Geoges Sand, la Commune de Paris vue de Nohant (Indre)
George Sand qui dans les années 1840 affiche des opinions ardemment démocratiques, va jusqu'à se dire « communiste ». Elle publie alors ses romans dits socialistes, qui posent au siècle des questions qu'il n'a pas résolues sur la propriété, les rapports du capital et du travail, les associations de travailleurs. La grande idée du progrès moral de l'humanité domine son œuvre. Elle est liée avec la plupart des têtes pensantes de la démocratie (Leroux, Barbès, Blanc, Lamennais, Cavaignac), avec des révolutionnaires étrangers (Mazzini, Bakounine). Elle accueille les journées de février 1848 avec enthousiasme. Elle conseille Ledru-Rollin dans la coulisse. Mais les journées de Juin vont casser les ailes à son beau rêve de république « dure et pure » et profondément désabusée, elle se réfugie alors à Nohant.
C’est de sa maison de Nohant qu’elle va dans son journal quotidien montrer toute son hostilité, voire sa haine de la Commune de Paris et des Communard-e-s.
Dans son ouvrage Une « chimérique insurrection » : la Commune de Paris dans les Agendas et la Correspondance de Georges Sand, Géraldi LEROY écrit :
La Commune de Paris a engendré chez George Sand consternation et réprobation. Ces sentiments ont été immédiats et enregistrés aussitôt dans les Agendas et la correspondance avant les déformations qu’aurait pu leur infliger une remémoration postérieure.
Les graves incidents survenus à Montmartre le 18 mars 1871, lors de la tentative de la reprise des canons restés aux mains de la Garde nationale, suscitent dès le lendemain ce commentaire consigné dans l’Agenda des années 1867-1871 : « J’en suis malade. » Les jours suivants enregistrent une condamnation exprimée en termes moraux catégoriques.
À la date du 20, elle estime que les généraux Lecomte et Thomas « ont été assassinés odieusement » ; le 22, elle qualifie les insurgés d’« ânes grossièrement bêtes ou de coquins de bas étage. La foule qui les suit est en partie dupe et folle, en partie ignoble et malfaisante ». Le lendemain, elle déplore que « l’horrible aventure continue » et dépeint une situation des plus dégradées :
Ils rançonnent, ils menacent, ils arrêtent, ils jugent. Ils empêchent les tribunaux de fonctionner.
Un mois plus tard, tout en reconnaissant que la presse favorable à Versailles comporte des mensonges et des exagérations, elle n’en conclut pas moins de façon péremptoire :
C’est une émeute de fous et d’imbéciles mêlés de bandits.
L’épithète d’« ignobles » sera fréquemment appliquée aux hommes, aux décisions, aux épisodes de la Commune tant avant qu’après la proclamation officielle du pouvoir parisien le 26 mars.
Cette hostilité ne connaît guère de nuances. En particulier, elle ne tient pas compte des circonstances qui ont largement contribué à l’événement. Aucune mention n’est faite de l’exaspération née dans le petit peuple du sentiment que ses sacrifices durant le siège avaient été ignorés, pas plus que de l’inopportunité des mesures prises par le gouvernement de Versailles conduisant à la suppression de la solde des gardes nationaux et du moratoire sur les loyers. Dans une population qui avait été privée par la guerre de ses ressources habituelles, une telle politique n’était pourtant pas de mince conséquence. D’une façon plus étonnante encore, l’auteur de Nanon ignore ou critique les quelques dispositions sociales que la Commune eut le temps de décider. Elle met ainsi au compte de « décrets insensés » la restitution des objets déposés au Mont-de-piété. Faisant allusion à la suppression du travail de nuit chez les boulangers, elle a cette remarque sarcastique :
Et les vidangeurs ?
(Extraits)
Cette haine n’est pas due, confirme l’auteur, à l’éloignement de George Sand de la Capitale. Elle reçoit quasi quotidiennement les journaux parisiens et des nouvelles d’un ami qui est plutôt favorable à l’insurrection. Ces jugements correspondent bien à sa pensée profonde.
Lire par ailleurs le livre de Paul LIDSKY : « Les écrivains contre la Commune »
La Commune de Paris aux départements
Extrait du Journal officiel du 7 avril
PARTIE OFFICIELLE
LA COMMUNE DE PARIS AUX DÉPARTEMENTS
Vous avez soif de vérité, et, jusqu’à présent, le gouvernement de Versailles ne vous a nourris que de mensonges et de calomnies. Nous allons donc vous faire connaître la situation dans toute son exactitude.
C’est le gouvernement de Versailles qui a commencé la guerre civile en égorgeant nos avant-postes ; trompés par l’apparence pacifiques de ses sicaires ; c’est aussi ce gouvernement de Versailles qui fait assassiner nos prisonniers, et qui menace Paris des horreurs de la famine et d’un siège, sans souci des intérêts et des souffrances d’une population déjà éprouvée par cinq mois d’investissement. Nous ne parlerons pas de l’interruption du service des postes, si préjudiciable au commerce, de l’accaparement des produits de l’octroi, etc., etc.
Ce qui nous préoccupe avant tout, c’est la propagande infâme organisée dans les départements par le gouvernement de Versailles pour noircir le mouvement sublime de la population parisienne. On vous trompe, frères, en vous disant que Paris veut gouverner la France et exercer une dictature qui serait la négation de la souveraineté nationale. On vous trompe, lorsqu’on vous dit que le vol et l’assassinat s’étalent publiquement dans Paris. Jamais nos rues n’ont été plus tranquilles. Depuis trois semaines, pas un vol n’a été commis, pas une tentative d’assassinat ne s’est produite.
Paris n’aspire qu’à fonder la République et à conquérir ses franchises communales, heureux de fournir un exemple aux autres communes de France.
Si la Commune de Paris est sortie du cercle de ses attributions normales, c’est à son grand regret, c’est pour répondre à l’état de guerre provoqué par le gouvernement de Versailles. Paris n’aspire qu’à se renfermer dans son autonomie, plein de respect pour les droits égaux des autres communes de France.
Quant aux membres de la Commune, ils n’ont d’autre ambition que de voir arriver le jour où Paris, délivré des royalistes qui le menacent, pourra procéder à de nouvelles élections.
Encore une fois, frères, ne vous laissez pas prendre aux monstrueuses inventions des royalistes de Versailles. Songez que c’est pour vous autant que pour lui que Paris lutte et combat en ce moment. Que vos efforts se joignent aux nôtres, et nous vaincrons, car nous représentons le droit et la justice, c’est-à-dire le bonheur de tous par tous, la liberté pour tous et pour chacun sous les auspices d’une solidarité volontaire et féconde.
Paris, le 6 avril 1871.
La commission exécutive :
COURNET, DELESCLUZE, FÉLIX PYAT, TRIDON, VAILLANT, VERMOREL.