visite. Il est aujourd’hui surtout connu comme le rendez-vous traditionnel des royalistes, qui y célèbrent chaque 21 janvier une messe en hommage à Louis XVI et Marie-Antoinette.

L’exposition de l’été 2021

Intitulée sobrement 1871-2021 : les 150 ans de la Commune de Paris, l’exposition tempo­raire s’est tenue dans la Chapelle expiatoire, dans la torpeur de l’été, du 5 août au 4 sep­tembre 2021. Introduite par une histoire abré­gée et orientée de l’insurrection parisienne, elle portait surtout sur le projet communard de démolition de la Chapelle expiatoire, insulte permanente à la première Révolution pour les communards.

Chapelle expiatoire sous la Commune (Source : Paris insurgé : histoire illustrée des événements accomplis du 18 mars au 28 mai 1871, page 481 - Gallica)
Chapelle expiatoire sous la Commune (Source : Paris insurgé : histoire illustrée des événements accomplis du 18 mars au 28 mai 1871, page 481 - Gallica)

L’histoire de la Commune de Paris

Dès le début de l’exposition, la présentation du contexte historique est succincte. Seuls trois panneaux étaient consacrés à l’histoire de la Commune parisienne. Le premier portait sur les origines de la Commune, un autre sur le Comité de Salut public à l’origine du projet de démolition de la Chapelle expiatoire et le troi­sième sur la fin de la Commune qui revenait en particulier sur la controverse historique du nombre de victimes communardes entre Robert Tombs (7 500 morts) et Jacques Rougerie (30 000 morts). En conformité avec l’historio­graphie nationaliste, la Commune de Paris est naturellement décrite comme un pouvoir insur­rectionnel d’inspiration patriotique, républi­caine et socialiste. Les divisions idéologiques au sein de la Commune sont aussi mises en avant pour expliquer l’instauration d’un Comité de Salut public dont la liste des membres est sciemment affichée. Enfin, sur ces panneaux, l’héritage des révolutionnaires de 1793, dont la Commune s’est revendiquée, est sans cesse rappelé. Il s’agit bien de fait de souligner la radicalité révolutionnaire et la violence des communards.

Jules Fontaine(1817-1888) Photo Appert (source : Northwestern University Web Archive collection)
Jules Fontaine(1817-1888) Photo Appert (source : Northwestern University Web Archive collection)

Les projets de démolition

Affiche de la Commune de Paris N°260 du 16 floréal an 79, 6 mai 1871 - Destruction de la Chapelle expiatoire
Affiche de la Commune de Paris N°260 du 16 floréal an 79, 6 mai 1871 - Destruction de la Chapelle expiatoire

Les projets de démolition de la Commune sont ensuite au coeur de l’exposition avec deux panneaux sur ce thème : un sur l’inévitable colonne Vendôme dans lequel Gustave Courbet est présenté comme un bouc émissaire com­mode et un autre sur le projet de démolition de la Chapelle expiatoire, rêve ancien du député républicain Glais-Bizoin, selon un pro­pos cité par Maxime Du Camp en personne.

Annoncée par une affiche de la Commune, la démolition de la chapelle fut décrétée par le Comité de Salut public le 6 mai 1871. Le direc­teur des Domaines de la Commune en charge du projet était un professeur de mathéma­tiques engagé en politique depuis longtemps. Jules Fontaine (1817-1888), impliqué dans l’affaire du complot contre l’Empire, fut ainsi un des inculpés du procès de Blois en 1870.

Sous la Commune, à son poste de directeur, il opéra diverses saisies et perquisitions au domicile notamment de la princesse Mathilde, de Bazaine ou encore de Thiers, place Saint-Georges. Il fut pour cela condamné et envoyé en Nouvelle-Calédonie. Le projet de démolition devait échouer après l’intervention du strata­gème de Jacques Libman (1827-1911) auquel un panneau entier est consacré. Habitant à proximité du monument, ce rentier, fervent catholique, réussit à retarder la destruction en se faisant passer pour un entrepreneur améri­cain intéressé par les pierres du monument auprès précisément du directeur des Domaines de la Commune.

Les martyrs de la seconde terreur

Les derniers panneaux sont consacrés, fort logiquement, à l’affaire des otages et aux incendies de la Semaine sanglante. Ces der­niers sont précisément figurés sur une carte imprimée grand format provenant de la BnF, intitulée Paris, ses incendies et ses ruines, 1870-1871. L’arrestation suivie de la mort d’une dizaine de religieux dont l’archevêque de Paris Mgr Darboy, en application du décret du 15 avril 1871, a marqué davantage encore les milieux catholiques, comme l’ont montré encore les incidents survenus en marge de la montée au Mur au printemps 2021. Dans l’ex­position, ils sont présentés comme les martyrs de la Seconde Terreur, référence explicite à la Révolution française. La fin du commentaire sur le cartouche se fait même menaçante. Après avoir évoqué la razzia des soutanes, expression attribuée à Lissagaray mais sans citer la source, le commentaire se conclut par cette phrase lourde de sens : un climat de peur s’installe.

Cartouche des derniers panneaux de l'exposition sur l'affaire des otages et les incendies de la Semaine sanglante
Cartouche des derniers panneaux de l'exposition sur l'affaire des otages et les incendies de la Semaine sanglante

En conclusion, je tiens à remercier un mem­bre récent de l’association qui nous a informés de cet événement confidentiel et pour la série de photos de l’exposition qu’il a prise et qu’il a nous aimablement envoyée.

ÉRIC LEBOUTEILLER

 

Notes :

(1) Éric Fournier, La Commune n’est pas morte, Libertalia, 2013

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