Pour saisir l'influence qu'eut la Commune sur la Résistance, il faut d'abord rappeler qu'elle occupait une place éminente dans la culture du socialisme français de l’entre-deux-guerres. Chaque année, la montée au Mur des Fédérés rassemblait des centaines de milliers de personnes, des périodiques comme Commune, pépinière de futurs résistants. s'en réclamaient ouvertement.

Affiche de la Commune de Paris n° 317 du 14 mai 1871 (Source BDIC)    Affiche éditée par le Parti Communiste
Affiche de la Commune de Paris n° 317 du 14 mai 1871 - Les Francs-Tireurs de la Révolution (source : La Contemporaine – Nanterre / argonnaute.parisnanterre.fr) / Affiche éditée par le Parti Communiste Français

     

La révolte des Communards est donc naturellement devenue une référence majeure de la Résistance. L'un des premiers journaux clandestins, L’Homme Libre, fondé par des socialistes du Nord, se place des son premier numéro d'octobre 1940 en héritier des « 35 000 victimes de la Commune ». Chaque printemps, la presse patriote célèbre largement leur histoire, en zone nord comme en zone sud. Jules Valles est particulièrement mis à l'honneur. A L’Aurore, Robert Lazurick signe tantôt « Jacques Vingtras », tantôt « l’insurgé », qui devient aussi le titre d'un journal lyonnais. André Carrel du Comité Parisien de Libération, emprunte son patronyme. Les autres Fédérés, Louis Michel, VarIin, Rochefort ou Pottier ne sont pas oubliés.

Les résistants montrent souvent une connaissance approfondie des événements de 1871. Par exemple, L’Homme Libre est à l'origine le nom d'une modeste feuille communarde. En 1943, des détenus de la Santé commémorent la Semaine sanglante par un manuscrit de 24 pages dans des conditions de documentation pourtant précaires.

Albert Bayet, Pétain et la cinquième colonne, Edition du Franc-Tireur.
Albert Bayet, Pétain et la cinquième colonne, Édition du Franc-Tireur, 1944

Le souvenir des Communards n'est pas l’apanage des intellectuels et des dirigeants de la Résistance, il en imprègne aussi le terrain. Floréal, journal clandestin des prisonniers d’une baraque du camp de Voves, leur rend hommage en mai 1943. Une compagnie de Francs Tireurs et Partisans parisiens se baptise « Commune de Paris » Cet héritage dépasse le cadre strictement français. Ainsi, des rapports de 1944 mentionnent la présence en Corrèze d'un « détachement Dombrowski » constitué d'immigrés.

Ce patrimoine fièrement revendiqué est aussi vivement attaqué. Evidemment, la montée au Mur des Fédérés est interdite. Les Nazis créent même en mars 1943 un faux Vengeur « Fondateur : Félix Pyat ancien membre de la Commune » (sic) — pour aviver la peur du bolchevisme. Face à la démagogie adverse, la Résistance défend ses pères. Lorsque les intellectuels vichystes tentent de s’approprier la mémoire de Charles Péguy, les Éditions de Minuit répliquent dans Deux Voix Françaises : Péguy-Péri que l’écrivain, grand apologiste de la Commune, prônait des valeurs absolument contraires à celles du la Révolution Nationale.

Loin d'être seulement un enjeu de communication, la Commune devient d’emblée une arme de la Résistance, les évènements de 1870-1871 sont comparés a ceux de 1940 pour prouver aux Français la trahison du l'État Français. L’Humanité établit dès juillet 1940 un parallèle entre les deux périodes et peaufine cette réflexion dans les mois suivants. Pétain est défini comme un nouveau Thiers, défenseur des intérêts de la grande bourgeoisie française, qui préfère capituler et profiter de l'occupation allemande pour briser tout mouvement social en France. L’analyse gagne, avec des variantes, une grande partie de la propagande résistante comme Le Populaire qui titre le 18 mars 1943 « En 187l, Vichy s'appelait Versailles » ou Pétain et la cinquième colonne, la brochure d’Albert Bayet.

Commune de Paris : journal des marraines de la Compagnie des Francs-tireurs et partisans « Commune de Paris » n° 3 février 1944 (source BNF-Gallica)   (Pour lire les 2 pages du journal cliquer sur l’image)
Commune de Paris : journal des marraines de la Compagnie des Francs-tireurs et partisans « Commune de Paris » n° 3 février 1944 (source BNF-Gallica)   (Pour lire les 2 pages du journal cliquer sur l’image)


Assimilant Vichy aux « capitulards » de 1871, on comprend que tant de patriotes soient identifiés à contrario aux Fédérés dont ils partagent l'idéal démocratique et patriotique, mais aussi la souffrance. Pour Libération Nord, les fusillades d’otages « font pendant à celles du Père-Lachaise ». Cependant, précise l’Humanité en mars 1943 : « si en 1871, Paris était seul, cette fois la France (…) a à ses cotés l'Union Soviétique et les anglo-américains » ; la victoire sur le fascisme est certaine. Les Français doivent y participer.

Charles Hainchelin, Les Francs-Tireurs dans l'Histoire de France (1792-1871), éditions France d'Abord - 1945
Charles Hainchelin, Les Francs-Tireurs dans l'Histoire de France (1792-1871), éditions France d'Abord - 1945

Appel intrinsèque à l'insurrection nationale, cette filiation permet aussi à la Résistance de légitimer son combat en l’inscrivant dans la continuité des mouvements populaires qui, depuis 1789, ont porté la République. Cette démonstration par l'Histoire, utilisée durant toute la guerre, est d'autant plus nécessaire que les média germano-vichystes présentent les résistants comme des terroristes à la solde de « l'Anti-France ». Ainsi, pour justifier la lutte armée, Charles Hainchelin, responsable départemental FTP, réalise une longue étude sur Les Francs-Tireurs dans l’Histoire de France de 1792 à 1871. L'Histoire est invoquée jusque dans les prisons pour forger l'esprit de résistance. A Châteaubriant des détenus reçoivent des cours d'histoire clandestins centrés sur les avancées de la démocratie, notamment la Commune.

Familiers de l’épopée parisienne, les patriotes s'en inspirent dans l'action. Comme les femmes de 1871, les résistantes, « dignes continuatrices de Louise Michel », assurent le soutien matériel aux partisans et popularisent leurs faits d'armes.

De plus, les leçons de la Commune permettent de préparer la Paix. Pour les Toulousains de Libérer et Fédérer, on ne saurait restaurer une Troisième République « bâtie dans le sang de la Commune » :

le régime politique, économique et social de demain doit, non seulement être créé pour le peuple, mais par le peuple.

Le programme du CNR (Conseil National de la Résistance) se fait l‘écho de ces revendications les réformes sociales de l'après-guerre en concrétisent certaines.

Les liens entre Commune et Résistance perdurent après 1945. Par exemple, certains résistants comme Maurice Choury consacrent des ouvrages aux deux périodes, d'autres animent l'Association des Amis de la Commune où ils sont encore nombreux aujourd'hui.

 

Axel Porin

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