Eugène Varlin naît le 5 octobre 1839 à Claye-Souilly en Seine-et-Marne, à 37 km de Paris, sur la route de Meaux. Son père possède quelques arpents de vigne, insuffisants pour nourrir la famille. Pour compléter son revenu, il travaille comme journalier dans les fermes avoisinantes. Sa mère est femme au foyer et élève trois garçons, Eugène, Louis, Hippolyte et une fille, Clémence.
La famille Varlin est de souche républicaine. Jean Adrien Varlin a installé la première municipalité républicaine à Claye-Souilly en 1792. Le grand-père maternel d’Eugène, Antoine Duru, a été écarté du conseil municipal en 1851 à cause de ses opinions républicaines.
Bien que vivant pauvrement, les parents Varlin envoient leurs enfants à l’école, payante à cette époque.
- Une solide formation générale et professionnelle.
Eugène quitte l’école à treize ans, en 1852, pour faire son apprentissage de relieur à Paris, d’abord chez un confrère de son oncle, Hippolyte Duru, puis chez son oncle luimême.
De 1855 à 1859, il parfait son apprentissage dans plusieurs ateliers. Il est ensuite embauché comme contremaître. En 1860-61, il complète son instruction générale en suivant les cours de l’association philotechnique. En 1862, il s’installe dans ses meubles, 33, rue Dauphine, dans le VIe arrondissement où il restera jusqu’en 1870. Il commence à apprendre le latin en 1864.
Eugène Varlin est maintenant doté d’une solide formation professionnelle doublée d’une bonne instruction générale.
En 1857, il participe à la fondation de la Société civile des relieurs, société de secours mutuels regroupant ouvriers et patrons. Il y fait son apprentissage de militant ouvrier.
En 1862, a lieu l’exposition universelle de Londres. Eugène Varlin ne fait pas partie de la délégation française mais il contribue à la rédaction du rapport publié à la suite de ce voyage.
Le 25 mai 1864 est votée la loi qui autorise les grèves en l’assortissant de sévères restrictions. Les ouvriers relieurs s’engouffrent dans la brèche et cessent le travail en août. Les patrons cèdent sur une partie des revendications. Varlin s’est beaucoup investi dans ce mouvement. Pour le remercier, les ouvriers relieurs lui offrent une montre en argent. Les avantages concédés par les patrons ayant été remis en question, une deuxième grève se produit en 1865, sans résultat positif. Les conflits rendent impossible la cohabitation des ouvriers et des patrons dans la Société civile des relieurs. Eugène Varlin en est exclu en 1866.
- Le militant ouvrier.
Il est alors à l’initiative de la Société civile d’épargne et de crédit mutuel des ouvriers relieurs de Paris dont il est élu président. Dans le conseil d’administration de quinze membres, figure l’ouvrière relieuse Nathalie Le Mel. Parallèlement, Varlin est à l’initiative, avec la Fédération des relieurs, de la Caisse fédérative de prévoyance des cinq centimes dite Caisse du sou dans laquelle les ouvriers versent cinq centimes par semaine pour constituer un fonds dans le but de venir en aide aux grévistes.
En 1864, a été créée à Londres l’Association internationale des travailleurs (AIT) plus connue sous le nom de 1ère Internationale à laquelle Eugène Varlin adhère en 1865 quand est fondé le bureau parisien qui a son siège, 44, rue des Gravilliers dans le IIIe arrondissement. Plus tard, le bureau sera transféré rue de la Corderie dans le même arrondissement. Les secrétaires correspondants sont des proudhoniens. Varlin fait partie de la commission de vingt membres chargés de l’administrer. Il collabore aux journaux de l’Internationale, la Tribune ouvrière puis la Presse ouvrière. En septembre, il assiste à Londres à la conférence de l’Internationale.
- Pour l’amélioration des conditions de travail des femmes et l’instruction pour tous.
En septembre 1866, Varlin est délégué au premier congrès de l’Internationale à Genève. Il y fait deux propositions qui sont refusées par la majorité proudhonienne de la délégation française. La première concerne l’amélioration des conditions de travail des femmes en opposition à la notion de femme au foyer. En second lieu, il demande l’enseignement par la société (et non par la famille), sous la direction des parents, et obligatoire pour tous les enfants.
Après ce congrès, Varlin devient l’un des trois secrétaires correspondants. Coopérateur, il fonde, en 1867, la coopérative de consommation La Ménagère et l’année suivante le restaurant coopératif La Marmite, rue Larrey, dans le VIe arrondissement dont trois succursales fonctionneront en 1870.
L’Internationale soutient les grèves qui se multiplient et apporte une aide financière aux grévistes en utilisant la Caisse du sou. Le pouvoir réagit en lançant des poursuites judiciaires contre les quinze membres de la commission parisienne de l’Internationale. Ceux-ci démissionnent et quinze nouveaux membres sont élus. Parmi eux, on trouve Varlin qui reste secrétaire correspondant avec deux nouveaux venus, Malon et Landrin. Le second bureau, composé de collectivistes, est beaucoup plus résolu que le précédent. Le second congrès de l’Internationale a lieu en septembre 1868 à Bruxelles. Dans ses notes préparatoires, Varlin propose la réduction de la journée de travail à huit heures pour que l’ouvrier puisse s’éduquer, développer son intelligence. Avec le progrès des machines, ajoute-t-il, le travail sera aussi bien fait. Varlin ne peut pas participer au congrès car il a été condamné à trois mois de prison lors du deuxième procès intenté à l’Internationale.
- Organisateur des travailleurs et initiateur du syndicalisme.
Varlin et ses compagnons sortent de prison en octobre 1868. Il leur faut reconstruire l’Internationale en France, qui a été déstructurée par les deux premier procès. Ils s’y emploient avec vigueur et succès en s’appuyant, en 1869, sur les importants mouvements de grèves en France et à l’étranger qui amènent à impulser la solidarité. La caisse du sou est mise à contribution. Varlin pense que l’organisation des forces révolutionnaires du travail est la question préalable à toute réforme et que la grève est une école de lutte. 1869 est aussi l’année du 4e congrès de l’Internationale à Bâle. Varlin y représente les ouvriers relieurs de Paris où il incarne le mouvement ouvrier parisien. Il rend compte des travaux du congrès dans un article du Commerce, organe des Chambres syndicales ouvrières : les sociétés corporatives, résistance, solidarité syndicat, méritent surtout nos encouragements et sympathies, car ce sont elles qui forment les éléments naturels de l’édifice social de l’avenir. Eugène Varlin s’affirme ainsi comme l’initiateur du syndicalisme français tel qu’il se construira à la fin du siècle.
Varlin se rend dans les principales villes et centre industriels de France pour y implanter l’Internationale. Des sections sont fondées à Marseille, Lyon, Le Creusot, Rouen et dans des dizaines d’autres villes. Au printemps 1870, l’Internationale est à l’apogée de son influence et de son organisation en France avec environ 100 000 membres.
Le pouvoir impérial engage un troisième procès contre l’Internationale. Fin avril, Varlin, menacé d’arrestation, doit se réfugier en Belgique. Il est condamné à un an de prison le 8 juillet. Il rentre en France après la proclamation de la République le 4 septembre.
L’Internationale a été désorganisée par la guerre franco-prussienne. Avec Benoit Malon, Varlin essaye d’en renouer les fils et de préciser la position de l’organisation face à la situation nouvelle : Par tous les moyens possibles, nous concourrons à la défense nationale qui est la chose capitale du moment. Depuis la proclamation de la République, l’épouvantable guerre actuelle a pris une autre signification ; elle est maintenant le duel à mort entre le monarchisme féodal et la démocratie républicaine… Notre révolution à nous n’est pas encore faite et nous la ferons lorsque, débarrassés de l’invasion, nous jetterons révolutionnairement, les fondements de la sociétaire égalitaire que nous voulons.
Varlin fait partie du Comité central provisoire des vingt arrondissements qui regroupe les comités de vigilance et a son siège à la Corderie. Il s’est engagé dans le 193e bataillon de la Garde nationale dont il a été élu commandant. Il en est révoqué après la journée révolutionnaire du 31 octobre. Le 15 mars 1871, il devient membre du Comité central.
Le 18 mars 1871, premier jour de la Commune, il occupe, avec son bataillon, l’état-major de la Garde nationale, place Vendôme.
Élu et martyr de la Commune.
Eugène Varlin est élu membre de la Commune dans le VIe arrondissement le 26 mars 1871. Il est successivement membre des commissions des Finances, des Subsistances et à l’Intendance. Opposé à la création du Comité de Salut public, il signe le 15 mai la déclaration de la minorité qui affirme : La Commune de Paris a abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature.
Pendant la semaine sanglante, il se bat sur les barricades dans les VIe,Ve et XIe arrondissements. Il remplace Delescluze, tué sur une barricade, comme délégué civil à la guerre. Le 26 mai, il tente de s’opposer, sans succès, à l’exécution des otages, rue Haxo. Le 28 mai, vers midi, il combat, avec Jean-Baptiste Clément et Ferré sur la barricade de la rue de la Fontaine-au-Roi, l’une des dernières de la Commune.
Dans l’après-midi, épuisé, il se repose sur un banc, rue Lafayette, près de la place Cadet. Reconnu par un prêtre en civil, il est arrêté et emmené sous les injures et les coups des « amis de l’ordre » dans le XVIIIe arrondissement. Brièvement interrogé, il décline son identité, mais refuse d’en dire davantage. Défiguré par les coups, un oeil pendant hors de l’orbite, ses bourreaux l’assoient sur une chaise pour le fusiller. Varlin fait face avec courage au peloton d’exécution. Il meurt en criant : Vive la République ! Vive la Commune ! Le lieutenant Sicre, qui l’avait arrêté, lui dérobe la montre offerte par ses collègues relieurs en 1864. Il la présentera comme trophée dans les soirées mondaines auxquelles il est invité.
Eugène Varlin est l’un des personnages les plus emblématiques de la Commune. Il a laissé l’image d’un militant sincère, irréprochable, fidèle jusqu’à sa mort héroïque, à ses idéaux de justice sociale, d’internationalisme et de liberté. Cent quarante après sa mort, il est un exemple et une référence pour celles et ceux qui luttent pour les mêmes idéaux.
YVES LENOIR
Sources
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Éditions de l’Atelier ;
Eugène Varlin, chronique d’un espoir assassiné, Michel Cordillot, Les éditions ouvrières, 1991