LES FEMMES DANS LA COMMUNE

Les femmes de la Commune

Eloi Valat, peintre et dessinateur, nous a déjà offert de belles planches sur la Commune de Paris (Journal de la Commune, La Semaine sanglante) et sur Jules Vallès. Chargés d’émotions et de vérité graphique, ses ouvrages sont toujours des partages forts sur cette période-phare de l’histoire du mouvement ouvrier.

Sa nouvelle publication a pour thème la place des femmes dans la Commune de Paris. Nous sommes nombreux à connaître Louise Michel, Nathalie Le Mel, mais toutes les autres ?… Paule, Eulalie, Séraphine, les femmes du petit peuple, les lavandières, les giletières, les blanchisseuses qui deviendront des ambulancières, des pointeuses d’artillerie, des combattantes de cet idéal de république démocratique et sociale.

Organisées dans les clubs, les comités d’arrondissement, l’Union des femmes, elles réclament la fin de l’exploitation, l’égalité salariale, le droit à l’enseignement. Cet ouvrage rend hommage aux Louises, citoyennes de la Commune qui ont voulu « considérer les douleurs générales de l’humanité comme rentrant dans la cause commune des déshérités » pour reprendre les propos de Louise Michel.

Pour donner la parole à ces femmes, Eloi Valat s’appuie sur le Petit dictionnaire des femmes de la Commune, établi et publié par notre association, qu’il ne manque pas de remercier.

Les textes regroupent des témoignages de militantes comme Victorine Brocher, des déclarations, des appels à la mobilisation. Une approche qui permet de montrer que les femmes n’ont pas été dans l’attente, mais qu’elles ont conduit une réflexion et une action spécifiques, s’intégrant dans le progrès social de la Commune.

Les dessins au trait net et sombre, avec ces à-plats de couleurs franches, sont d’une très grande modernité et donnent sens aux moments-symboles d’une révolution en marche. Les mains, particulièrement, traduisent le travail qui déforme, la fébrilité des acteurs, l’intensité du combat d’un peuple qui veut vivre dans la dignité et le respect.

FRANCIS PIAN

 

Eloi Valat, Louises, les femmes de la Commune, Ed. Bleu autour, 2019.

 

 

EUGÈNE VARLIN, OUVRIER-RELIEUR, DE L’AIT À LA COMMUNE

EUGÈNE VARLIN, OUVRIER-RELIEUR, DE L’AIT À LA COMMUNE

« Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. » Eugène Varlin, ouvrier-relieur, est une figure phare du mouvement ouvrier du XIXe siècle en France. Issu d’une famille modeste, il suit des cours du soir pour mieux comprendre un monde dont il mesure les injustices et agir sur lui. Il rencontre ceux qui vont devenir les fondateurs de l’Association internationale des travailleurs (AIT), Tolain et Fribourg notamment. Ce trio qu’il constitue avec eux signera les premiers appels à l’union des travailleurs pour défendre leurs droits, inscrivant la formule « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » dans l’histoire du monde ouvrier. Le droit au travail des femmes.

Michèle Audin, enseignante, passionnée par la Commune de Paris, auteure de plusieurs ouvrages sur ce thème, rassemble dans cet ouvrage tous les écrits retrouvés à ce jour (articles, proclamations, lettres) d’Eugène Varlin. Elle allie donc biographie et recueil de textes. Le lecteur retrouvera la vie quotidienne des ouvriers boulangers, des mineurs, des ovalistes (1), la solidarité par les caisses de secours en cas de grève dure. Varlin ouvrier lui-même sait qu’une grève est difficile à mener et que les privations justifient le soutien concret par les coopératives comme La Marmite. Un des premiers, il défend le droit au travail des femmes : « la femme doit travailler et doit être rétribuée pour son travail. […] ceux qui veulent lui refuser le droit au travail veulent la mettre pour toujours sous la dépendance de l’homme. »

La succession des textes constitue un journal des luttes sociales, de la mise en place de l’AIT en France, malgré les arrestations, les procès, les emprisonnements.

L’indispensable solidarité. Bien qu’emprisonné sous l’Empire, il étoffe sa réflexion intellectuelle et politique le conduisant vers le communisme non autoritaire, la méfiance à l’égard des élections, de la bourgeoisie dominatrice. « Pour que nous puissions envisager sans crainte l’avenir gros d’orages, il faut que tous les travailleurs se sentent solidaires. »

C’est le sens permanent de son action militante. Au fil des pages, le lecteur est surpris par la modernité des propos et des réflexions.

Les textes abondent et c’est heureux que Michèle Audin redonne ainsi la parole à un responsable un peu trop oublié, contribuant à nourrir la réflexion sur l’actualité de la Commune de Paris dans les luttes sociales. Bien sûr, lors de ces 72 jours, Varlin est au premier plan, il écrit peu, il agit, il est sur les barricades et évidemment une des dernières, rue de la Fontaineau-au-Roi. Arrêté, il est fusillé par les versaillais à Montmartre après avoir subi des actes barbares.

FRANCIS PIAN

 

Michèle Audin, Eugène Varlin, ouvrier relieur. 1839-1871, Ed Libertalia, 2019.

(1) Les ovalistes sont des ouvrières de la soie, qui surveillent les moulins, les bobines et veillent à la bonne qualité de la soie (en réparant les fils cassés).

 

 

VARLIN, UN DESTIN

Varlin Aux origines du mouvement ouvrier

Une vie se situe quelque part entre la pensée, la parole et l’action. La biographie que Jacques Rougerie consacre à Eugène Varlin s’attache, au-delà des sources existantes et des témoignages, à suivre son parcours, sa courte vie politique afin de situer « le climat dans lequel il vit et agit ». C’est un texte chronologique et thématique avec près de 200 notes et des annexes dont celles relatives aux sociétés ouvrières des années 1867 à 1870.

« Aux origines du mouvement ouvrier ». Des chapitres évoquent « Varlin en son temps », ses années de formation, sa vie d’ouvrier relieur « exemplaire du mouvement d’auto émancipation des misérables » qui a « d’abord été la sienne » en complétant ses connaissances, des techniques à la musique « métaphore des rapports sociaux ». Fourier, Proudhon, Bakounine, « Marx peut-être » ont pu l’influencer mais « il n’a de cesse de les accommoder à sa manière ». Dans les années 1860, « c’est le syndicalisme français qui naît avec lui » car « l’émancipation doit être collective ». Il anime les premières grèves des relieurs et suscite la création de sociétés ouvrières.

Rougerie rappelle l’implication de Varlin, adhérent de l’Internationale dès 1865, dans les congrès de l’AIT (Bâle en 1869), ses positions théoriques, l’évolution de sa pensée par rapport à d’autres militants, ses proximités idéologiques — Jules Andrieu, Benoît Malon, des internationaux belges… —, Varlin se qualifiant de « communiste non autoritaire ». Lors de nombreuses grèves de 1869 et 1870, il est à l’origine de nouvelles sociétés ouvrières qui doivent, selon lui, conduire leurs membres « fatalement à rechercher les réformes radicales qui peuvent les affranchir de l’oppression capitaliste ».

La guerre et la Commune. Le texte de Rougerie évoquant cette période est plus bref. C’est le temps de l’action. Varlin est de ceux qui veulent « défendre Paris à outrance ». Mais l’AIT est affaiblie, les sociétés ouvrières désorganisées par la guerre et les élections de février 1871 ont été décevantes. Il agit dans le Vie arrondissement, où il habite, et il s’implique dans l’organisation de la garde nationale dont le rôle est décisif le 18 mars 1871.

Élu le 26 mars dans trois arrondissements, il est fidèle au VIe. « Pendant toute la durée de l’insurrection, Varlin ne se consacrera qu’aux tâches concrètes », à la commission des Finances, puis à celle des Subsistances où il s’occupe de « l’armement de la garde nationale, en évitant resquille ou gaspillage ». Début mai 1871, il fait partie de la « minorité » de la Commune opposée au Comité de salut public et, membre de la commission de la Guerre, il ne peut que constater les luttes de pouvoir entre les différentes entités de la Commune. Démis de ses fonctions, il se replie sur son arrondissement.

Pendant la Semaine sanglante, il combat dans le VIe puis dans le XIe arrondissement, jusqu’à son arrestation, le 28 mai, rue Lafayette, la montée vers Montmartre et son exécution, à 32 ans, sur les lieux mêmes du début de l’insurrection.

Pour épilogue et « appréciation de son action ou de son œuvre », Rougerie cite Jules Vallès — « l’un de ses adversaires les plus vigoureux au sein des meneurs de la Commune ». Vallès évoque sa « grande modestie (…) ; c’est ce qui explique comment, ayant beaucoup fait, il avait si peu fait parler de lui ». Pour le 180e anniversaire de sa naissance, la parution de deux ouvrages constitue un bel hommage à cet homme remarquable.

ALINE RAIMBAULT

Jacques Rougerie, Eugène Varlin. Aux origines du mouvement ouvrier, Editions du Détour, Paris, 2019.

 

LA COMMUNE VUE DE LA CREUSE

La Commune vue de la Creuse

La lecture des Cahiers des migrants creusois dans la Commune de Paris 1871 nous conforte dans l’idée que, malgré l’éloignement de Paris, nombre d’habitants de la Creuse, province peu accessible, peu fréquentée, s’engagèrent dans la lutte que menait la Commune pour défendre ses idéaux. Nous constatons ainsi que la population des campagnes, malgré les maigres moyens d’information de l’époque, prit les armes pour défendre la République.

La grande pauvreté qui régnait dans ce département a contraint nombre d’hommes à monter à Paris pour travailler, notamment en qualité de maçons, à la construction d’immeubles haussmanniens. Eux aussi restèrent pour défendre la République, lutter dans la perspective d’une société plus juste. Sans oublier la rancune envers le clergé, soutien des classes favorisées, qui aboutira à un anticléricalisme auquel ils adhérèrent.

1500 à 3000 d’entre eux sont morts pendant le siège et la Semaine sanglante. 953 furent arrêtés et déportés, sans compter les fusillés sans jugement. D’après le rapport Appert, la Creuse a fourni plus d’insurgés qu’aucun autre département.

La documentation qui figure dans ces cahiers, la rigueur de la narration dans les récits d’une déportée en Nouvelle-Calédonie, d’une condamnée à cinq ans de détention, la recherche sur un déporté à Cayenne, témoignent du sérieux apporté à la rédaction de ces cahiers.

Ils apportent des éléments peu connus, indispensables à une autre connaissance de la Commune et, s’il reste un peu de temps à leur lecture, on peut y apprendre le « patois creusois ».

ANNETTE HUET

Les Cahiers des migrants creusois dans la Commune de Paris 1871, n° 1, Comité local de la Creuse des Amies et Amis de la Commune de Paris 1871, Editions Ateliers et Vie aux Coudercs, 2019. En vente (12 €) au Comité 23 des Amis de la Commune de Paris, n° 6, Lascaux, 23220 Jouillat. E-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

 

UN CATALOGUE, UNE OEUVRE D’ART

Guy Peellaert le cerisier en fleurs

En 2001, pour le 130e anniversaire de la Commune, nous avons osé l’impossible : présenter une exposition de tableaux de peintres contemporains, parmi les plus connus de notre époque, dans un lieu emblématique de la République : l’Assemblée nationale.

En voyant l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest sur la Semaine sanglante dessinée sur les marches du Sacré-Cœur, l’idée m’était venue que la Commune n’était pas morte, puisqu’elle inspirait encore les artistes d’aujourd’hui.

Les communard.e.s ont sauvé la République, comme l’avait prédit Varlin avec cette terrible phrase, prononcée le 27 mai 1871, à la veille de son assassinat : « Nous serons dépecés vivants. Morts, nous serons trainés dans la boue, mais l’Histoire dira de nous que nous avons sauvé la République ».

Oui, ils ont sauvé la République, alors la République leur devait une reconnaissance officielle. Restait à lever les nombreux obstacles qui se dressaient devant nous. Les réticences tombèrent peu à peu. Il fallut beaucoup de persévérance et l’aide de Claude Willard, notre président à l’époque, tout de suite convaincu, et qui participa à toutes les réunions de préparation.

La peinture contemporaine ne faisait pas l’unanimité et les lieux semblaient impossibles à obtenir.

Un soir de conférence sur la Nouvelle-Calédonie, une descendante de communard vint nous rejoindre dans ce combat. Claudine Boni, qui connaissait nombre de peintres, fut notre planche de salut.

Aujourd’hui il nous reste deux documents extraordinaires de ce moment exceptionnel. Une brochure : 1871, la Commune de Paris, un grand format réalisé par Alain Frappier. Très belle, elle a contribué à nous faire accepter à l’Assemblée nationale. Épuisée aujourd’hui, elle a permis aussi nombre d’expositions dans les écoles, dans les centres d’activité culturelle, dans les entreprises. Elle sert encore bien souvent de référence.

Le deuxième document, c’est un magnifique catalogue encore disponible, mais un peu oublié. Quel dommage ! Il a été maquetté par l’un des plus grands affichistes de notre époque, Guy Peellaert, qui est aussi l’auteur de la belle affiche du cerisier en fleurs, dont il nous a fait cadeau, comme il nous a offert ce document d’histoire : le catalogue.

Celui-ci rappelle admirablement l’œuvre sociale de la Commune. Il présente aussi une chronologie très complète, très bien illustrée, depuis la déclaration de guerre à la Prusse, le 19 Juillet 1870, jusqu’à l’amnistie de juillet 1880.

Les œuvres des vingt artistes exposés sont reproduites dans une qualité de couleur irréprochable, le tirage ayant été réalisé par l’imprimerie qui produisait le luxueux catalogue de Drouot. Ainsi, malgré la réduction de l’œuvre de Ladislas Kijno, nous voyons surgir le visage de Rimbaud. Jean Ruffin, dans son Hommage aux morts de la Commune, nous interpelle avec ces visages très expressifs, et encore Jacques Monory, qui nous fait cadeau de son bleu tellement exceptionnel. Bien sûr, Ernest Pignon-Ernest a participé à ce très impressionnant hommage, comme Gérard Gosselin, François Hilsum, Peter Klasen, Melik Ouzani, Max Schoendorff, Anne Slacik, Vladimir Velickovic et son Homme, sanglant comme la dernière semaine de mai 1871. Découvrons aussi Yvon Taillandier et son hommage particulier à Humbert, prisonnier pendant huit ans en Nouvelle-Calédonie, auteur de l’installation de l’Imprimerie nationale dans le 15e ; Antonio Segui, peintre argentin, interdit de séjour dans son pays pour avoir caricaturé la dictature. Son tableau montre à la fois le peuple en lutte, la démolition de la colonne Vendôme, les exécutions au Mur des Fédérés, l’horreur de la répression, dans un étonnant tableau de dessins presque enfantins.

Comment passer à côté de l’œuvre de notre ami Boris Taslitzky, avec La Montée au Mur. Cet artiste gêne aujourd’hui encore la municipalité de Levallois-Perret, qui veut détruire une de ses œuvres décorant une crèche. Mais comment les décrire tous ?…

Catherine Viollet et ses Louise(s)…. D’autres encore, qui nous ont surpris, qui nous ont appris à regarder, à comprendre ! À vous aussi de les découvrir, dans ce très beau document au format des journaux de l’époque de la Commune. Tiré à 20 000 exemplaires, un grand nombre en a déjà été vendu. Un édito de Raymond Forni, président de l’Assemblée nationale en 2001, souligne les valeurs de cette révolution du printemps 1871 et le texte de Claude Willard rappelle, dans une synthèse bien souvent reproduite dans nos textes, la genèse de cette

Commune de Paris tellement porteuse de projets, d’espoirs et de luttes.

Il s’agit d’une œuvre d’art, qui contribue à faire lever la chape de plomb qui pèse encore aujourd’hui sur ce moment de l’histoire, qui fit trembler le gouvernement de Thiers et qui gêne encore aujourd’hui nos gouvernants.

Offrez-le autour de vous, sa diffusion contribue à notre combat quotidien.

CLAUDINE REY

Catalogue en vente (3 euros) au local :

46 rue des Cinq-Diamants, Paris 13e (métro Place d’Italie ou Corvisart).

On retrouvera textes et images de l’exposition sur le site de l’Assemblée nationale : www.assemblee-nationale.fr/evenements/commune.asp

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