« Louise Michel » parlait à la radio ! C’était en octobre 2011, et j’étais chez moi, à Oakland, une ville traditionnellement ouvrière et aujourd’hui plus mélangée, de 400 000 habitants. Louise était porte-parole d’Occupy Oakland, et le journaliste qui l’interviewait ne savait pas que c’était un nom d’emprunt. Il ne savait certainement pas non plus le sens de l’énorme banderole « Commune d’Oakland » dressée au centre d’Occupy, un campement dans le centre-ville.
Occupy Oakland dura au total 33 jours, en deux phases distinctes. La première occupation s’étendit du 10 au 25 octobre, jusqu’à ce qu’elle soit attaquée et démontée par 17 services de police différents. La réoccupation, elle, dura du 26 octobre au 14 novembre.
Occupy Wall Street, le premier des campements Occupy, avait débuté le 17 septembre 2011, et duré un peu plus longtemps, du 17 septembre au 15 novembre, soit 60 jours. Wall Street, à New York, la « capitale du capital », était l’endroit choisi pour lancer une version américaine de ces mouvements dénonçant à travers le monde les inégalités socio-économiques (« Nous sommes les 99 % ») et l’influence des banques et multinationales toutes proches (Occupy San Francisco eut également lieu dans le quartier financier).
Mais Occupy Oakland différait par de nombreux aspects de celui de New York et des autres Occupy. Il était en gestation depuis des années dans les occupations anti-austérité des universités de Californie (2009-2011) et dans le campement Indien de Glen Cove (Californie) en avril 2011. En partie inspiré par le Printemps Arabe et le mouvement des Indignados en Espagne, il avait surtout des racines locales dans l’émeute du 9 janvier 2009 à Oakland, qui avait débuté comme une manifestation à la suite du meurtre d’Oscar Grant, un noir, à une station de métro d’Oakland (le sujet du film Fruitvale Station). Enfin Occupy Oakland n’était pas situé dans le quartier des banques, mais sur un parc en face de la mairie que les manifestants avaient rebaptisé Oscar Grant Plaza.
La Commune a été un mouvement pluriel d’une grande complexité. Aussi, dans Occupy Oakland, différentes tendances politiques coexistent. Les Occupants incluaient des anticapital, des anti-État, des anti-police, parfois en opposition entre eux, ainsi que de nombreuses voix de gauche. La place qu’ils occupèrent n’était pas un espace vide, des sans-abri y vivaient. Sur ce lieu étroit, les Occupants mirent en place des services gratuits : nourriture, aide médicale, bibliothèque, école, même un centre d’information, des vélos fournissant l’électricité. Promouvant l’égalité sociale, ils encouragèrent les groupes traditionnellement marginalisés, les femmes, les gens de couleur, les LGBT [1], à prendre part aux décisions. Ils exclurent fermement la police. Malgré leurs différences, les Occupants avaient tous à cœur de s’entraider et d’aider Oakland, et de nombreux participants ont décrit l’ambiance de camaraderie qui régnait. Le slogan de leur double but aurait pu tout aussi bien s’appliquer à la Commune : Occupy Oakland était
une machine de guerre et une machine d’entraide.
À l’instar de la Commune, les occupants créèrent une véritable démocratie, mais contrairement à la Commune, ils n’avaient ni l’intention ni la possibilité de gouverner la ville d’Oakland. Néanmoins, Occupy Oakland a mis en place une démocratie directe avec des assemblées générales, une participation égalitaire, et des décisions prises par consensus.
Et, comme la Commune, Occupy Oakland divisa la ville et sa presse. La maire, indécise, hésite beaucoup avant d’envoyer la police contre les Occupants, inquiétant ainsi la bourgeoisie en général et les commerçants en particulier. La police sut toujours ce qu’elle voulait, et lorsque la maire lui laissa le champ libre, Occupy Oakland, comme tous les autres Occupy, fut évacué, brutalement mais sans morts.
Occupy continua ses activités après la destruction du campement, notamment dans le cadre de la grève générale du 2 novembre qui paralysa de nombreux ports de la côte Ouest. Le port d’Oakland, bloqué par plusieurs milliers de manifestants, fut fermé.
L’étendard de la Commune est souvent levé de par le monde aujourd’hui lorsque l’espace public est occupé. Les Occupy proliférèrent également dans les villes américaines et dans le monde. De la place Tahrir au mouvement des Indignados espagnol, en passant par la Grèce, les références à la Commune sont souvent présentes.
Aujourd’hui les militants d’Occupy poursuivent le combat contre les banques, les évictions, la dette étudiante. Les termes « les 99% » et « les 1% » sont entrés dans la langue, et des mots longtemps en disgrâce aux Etats-Unis comme « classe » et « socialisme » ont fait leur retour dans le discours public. En 2016, le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, mène une campagne présidentielle à succès comme socialiste opposé à Wall Street et partisan de l’université gratuite.
En 2011, « Louise Michel » expliqua à la radio qu’Occupy Wall Street, plus qu’une revendication politique contre l’État, était surtout une « exigence envers chacun de nous » [2]. Occupy, comme la Commune, vit dans les « énergiques interactions sociales en rébellion » [3] des militants d’aujourd’hui, et ce qu’a dit Atilio Boron en comparant les Indignados à la Commune de Paris, nous pouvons également le dire d’Occupy : « Plus rien ne sera jamais comme avant » [4].
ANN ALDERMAN
Notes :
[1] LGBT : Lesbian, gay, bisexual and transgender.
[3] Bay of Rage, 16 mai 2012, http://anarchistnews.org/content/occupy-oakland-dead-long-live-oakland-commune
[4] Kaosenlared, 22 mai 2011, www.internationalist.org/spainrebellionoutraged1107.html