À partir de 1876, le déporté Auguste Hocquard, imprimeur lithographe de profession, fonde à l’île des Pins une imprimerie.
L’année suivante, Charles Eugène Mourot, qui fut à Paris secrétaire de Rochefort et rédacteur du journal Le Mot d’ordre, entreprend la rédaction du premier journal de la déportation, Le Raseur calédonien, avec l’aide de Victor Cossé. Il s’agit d’un journal satirique, illustré par Paul Geofroy, qui s’en prend surtout au personnel de surveillance.
On ne manquait pas d’humour dans Le Raseur calédonien :
« La nuit porte conseil et la femme neuf mois.
Il faut moins de force qu’on croit pour être facteur, l’adresse suffit. »
La sortie de ces journaux se fait d’abord en cachette (jusqu’à 300 exemplaires cependant en 1877), puis avec accord de l’administration. Mais en avril, le onzième numéro du Raseur est « suspendu » pour s’en être pris au gouverneur, caricaturé en champignon.
Ce qui n’empêche pas la parution des Veillées calédoniennes, le mois de juin suivant. La même équipe en est responsable, à laquelle se joignent un deuxième imprimeur Lanson et un autre rédacteur Théophile Bergès. Cinq numéros sortent, puis le journal est interdit, la presse saisie et Mourot arrêté, pour y avoir publié un pamphlet : La voix du proscrit. L’administration pénitentiaire accepte qu’il devienne commerçant à Nouméa, afin de se débarrasser de lui.
Le troisième journal à paraître est l’Album de l’île des Pins. Textes de Léonce Rousset, illustrations d’Edouard Massard – graveur de profession - imprimé toujours par Hocquard. L’intention de Rousset était de décrire l’île des Pins, sa géographie, ses habitants kanak. Ce journal est un demi-échec. Un deuxième Album de l’île des Pins connaîtra plus de succès (1) avec des illustrations de Geofroy et surtout Joseph Loth, remarquable dessinateur.
Parallèlement sort Le Parisien hebdomadaire sous la direction de Louis Barron ; quatre numéros du 7 septembre au 26 septembre 1878 tentent de faire concurrence à l’Album de l’île des Pins. Mais celui-ci est plus séduisant. Pour son cinquième numéro, le nouveau journal change de nom et de format, il devient Le Parisien illustré. Son intérêt réside surtout dans la qualité des dessins de Joseph Loth. Il sera publié du 5 octobre au 28 novembre 1878. Toutefois, l’imprimerie appartenant maintenant à Bergès, qui dirige l’Album de l’île des Pins, son journal rival cesse de sortir.
Louis Barron explique ce qu’ont représenté ces journaux pour les déportés :
« Les déportés de l’île des Pins eurent leur littérature publique et privée, imprimée et manuscrite, d’abord clandestine, puis autorisée et censurée, composée de chansons plaintives et satiriques, de poèmes ambitieux, descriptifs, lyriques et dramatiques, de journaux plaisants, sérieux, caricaturesques, pittoresques, doctrinaires, politiques, anarchistes….Ces journaux sont illustrés de dessins naïvement fidèles ; dessins et textes nous racontent à merveille les occupations, les désœuvrements, les privations, les tristesses, les rêveries, les espérances et les déceptions de la masse des déportés. » (2)
MARINETTE DELANNÉ
Lire l’article de Paul Lidsky : « Les artistes communards déportés et la presse en Nouvelle-Calédonie » - La Commune Bulletin N°75.
Notes :
(1) Rédaction Léonce Rousset, Victor Cosse, Théophile Bergès, puis Bergès seul, qui devient bientôt le gérant et l’imprimeur.
(2) Le spécialiste des journaux de la déportation en Nouvelle-Calédonie est Georges Coquilhat, auteur d’une thèse soutenue en 1984, publiée sous son titre originel : La Presse de Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle, en novembre 2022. https://gnc.jimdofree.com/la-presse-de-nouvelle-cal%C3%A9donie-au-siecle-19-these/
Extrait de son livre Au bagne de Nouvelle-Calédonie, sur les traces de Louise Michel… et de tous les autres communards déportés, Éditions du Petit Pavé, 2021